Menon Munien, président de la Cargo Handling Corporation Ltd (CHCL), revient sur le rapport de la Banque mondiale qui classe le port de la capitale parmi les derniers dans le monde. Il soutient qu’en réalité, le port mauricien reste une référence dans la région en termes d’efficacité et que le rapport n’a pas pris en compte un certain nombre de paramètres. Il souligne aussi qu’un certain nombre d’initiatives sont prises pour améliorer l’efficacité et la productivité et nie toute ingérence politique dans les opérations.
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En mai dernier le Container Port Performance Index (CPPI) 2022 du Transport Global Practice de la Banque mondiale classe le port mauricien à la 327e place sur 344 ports dans le monde. Ce rapport présente une évaluation comparative des performances des ports, basée sur le temps passé sur place. Il semble donc que le port mauricien figure parmi les moins productifs. Comment en est-on arrivé là et qu'est-ce qui est entrepris pour améliorer la situation ?
Ce rapport publié par la Banque Mondiale ne parle pas directement de la productivité du port de Port-Louis. L'indice de performance des ports à conteneurs (CPPI), dont parle le rapport, est basé uniquement sur le temps total écoulé depuis l'entrée d'un navire dans un port jusqu'à son départ du quai. Cela inclut le temps d'attente passé au port extérieur, le temps nécessaire aux services de pilotage et de remorquage pour amarrer les navires au quai, la durée des opérations de manutention des conteneurs de marchandises et une série d’activités incluant le ravitaillement en carburant, le retrait des déchets ou des résidus, la fourniture des provisions par les ship chandlers, le chargement de pièces de rechange, etc.
Notre port a été établi en tant que plaque tournante de transbordement, où les navires de collecte (feeder vessel) doivent attendre en rade leurs navires-mères. Il est courant que les navires de collecte déchargent leurs conteneurs au quai, puis se déplacent en dehors du port pour attendre plusieurs jours avant de charger leurs conteneurs, qui arrivent généralement sur d'autres navires-mères de différents services. Ce temps d'attente, agréé par les compagnies maritimes, ne peut pas être attribué à des retards dans les opérations portuaires. Cette situation ne se compare pas avec les ports captifs.
Cependant, la productivité du port est évaluée en fonction du temps nécessaire pour les opérations à quai et du nombre de conteneurs manipulés par heure par grue. En ce qui concerne Port-Louis, les opérations à quai prennent en moyenne 29 heures, un chiffre qui se situe avantageusement par rapport aux autres ports de la région. La moyenne de conteneurs manutentionnés par heure par grue est de 22 qui est parmi les meilleures performances des ports de transbordement de la région.
Il est également important de noter que Port-Louis propose une gamme variée de services connexes portuaires visant à dynamiser les activités économiques. Parmi ces prestations figurent la réparation navale, la relève d'équipage, les contrôles d'inspection, ainsi que le nettoyage de la coque, entre autres. Il convient de souligner que ces facilités ne sont pas offertes dans l'ensemble des ports de la région. D'autre part, étant donné que les navires sont desservis selon le « Fixed Berthing Window Scheme », il n'y a pas eu de plaintes de la part des compagnies maritimes concernant les retards dans les opérations, mais le rapport n’a pas pris en compte cet aspect positif.
Je dois dire qu’une lecture professionnelle des rapports qui tombent régulièrement permet à la personne et au secteur de grandir. Une lecture partisane, par contre, ne cherche qu’à paralyser. Dans le port, j’apprends énormément chaque jour en côtoyant les personnes avec beaucoup d’expérience dans la gestion, mais aussi sur le terrain.
Je crois que dans ce monde moderne, rien ne peut rester figé. Ne pas évoluer représente en fait une régression.»
Qu'est-ce qui est entrepris pour améliorer la situation ?
Force est de constater que la productivité de Port-Louis n’est pas catastrophique. Nous sommes dans les normes. Nos résultats reflètent la capacité de travail de nos équipes. Les compagnies maritimes sont en permanence dans la communication et la collaboration. Par contre, c’est notre responsabilité permanente, avec l’apport de tous nos partenaires, de faire le nécessaire pour consolider notre position et rester compétitif et résilient dans un monde en évolution constante.
Le nouveau SRC reconnait la valeur des travailleurs et consolide la capacité humaine au niveau du CHCL pour une efficacité et une productivité en hausse. Nous envisageons aussi d’investir dans la modernisation des infrastructure et équipement. Nous pousserons vers une certaine automatisation des opérations portuaires pour optimiser les processus de gestion. Nous visons aussi à promouvoir davantage la formation à tous les niveaux et renforcer la collaboration au sein de l'équipe. De plus, nous nous efforçons de nous préparer à toute éventualité de crise, que ce soit au niveau régional ou international, dans l'intérêt suprême de la République.
Est-ce que la récente révision des salaires et des conditions d'emploi aura un impact positif sur la performance ?
La révision des salaires et des conditions d’emploi était très attendue par les employés et elle devrait prendre effet à partir de janvier 2021. Elle inclut un nouveau « Productivity Bonus Scheme » qui nous permet de travailler ensemble vers une amélioration conséquente de la productivité. Avant même l’application du rapport et suivant la finalisation de ce plan, une augmentation significative à 23 mouvements par heure par grue a été notée durant les mois de mai à juillet 2023. Les travailleurs ont accepté l’idée de collaborer pour aller encore plus loin.
Depuis que je suis en poste, c'est-à-dire depuis juillet 2022, je n'ai pas observé d'ingérence politique»
Par ailleurs, nous avons accepté d’intégrer quelques 275 General Purpose Workers avec de meilleures conditions de travail, ce qui reconnait leur contribution et consolide nos équipes de travail. Ainsi, nous sommes en mesure de faire encore mieux. Le syndicat et la direction travailleront ensemble pour améliorer notre efficacité opérationnelle. Les opérations du Mauritius Container Terminal (MCT) doivent s'adapter aux changements avec une efficacité accrue. Il est essentiel que les processus opérationnels réels soient revus et consolidés. Nous maintenons une communication ouverte avec les compagnies maritimes, ce qui nous permet d'anticiper une augmentation du volume de conteneurs en réponse à la demande croissante de services de transport de la part de ces entreprises.
Les objectifs incluent une gestion améliorée de l’espace disponible et se diriger vers un minimum de 25 mouvements par grue par heure. La segmentation efficace des conteneurs dans la cour en fonction de leur navire de chargement contribue à optimiser le processus de chargement. Le regroupement des conteneurs par destination accélère le chargement, réduit le temps passé au port pour les navires et améliore la productivité globale, ce qui entraîne des économies pour les compagnies maritimes et de meilleurs résultats pour les exploitants de terminaux. Je suis confiant qu’avec l’ensemble des partenaires, nous avons une base solide pour positionner Port-Louis comme une référence dans la région.
Cette révision a un effet rétroactif. À quelle échéance les arriérés seront-ils réglés ?
Les arrérages seront payés en deux tranches : en septembre et novembre 2023 avec effet rétroactif à partir de janvier 2021.
Force est de constater que la productivité de Port-Louis n’est pas catastrophique.»
Pourquoi les négociations ont-elles pris autant de temps ?
Il y a d’abord eu la pandémie de Covid-19 et pendant la majeure partie de l’année 2021, nous n’avons pas pu nous rencontrer pour les négociations. Celles-ci ont repris en janvier 2022 au niveau du ministère de tutelle. La direction avait travaillé sur une première ébauche de propositions qui ont été présentées, mais rejetées par le syndicat, menant ainsi à une situation tendue.
Par la suite, en juillet 2022, la situation s’est décantée et nous avons relancé le dialogue. Les négociations ont duré presque une année. Il faut savoir que nous avons renégocié l’accord collectif de 2016 de fond en comble. Finalement, un accord a été trouvé avec le syndicat et signé en aout 2023. Je remercie la Port-Louis Maritime Employees Association, la direction de la CHCL et tous ceux qui ont collaboré de loin ou de près pour le travail accompli. Ce nouvel accord doit pouvoir nous aider à travailler ensemble pour aider Port-Louis à consolider son importance stratégique dans la région et donner un support solide à notre industrie d’exportation.
Quelles sont les informations concernant la prochaine révision des conditions d'emploi qui est prévue dans un avenir proche ?
Elle est prévue pour janvier 2026 et les négociations devraient commencer en 2025.
Combien coûte cette récente révision salariale ?
La révision salariale entraînera un coût annuel de Rs 285 millions, tandis que les arriérés pour la période de janvier 2021 à juillet 2023 représenteront un montant de Rs 295 millions.
Certains soutiennent qu'il y a un problème de gestion dans le port qui s'expliquerait par l'ingérence politique à travers les années. Quel est votre avis sur la question ?
Depuis que je suis en poste, c'est-à-dire juillet 2022, je n'ai pas observé d'ingérence politique. Il est important de noter que les actionnaires principaux de CHCL sont l'État mauricien, le Mauritius Ports Authority et la State Investment Corporation, l'État étant le principal actionnaire. La gestion de CHCL est supervisée par un conseil d'administration composé d'un représentant des instances suivantes : PMO, ministère des Communications externes, ministère des Finances, ministère de l'Économie bleue et de la State Investment Corporation. Il y a aussi deux membres du Mauritius Ports Authority et trois représentants des travailleurs.
Ce conseil se réunit au moins une fois chaque mois afin de superviser l'avancement des opérations variées, définir les objectifs à court, moyen et long terme, et formuler des décisions stratégiques qui fournissent à la direction les orientations nécessaires pour améliorer la gestion des opérations, des équipements et des équipes. De plus, la direction collabore étroitement avec les autorités compétentes.
Notre objectif est d’accroitre cette profitabilité afin de pouvoir honorer nos engagements financiers, de pouvoir investir et éventuellement de payer des dividendes à nos actionnaires »
L'ancien CEO a été limogé, car il n'avait pas les qualifications requises. Où en êtes-vous avec le recrutement du remplaçant ?
L'ancien directeur général a présenté sa démission, et je ne peux que respecter cette décision. Je tiens également à lui rendre hommage pour son apport lors des négociations liées au Collective Agreement. Sa contribution est aussi reconnue par les représentants des travailleurs au sein du Conseil du CHCL. Actuellement, un officier en charge assure la direction intérimaire. Les démarches sont en cours pour recruter un nouveau directeur général. Nous renforcerons l'équipe de direction pour garantir la pérennité de l'entreprise. Les principaux axes restent centrés sur l'efficacité, la productivité, la sécurité et le bien-être des employés.
Pensez-vous que nous avons les compétences nécessaires à Maurice pour diriger et développer le port ?
Diriger le port nécessite une combinaison de compétences techniques, de capacité de leadership et des qualités de gestionnaire. Il y a un travail avec des équipes sur place, mais aussi avec des clients parfois dispersés. En plus, la gestion portuaire évolue à très grande vitesse et ne pas pouvoir évoluer dans sa manière de faire peut-être immensément grave. Mais j’ai confiance dans le génie mauricien et je crois que nous avons une capacité d’apprendre très vite. J'ai confiance en notre capacité à identifier un gestionnaire mauricien qui saura appréhender les enjeux nationaux et rassembler une équipe solide pour relever les défis du monde contemporain.
Je dois dire que je fais confiance à ceux qui sont à la tête de la CHCL. Je connaissais très peu de la gestion portuaire quand j’ai accepté le défi en juillet de l’année dernière. J’ai énormément appris des équipes en place. Nous avons eu de longues conversations très franches. Nous connaissons la capacité et les limites de nos équipes. Nous allons renforcer les équipes à tous les niveaux et travailler ensemble à préparer l’avenir avec détermination.
Il était question à un moment d'éventuellement privatiser ou entrer en partenariat. Est-ce que cette éventualité existe-t-elle aujourd'hui ?
On m’a raconté l’intérêt de DP World quelques années de cela pour un partenariat stratégique, mais cela n’a pas abouti. Nous travaillons en étroite collaboration avec des lignes maritimes et je dois dire, de mes échanges, qu’il y a une très bonne communication. La question de privatisation ou éventuellement de travailler avec des partenaires stratégiques font partie des sujets qui peuvent évoluer au fil du temps en fonction des besoins économiques et des circonstances régionales et internationales. Je crois qu’il faut, en permanence, rester à l’écoute de ses partenaires et de l’évolution du secteur. Je crois que dans ce monde moderne, rien ne peut rester figé. Ne pas évoluer représente en fait une régression.
Quels sont les gros investissements prévus pour les années à venir ?
Notre budget 2023-2024 prévoit des investissements de l’ordre de Rs 2.3 milliards, comprenant, entre autres, deux portiques Super Post Panamax et six Rubber Tyred Gantry cranes. Nous investissons aussi dans l’automatisation de nos systèmes de gestion et de sécurité portuaire. Encore une fois, l’efficacité et la productivité découlent des équipes et des équipements. Le port doit rester une référence dans la région et nous allons, ensemble, faire le nécessaire.
Est-ce que la CHCL est profitable ? Quels sont les objectifs sur le plan financier ?
Pendant les dix dernières années, la CHCL a été profitable. En 2021/22, elle a réalisé un profit de Rs 367 M avant impôt. Notre objectif est d’accroitre cette profitabilité afin de pouvoir honorer nos engagements financiers, de pouvoir investir et éventuellement de payer des dividendes à nos actionnaires.
La CHCL fête ses 40 ans cette année. Quel constat ?
Effectivement, en 1983, Sir Anerood Jugnauth décide de regrouper les travailleurs de quatre compagnies travaillant dans le port en une corporation capable de manutentionner l’importation et l’exportation du pays. Il y a eu surement des hauts et des bas, mais Maurice, comme une nation, est en progression constante. Aujourd’hui, nous avons tous la responsabilité de pousser encore plus loin. Au CHCL, nous allons, ensemble, faire notre devoir…
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