La maltraitance envers nos aînés prend des proportions inquiétantes. Pour certains, c’est la société qui est en cause. Quoi qu’il en soit, c’est une situation qui devrait tous nous interpeller. Zoom.
Laissons parler les chiffres ! Rien que pour le mois de mai 2016, la Elderly Protection Unit (EPU) du ministère de la Sécurité sociale a enregistré 89 cas de maltraitance envers des personnes âgées. De janvier à avril, 254 cas ont été enregistrés. En 2015, 708 cas avaient été notifiés, comparé à 785 cas en 2014.
Pour Santa Devi Mungra, Principal Social Security Officer de l’EPU, la situation est alarmante. « C’est malheureux de constater que la qualité de vie de certains de nos aînés en est train de se détériorer. Malgré tous les efforts du ministère de la Sécurité sociale, ils sont en train d’être maltraités », se désole-t-elle.
La maltraitance des personnes âgées se traduit sous plusieurs formes : violence physique, abus émotionnel, violence verbale, abus financier… Les cas d’abus financiers les plus communs sont ceux où les enfants ou ceux ayant la charge de la personne âgée prennent sa pension mais sans subvenir à ses besoins.
Dans d’autres cas, les proches de la personne âgée prennent carrément possession de ses biens. « La négligence aussi est une forme de maltraitance. Nous sommes en présence de beaucoup de cas de ce genre ces derniers temps », précise Santa Devi Mungra.
Mais la majorité des plaintes, précise-t-elle, portent sur l’abus émotionnel. Elle ajoute que la majorité des cas sont liés à la drogue, l’alcool, la dégradation de nos valeurs morales, au fossé qui se creuse entre les jeunes et les moins jeunes, d’un côté, et les personnes âgées, de l’autre. Le clash des générations fait que chacun vit de son côté, si bien que la personne âgée se sent délaissée. « Nous venons de recevoir un cas où la personne âgée est une dame de 80 ans, plus ou moins en bonne santé. Sa bru ne lui donnait pas accès à la cuisine. Parfois, elle va jusqu’à jeter ses effets personnels et lui ordonner d’aller manger à l’extérieur. Suite à notre intervention, la belle-fille est heureusement revenue à de meilleurs sentiments. Le comble, c’est que les gens ne se rendent pas compte qu’ils vont vieillir eux aussi et risquent de connaître le même sort. C’est la raison pour laquelle, à chacune de nos interventions, nous mettons beaucoup d’accent sur l’empathie », explique Santa Devi Mungra.
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« Il faut du tact »
La plupart des cas de maltraitance contre les seniors surviennent au sein même de la famille. Les auteurs sont souvent les enfants, petits-enfants entre autres membres de la famille. « Cela fait qu’il nous faut agir avec beaucoup de tact lorsque nous intervenons. Nos officiers sont conscients que le tissu familial est très délicat. Nous ne pouvons, par exemple, affronter directement le proche qui maltraite la personne âgée en le menaçant de référer l’affaire à la police. Il ne faut pas occulter le fait que peu importe sa situation, la personne âgée est très attachée à sa famille. Donc, même si elle rapporte son cas à notre unité, ce n’est pas son souhait que ses proches aient des ennuis. Nous prônons donc la médiation et la négociation avec la famille pour tenter d’améliorer le sort de la victime », souligne la Principal Social Security Officer de l’EPU. Les officiers de l’unité optent donc pour le dialogue afin de conscientiser la famille sur l’importance de prendre soin de la personne âgée. Ce n’est que lorsqu’ils ne parviennent à régler le problème, surtout dans les cas de maltraitance physique, qu’ils réfèrent le cas à la police. Certains cas d’abus des biens des personnes âgées sont aussi rapportés régulièrement auprès de l’EPU. Toutefois, lorsque les officiers scrutent le contrat de la vieille personne, ils se rendent compte que, dans bien des cas, elle n’a pas fait valoir son droit à l’usufruit. « Nous référons ces cas à notre monitoring committee, qui comprend des représentants du State Law Office. Ce sont eux qui nous conseillent quant à la marche à suivre. Nous sommes même en présence de cas où les enfants de la personne âgée l’ont bernée pour qu’elle leur cède ses biens pour ensuite la placer dans une maison de retraite », indique la Principal Social Security Officer. C’est ce qui a poussé les membres du Senior Citizens Council à aller vers les personnes âgées, avec le soutien des hommes de loi, pour les conscientiser sur leurs droits, surtout en ce qui concerne leurs biens.
Elderly Watch
La Elderly Protection Unit compte beaucoup sur les volontaires regroupés dans les branches du mouvement associatif Elderly Watch pour combattre la maltraitance des personnes âgées. Il y en a dans les quatre coins de l’île. Elderly Watch agit comme un chien de garde pour dénoncer ces cas. <Publicité
Anishta Gunessee psychologue: «Vivre dans la tranquillité»
[[{"type":"media","view_mode":"media_large","fid":"19343","attributes":{"class":"media-image alignright wp-image-33272","typeof":"foaf:Image","style":"","width":"150","height":"180","alt":"Anishta Gunessee"}}]]Quel est l’impact psychologique de la maltraitance sur une personne âgée ? La psychologue Anishta Gunessee nous explique : « La personne âgée veut vivre ses derniers jours dans la tranquillité, après avoir bien travaillé et fait moult sacrifices pour ses enfants. Par conséquent, elle est très affectée psychologiquement lorsqu’elle est victime de violence verbale ou physique. Elle se sent perdue et perturbée. D’autant que, souvent, ce sont ses propres enfants qui sont en train de la maltraiter. Elle peut alors sombrer dans la dépression et développer d’autres maladies liées au stress. De plus, le fait d’être perturbée mentalement fera qu’elle aura tendance à négliger sa maladie si elle en souffre. »Comment procède l’EPU ?
Dès que l’EPU est en présence d’une plainte, les officiers vont faire une visite au domicile de la personne âgée pour faire un premier constat. Ils tentent d’identifier la source du problème. Ils donnent aussi l’occasion à la victime de s’exprimer librement. Ensuite, ils vont vers l’auteur de maltraitance pour entamer un dialogue avec lui. Ils l’écoutent également pour avoir sa version des faits et ainsi comprendre comment la situation a pu dégénérer. Santa Mungra précise que certaines vieilles personnes choisissent de souffrir en silence au lieu de dénoncer leurs enfants parce qu’elles ne veulent qu’ils aient des ennuis.Alitée, elle vit seule
Laisser une personne âgée à l’abandon est aussi une forme de maltraitance. Dans certains cas, les proches se voient dans l’incapacité de s’occuper d’un/e aîné/e. C’est le cas de Marclaine. Sa vieille tante de 86 ans vit seule. Elle est alitée depuis qu’elle a été victime d’une attaque cérébrale. « Il y a une voisine qui s’occupe d’elle pendant la journée. Mais elle ne reste pas avec elle le soir. S’il lui arrive quelque chose, personne n’en saura rien. Nous ne sommes pas en mesure de l’accueillir chez nous, puisque nous sommes tous occupés. Je lui ai donc proposé d’aller vivre dans une maison de retraite, mais elle ne veut pas en entendre parler. Je me fais du souci pour sa sécurité », a-t-il témoigné. Pour ce cas précis, Santa Devi Mungra soutient que c’est aux proches de la vieille dame de la convaincre que vivre dans une maison de retraite est la meilleure solution pour elle. « Ce n’est guère acceptable qu’une vieille dame alitée reste seule le soir. Ses proches peuvent faire une demande auprès du ministère pour une maison de retraite. Nos officiers pourront alors intervenir pour la convaincre d’aller vivre dans un home », précise-t-elle.Pavi Ramhota sociologue: «La loi ne suffit pas»
[[{"type":"media","view_mode":"media_large","fid":"19344","attributes":{"class":"media-image alignleft wp-image-33273","typeof":"foaf:Image","style":"","width":"150","height":"180","alt":"Pavi Ramhota"}}]]Le sociologue Pavi Ramhota s’inquiète de l’ampleur que prend la maltraitance de nos aînés à Maurice. Selon lui, le fait que notre conception de la famille a changé y est aussi pour quelque chose. « Pour certains, les grands-parents n’ont plus leur place dans la famille. Nous vivons dans une société moderne où c’est la famille nucléaire qui est la norme. De plus, nous avons développé une certaine dépendance sur la technologie. Ce qui nous empêche en partie de nous occuper de nos aînés. Par exemple, les jeunes préfèrent être scotchés à leur ordinateur ou portable au lieu de converser avec leurs grands-parents. Par conséquent, la personne âgée elle-même ne sent plus qu’elle a sa place dans sa famille », constate-t-il. Selon le sociologue, c’est la société qui est à blâmer puisqu’elle « n’accorde aucune importance » aux personnes âgées. « Donner à manger à un parent vieillissant, c’est bien. Mais c’est encore mieux de lui donner de l’amour et de l’affection. Nous n’accordons pas assez de temps à nos aînés. La loi ne suffit pas pour combattre la maltraitance des personnes âgées. C’est toute l’éducation de notre société qui est à refaire. Si nous n’augmentons pas la considération que nous avons pour les aînés, nous risquons d’avoir, outre les food hubs et les education hubs, des home hubs », ironise-t-il.
Maltraitance dans les autobus
Les personnes âgées sont aussi victimes de maltraitance dans les autobus. L’EPU est en présence de beaucoup de doléances venant de personnes âgées qui sont souvent laissées sur l’arrêt par les conducteurs d’autobus. Pour les cas de ce genre, l’EPU œuvre de concert avec la National Transport Authority, seule habilitée à sanctionner des receveurs et chauffeurs d’autobus.Confidentialité assurée
N’importe qui peut signaler un cas de maltraitance contre une personne âgée. Le voisin/proche/ami n’a qu’à se rendre dans un bureau de la Sécurité sociale, un centre social ou communautaire, un poste de police, un Citizens Advice Bureau, une association de troisième âge… Aussi, deux hotlines sont mises à la disposition du public : le 199 et le 172. Ils peuvent dénoncer les cas de maltraitance contre les personnes âgées en toute confidentialité.Maisons de retraite
Les cas de maltraitance ne sont pas rares dans les maisons de retraite ! Et ce, malgré l’existence de deux législations supposées assurer leur protection: la Elderly Protection Act et la Residential Care Home Act. « Nous recevons régulièrement des doléances concernant des homes : manque d’hygiène, mauvaise qualité de nourriture, non-respect des critères… Nous agissons rapidement. Il nous arrive de sanctionner la maison de retraite mise en cause. Cependant, j’insiste que la place de la personne âgée est dans sa maison. La placer dans une maison de retraite ne devrait être qu’un ultime recours. Une personne qui a vécu autant d’année auprès de ses proches subit un choc émotionnel quand il lui faut tout quitter pour aller vivre auprès des inconnus dans une maison de retraite. Même lorsqu’elle décide d’aller vivre dans un home de son propre chef, elle ne le fait jamais de gaité de cœur », insiste Santa Devi Mungra.Notre service WhatsApp. Vous êtes témoins d`un événement d`actualité ou d`une scène insolite? Envoyez-nous vos photos ou vidéos sur le 5 259 82 00 !