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Manav Ramasamy : l'enfant de rue décroche un diplôme en hôtellerie

« La persévérance gagne le succès ». Cette citation de Michel Dupuy résume parfaitement le parcours de Manav Ramasamy, un habitant de Bel-Air de 19 ans. Autrefois enfant des rues, il est désormais assistant-cuisinier dans un hôtel. S’il se réjouit du parcours qu’il a réalisé, son regret le plus profond, c’est celui d’avoir perdu sa mère l’an dernier.

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« Elle serait fière de me voir aujourd’hui. Mes parents rêvaient d’avoir un fils brillant, un élève obéissant, alors que je détestais l’école. Je me désintéressais des classes monotones, trop académiques. Ce n’est pas comme aujourd’hui où diverses activités extrascolaires figurent au programme de formation. Enfant, je feignais souvent un mal au ventre pour ne pas aller à l’école. Je traînais alors des journées entières dans les rues », confie-t-il.

Revenant sur son passé, Manav Ramasamy admet avoir perdu beaucoup de temps à ne rien faire. Après la Form III, il voulait mettre un terme à sa scolarité, quand il rencontre une éducatrice de Safire. « Je lui dois tout. C’est grâce à cette dame que j’ai finalement pris conscience de l’importance de l’éducation. J’ai rejoint l’association en tant que bénéficiaire. On organisait des activités pour nous encadrer. Graduellement, j’ai repris goût à la vie. J’ai été motivé à réaliser quelque chose dans ma vie. Je voulais avancer pour devenir quelqu’un. Mes amis, des camarades de rue, eux, ont rechuté. Ils n’avaient pas cette détermination, cette persévérance pour réussir dans la vie », dit-il.

« Tout est possible, si on prend sa vie en main, alors qu’il est encore temps », assure notre jeune interlocuteur, détenteur d’un brevet en informatique et d’un diplôme en hôtellerie. Son père étant à la retraite, Manav est désormais l’unique gagne-pain de la famille. Son objectif : continuer d’avancer et d’être maître de sa vie. « Je veille à ce que mon père ne manque de rien. Il est à la retraite, désormais je dois assumer le rôle de chef de famille. À mon âge, les enfants sont plutôt insouciants et estiment qu’ils peuvent passer tout leur temps à jouer dans la rue. Si je n’avais pas rencontré cette éducatrice, je ne sais ce que je serai devenu aujourd’hui : un sans-emploi, mais aussi un délinquant, car les enfants sont exposés à de graves dangers quand ils errent dans les rues », témoigne Manav.


Les enfants de rue : une vie pénible

Les enfants de rue

Dans le cadre de la Journée mondiale du Refus de la misère, l’Hebdo/Le Dimanche est allé à la rencontre des enfants de rue.

La plupart des enfants de rue viennent de milieux défavorisés. À une croisée de rues à résidences Longère, Baie-du-Tombeau, rencontre avec Steven, 16 ans, en compagnie de ses deux copains, Jordan, 14 ans, et Loïck, 15 ans. Ces trois jeunes sont livrés à eux-mêmes.

« Je travaille comme vendeur dans un magasin de chaussures dans la capitale. Aujourd’hui, je me suis absenté du boulot, car j’avais rendez-vous avec “mo ti fam” », dit Steven. C’est un petit garçon pitoyable, maigrichon et souffreteux. Mais, il est aussi fier et solidaire envers ses deux copains.

« J’ai dû abandonner mes études, car mes amis de classe se moquaient de moi. Ils me taquinaient trop. Vu qu’ils sont issus de famille aisée, je me sentais très inférieur. Ce qui m’a fait abandonner ma scolarité », confie-t-il.

Look

« Mo bizin travay akoz mwa osi mo anvi abiy kouma lezot, mett savat adidas, mett linz, pa mark, mai zoli et prop. Mo konn mo sitiasion. Mo pa depass mo limit », explique-t-il. Pendant la conversation il a les yeux rivés au sol et manipule un morceau de bois.

Steven veut aussi avoir les moyens de s’acheter un téléphone cellulaire de bonne qualité, comme ses amis de la localité. « Mwa osi mo anvi ena ene gro portab kouma lezot », poursuit-il. Quand on leur dit de poser pour une photo, Steven demande : « pou gagn kass si tir foto ? »

Jordan est plutôt gêné et ne veut pas nous parler. Il semble peu sympathique. « Je n’aime pas aller à l’école. J’aime passer ma journée avec mes deux frères, Steven et Loïck. Je me sens plus à l’aise et confortable avec eux », raconte-t-il.

Ces deux adolescents disent ne compter que sur eux-mêmes pour subvenir à leurs besoins, malgré leur âge. « Ma mère est une femme au foyer et mon beau-père, un maçon », ajoute Jordan. Ils disent user de différents moyens pour gagner un minimum d’argent pour se nourrir et se divertir.

« On est obligé de vivre dans la rue. Avec d’autres enfants qui sont dans la même situation que moi je forme une famille. Je passe beaucoup de temps avec mes copains. Nous nous comprenons et partageons la même souffrance, misère et solitude », fait-il observer.

Selon Jordan, les trois amis rentrent chez eux, le soir, pour dormir. Ils ne seraient pas scolarisés par manque d’argent ou d’intérêt de la part de leurs parents. La scolarité coûte : uniforme, livres et fournitures scolaires.

Nicole F., une habitante de la localité est mère d’une fille de 15 ans qui flâne également avec des garçons dans les rues. « Il y a certaines familles, comme moi, qui ont de la peine à surmonter les difficultés quotidiennes. On a du mal à payer la nourriture et le loyer. On ne peut pas se permettre des dépenses supplémentaires. De plus, nous n’avons pas de temps à consacrer à nos enfants », dit-elle.

Pour ces raisons, des enfants, délaissés à leur sort, n’ont plus d’occupation la journée et traînent la plupart du temps dans la rue avec les copains.

Enfant sans enfance

À résidences La Cure, Tony ne connaît pas son âge et dit n’être jamais allé à l’école. En compagnie de ses copains, il erre dans les rues de la localité et des régions avoisinantes à la recherche d’un boulot pour subvenir à ses besoins.

« J’avais entre 12 et 13 ans lorsque j’ai rejoint la rue, poussé par la famine et le désespoir. Je ne pouvais plus supporter l’angoisse permanente qui régnait chez moi et les plaintes affamées de mon petit frère et de ma sœur. J’ai dû quitter le foyer et me débrouiller seul. C’est ainsi que je me suis retrouvé dans la rue », relate-t-il.

Il dit être confronté à la cruauté des gens. La peur est devenue son lot quotidien. Par ailleurs, à Karo-Kaliptis, Roche-Bois, c’est un garçon, âgé de 14 ans, que nous avons rencontré. Daniel avait le visage sale. Il avait l’air perdu et de porter le monde sur ses épaules. Il dit être désespéré, car il n’a pas trouvé un boulot. Il a la responsabilité de nourrir ses deux petits frères et il est déterminé. « Lindi mo pe al guet enn travay. Sa pu ed mwa donn mo fami enn bouse manze », soutient-il.

À qui la faute ?

Les enfants de rue

Les faibles revenus de sa famille, l’analphabétisme, le manque de connaissance sur l’importance de l’éducation, le manque des fournitures scolaires, la cherté de vie et le chômage sont les principales raisons qui poussent un enfant à vivre dans la rue. Ces enfants commettent parfois des délits juvéniles pour se nourrir.


Trois catégories d’enfants de rue

Edley Maurer, membre du Service d’accompagnement, de formation, d’insertion et de réhabilitation de l’enfant (Safire), affirme qu’il y a trois catégories d’enfants de rue.  Primo, la plus fréquente à Maurice : les enfants qui se retrouvent tout de même à la rue. Nombre d’entre eux sont en situation d’échec scolaire et quittent l’école très tôt.

Secundo, ceux qui sont en rupture complète avec le monde des adultes et sont totalement livrés à eux-mêmes. Ces enfants passent leur temps à traîner dans les rues, tantôt à la recherche d’un boulot, tantôt à s’occuper à ne rien faire. « Cette catégorie d’enfants de rue est assez rare à Maurice. Toutefois, lors d’un  sondage réalisé en 2012 par Safire, nous avons identifié un petit groupe d’enfants livrés à eux-mêmes qui passent leur temps aux abords des maisons de jeu et vont de ville en ville. Il s’agit d’un groupe organisé, qui risque de tomber dans les fléaux sociaux de la drogue et de la prostitution », affirme notre interlocuteur.

Tertio, les enfants dont les parents n’assument pas leur rôle, leurs responsabilités. Ces derniers vagabondent sans rendre compte de leurs actes aux adultes. « Les parents ne sont pas à blâmer, ils ont eux-mêmes leur lot de problèmes. Certains sont confrontés à des difficultés financières, d’autres sont tombés dans le piège de la drogue. Nombreux d’entre eux sont devenus parents sans être capables d’assumer ce rôle », indique Edley Maurer.


Les régions concernées

Edley Maurer
Edley Maurer

Edley Maurer souligne que toutes les régions de l’île sont concernées par ce problème. Toutefois, les poches de pauvreté sont les régions les plus affectées. « Les régions défavorisées sont, indéniablement, les zones les plus exposées aux problèmes sociaux. Leurs habitants manquent de loisir. L’oisiveté devient ainsi la mère de tous les vices », dit-il.

« Toutes les communautés sont concernées par le fléau des enfants de rue. Parmi les facteurs qui contribuent à ce problème figure la pauvreté ». C’est ce que nous affirme également le travailleur social Alain Auriant. Ce dernier est responsable de l’association Sa Nou Vize qui s’est donnée pour mission de fournir un encadrement aux enfants de rue de la région de Rose-Belle.

« Il ne faut pas pointer du doigt les parents qui souvent n’arrivent pas eux-mêmes à joindre les deux bouts et à se prendre en charge. Leur priorité est d’abord de se trouver à manger, par conséquent les enfants sont livrés à eux-mêmes », affirme-t-il. C’est le même constat que fait Anooradha Pooran, directrice de l’Association pour l’Éducation des Enfants Défavorisées (APEDED).


Dorella : de l’ombre à la lumière

Familles disloquées, milieux modestes désargentés. Autant de causes à l’errance de nombreux enfants dans les rues. On ne réalise pas souvent qu’un enfant de rue, qui s’agite, est tout simplement un enfant qui n’a pas conscience des aléas, difficultés de la vie. Tel a été le cas de Dorella, 21 ans. « À 10 ans, je n’allais plus à l’école. J’étais une enfant rebelle. J’avais un groupe d’amis qui passaient leur temps dans la rue. J’ai rencontré une éducatrice, il m’a demandé pourquoi je n’étais pas à l’école, je ne savais pas quoi lui répondre », se souvient-elle.

« C’est par pure ignorance que je n’allais pas en classe. Elle m’a alors expliqué que sans l’éducation, je ne pourrai réaliser ma vie et améliorer ma situation. Issue d’une famille modeste, il me fallait décrocher un emploi bien rémunéré pour améliorer la situation financière de la famille. Mais à dix ans, comment convaincre un enfant que sa place est à l’école ? On est plus facilement influencé par ses amis et autres tentations et plaisirs », souligne la jeune femme.

Après cette conversation avec l’éducatrice, Dorella reprend le chemin de l’école. C’est alors un nouveau départ pour elle. Son but : se sortir de la pauvreté et être indépendante. Elle suit divers cours, tel le Second Chance Program. « Je souhaite désormais intégrer le monde professionnel, mais j’attends que mes enfants soient en âge d’être autonomes. Au départ, je savais à peine écrire mon nom. J’ai suivi des cours de pâtisserie. J’ai travaillé dur pour décrocher mes certificats. Tout cela a été rendu possible grâce à ce déclic ; le désir d’avoir un autre avenir. De plus, j’ai rencontré l’amour de ma vie, j’ai eu deux enfants. Quand on est une fille, on est plus exposé à divers risques. Ceux qui ne réussissent pas à sortir de ce fléau sont aujourd’hui sans avenir. Je suis heureuse d’être parvenue à sortir de ce cercle vicieux », conclut-elle.

 

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