Interview

Me Jacques Panglose : «La police ne peut arrêter et ensuite enquêter»

Me Jacques Panglose

Pour lui, les allégations ne doivent pas être un prétexte pour la police de procéder à des arrestations et ensuite d'ouvrir une enquête. Me Jacques Panglose qualifie les allégations comme un déni de justice, car souvent elles sont farfelues.

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Ces derniers temps, on parle beaucoup d’allégations…
Les allégations sont ce que les journaux publient et présentent comme des faits sur une autre personne dans une circonstance donnée. C’est aussi l’opinion d’une personne sur une autre. Ce sont des choses très risquées et on ne sait pas le mobile derrière le fait de propager une opinion. On dit que cela fait partie de la démocratie avec la liberté d’expression. Le Code pénal dit que tout fait d'un homme qui cause préjudice à autrui oblige celui par lequel il est arrivé à le réparer.

Peut-on réparer un mal quand il est fait ?
Prenons le cas de la diffamation. Un journal publie quelque chose qui s’avère totalement faux. Celui qui se sent lésé recourt à la justice et gagne son procès après des années. Le journal est tenu de mettre un article pour  réparer le mal. Mais il le fait dans un petit coin du journal. Est-ce ainsi qu'on répare un mal ?

Selon votre logique, n’importe quel quidam peut faire des allégations de viol, de sodomie ou autres contre quelqu’un ?
Le système de droit actuel veut qu’avec de telles allégations, la police arrête celui qui est incriminé.

Est-ce légal ?
La police devrait agir raisonnablement et ne pas enclencher une procédure sur des choses manifestement improbables. Certains disent que la police se fie souvent à son sixième sens. Est-ce le cas ?

La police n’a pas de sixième sens et elle est supposée se baser sur des suspicions raisonnables avant d’agir. La police ne peut arrêter et ensuite enquêter.

Et quelles sont ces suspicions ?
Ce sont des dires basés sur des faits que la police peut vérifier avant de procéder à une arrestation. Il y a des procédures à suivre, mais est-ce que la police les suit tout le temps ? Je ne le crois pas et c’est sur cette base que des avocats gagnent souvent leur affaire en cour.

Est-ce dans la normalité que la police arrête, ensuite enquête, tout en mettant une charge provisoire sur la personne arrêtée ?
Arrêter une personne et ensuite ouvrir une enquête est une ineptie. C’est la jurisprudence qui a créé la charge provisoire et la police s’en sert pour procéder à des arrestations. Il faut arrêter cette pratique. Prenons, par exemple, une personne qui est arrêtée et qu’à la fin on réalise qu’il n’y a aucun élément qui corrobore les allégations. Elle poursuit au civil pour des dommages mais se heurte à des obstacles.

Lesquels ?
En premier lieu, il faut que la personne poursuive l’État ou la police dans un délai de deux ans qui prend effet au moment de son arrestation ou que ces faits allégués aient été commis. Normalement, une affaire prend au moins deux ans avant d’être entendue et réglée, le délai de deux ans est donc déjà entamé. Dans son affidavit, il faut que le plaignant mette le « lien de préposition » et voie aussi si le commettant (État+ police) et le préposé (ici policier) ont commis une faute de service ou une faute personnelle. En clair, si le policier a agi en dehors de son devoir professionnel. L’État prend toujours cette défense de faute personnelle.

L’État lâche ainsi un de ses fonctionnaires ?
Que voulez-vous ? L’État va jouer sur la faute personnelle qui n’est pas attribuable aux fonctions d’un fonctionnaire. L’État avance souvent aussi le fait que le fonctionnaire a agi en toute bonne foi.

Les Law Lords ont confirmé, le 31 juillet 2017, que le droit au silence n’existe pas et soutient le PACE sur cette clause spécifique

Donc, l’État a une palette de moyens pour se dédouaner. Raccourci commode…
C’est pour cela que je persiste à dire qu’il faut abolir ces défenses de l’État qui ne rendent pas service aux victimes. Ces défenses commodes de l’État au civil sont des pédanteries de la loi afin de sauver les meubles contre des citoyens qui recherchent des dommages.

On dit aussi qu’une charge provisoire permet à la justice d’avoir un contrôle sur l’incriminé…
En fait, cette charge provisoire permet à la police de continuer son enquête. Entre-temps, l’incriminé ne peut voyager et subit d’autres restrictions. Il suffit d’examiner la foule de personnes qui viennent en cour sous des charges provisoires pour s’entendre dire que l’affaire a été renvoyée. La police abuse de la charge provisoire.

Le gouvernement prépare le Police and Criminal Evidence Bill, le PACE. Fini les arrestations arbitraires ?
L’ancien régime avait essayé de présenter une telle loi par le truchement d'un de ses scribes. Les avocats ont fait bloc pour dire non après avoir eu une esquisse du projet de loi. Si le PACE de ce gouvernement comporte des clauses anticonstitutionnelles, je m’y opposerai.

Prenons le cas du droit au silence. Aux yeux de la police, il est souvent assourdissant…
Un exemple récent : M. Sexius est accusé d’assassinat. Il est arrêté par la police de Sainte-Lucie, petit pays qui a la même Constitution que la nôtre. Le magistrat lui ordonne de soumettre sa défense en écrit et de donner les noms de ses témoins. La raison en est de permettre à la police de juger si son cas est défendable. Ce qu’on ne dit pas, c'est que cela bloque les arguments de la défense. Sexius a refusé de s’y plier et a eu recours au Conseil privé de la reine où les Law Lords ont confirmé, le 31 juillet 2017, qu’il n’existe pas de droit au silence et soutenu le PACE sur cette clause spécifique.

Pourquoi donc ?
Dans les années 60, les Anglais rencontraient des problèmes avec le groupe IRA de l’Irlande du Nord et les prisonniers de ce mouvement étaient entraînés au droit au silence. Les Anglais ont décidé alors de ‘draw adverse inferences’ de ce silence. En clair, si vous vous taisez c’est que vous avez quelque chose à cacher. Il en est de même dans notre Constitution où le droit au silence n’existe pas. Sir Maurice Rault, le plus grand juge que Maurice ait eu, a dit que bien que le droit au silence ne soit pas inscrit noir sur blanc à Maurice, il y a la présomption du droit au silence. Au lieu d'aller de l'avant  avec le PACE, inscrivez dans notre Constitution le droit au silence.

N’y a-t-il pas un abus de ce droit au silence ?
Pas du tout. Quand un avocat demande à son client de réclamer son droit au silence, c’est un point sacré pour la défense. C’est à la poursuite de venir prouver la culpabilité, car elle n’a pas besoin de témoignages de l’accusé pour prouver ce qu’elle a à prouver. Le magistrat doit se contenter des preuves de la poursuite face au silence de l’accusé. L’absence du droit au silence va être comme une « Bérézina ». (Napoléon s’est retiré de la Russie et a traversé avec ses troupes la rivière Bérézina en hiver et les a toutes perdues). Donc, pas de PACE pour moi.

Il y a aussi le fait de fréquents renvois : est-ce une tactique dilatoire pour que les affaires soient rayées ?
La défense peut profiter de ces renvois, pourvu qu’elle ne soit pas la cause première de ces renvois. Sinon, de trop fréquents renvois de la part de la poursuite peuvent jouer en faveur de la défense.

 

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