50 ans independance

Libéralisme social : l’ingrédient de la réussite

SSR Toutes les grandes formations politiques ont développé la même vision socio-économique, à peu de choses près.

Pour réussir son développement Maurice a adopté une approche socio-économique de sa propre invention, mêlant le capitalisme à l’État providence. Décryptage.

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« En 50 ans, le pays a multiplié son PIB par 20 »

Peu de petits États insulaires ont pu réaliser ce que Maurice a fait depuis 1968. En 50 ans, le pays a multiplié par 20 son Produit intérieur brut. De moins de USD 500 par tête d’habitant, à l’accession du pays à l’indépendance, nous en étions, en 2017, à plus de USD 9 812.

Quel est le secret de cette formidable réussite ? Premier élément de réponse : une stabilité politique et sociale. Second élément : une approche économique plutôt particulière née d’un mélange entre le libéralisme et le social.

Ce que l’on peut appeler le libéralisme social a été appliqué dès la naissance de la nation mauricienne. Il a été prôné par chaque parti politique une fois au pouvoir. Conséquence : aujourd’hui, les grandes formations ont la même vision socio-économique, à quelques nuances près.

Pendant toutes ces années, Maurice a pu éviter les pièges dans lesquels sont tombés bien des pays fraîchement indépendants. « Beaucoup de pays africains se sont mis à tout nationaliser une fois l’indépendance acquise. Le souci est qu’ensuite, ils ne sont pas parvenus à gérer ce qu’ils ont nationalisé. Sir Seewoosagur Ramgoolam a su faire le bon choix. Au lieu de faire peur aux patrons du privé, il a su les attirer. Les conditions ont fait que le privé était obligé de s’entendre avec lui et les deux parties y sont parvenues », explique l’économiste Pierre Dinan.

Unité nationale

Mais, il ne faut pas oublier le rôle du Parti mauricien social démocrate (PMSD) dans cette équation. « À l’Indépendance, Seewoosagur Ramgoolam avait 44 % de l’électorat contre lui alors que Gaëtan Duval, qui avait milité contre l’Indépendance, avait le secteur privé derrière lui », rappelle Pierre Dinan.

Avec une population aussi divisée et un secteur privé qui craignait cette indépendance, le risque de faire chavirer le pays était bien présent. Mais, contre toute attente, Gaëtan Duval intègre le gouvernement d’unité nationale formé en décembre 1969. Le deal était simple, comme le raconte l’économiste : « Les patrons capitalistes étaient assurés de conserver leurs propriétés et le gouvernement recevait de l’argent à travers les impôts. »

Dans les coulisses, cet accord est vivement encouragé par la France qui envoie son ancien Premier ministre, Michel Debré, député de La Réunion, à Maurice, pour faire le pont entre les deux personnalités politiques mauriciennes.

Alors que le privé fait entrer de l’argent dans les caisses, l’État prend en charge les besoins de base à travers l’État-providence. Inspiré du fabianisme britannique, Seewoosagur Ramgoolam prône un socialisme modéré qui permet à la bourgeoisie sucrière de continuer à évoluer. « Le nouvel arrangement impliquait une séparation stricte des pouvoirs politique et économique, entre les sucriers et la bourgeoisie d’État montante. Le pluralisme du pouvoir économique et politique était un élément distinctif de la diversité mauricienne », écrit Jocelyn Chan Low dans A social democratic development State in an age of globalisation. 

Les premiers pas sans tuteur ne se passeront pas sans difficulté. Est-il d’ailleurs besoin de rappeler les propos du prix Nobel et économiste britannique James E. Meade qui prédisait un avenir extrêmement sombre. Pour lui, Maurice était un exemple classique d’un pays qui était condamné à faillir. Quelques années plus tard, il sera rejoint dans son opinion par sir Vidiadhar Surajprasad Naipaul, autre prix Nobel, qui qualifiera Maurice de « baraque surpeuplée ».

À la conclusion de la coalition Parti Travailliste (Ptr)/PMSD, en 1970, les élections générales prévues initialement pour 1972 sont repoussées de cinq ans - toutefois, elles auront lieu en décembre 1976 -, alors que le tissu social reste fragile après les bagarres raciales de janvier 1968. À cela, il fallait ajouter une situation économique peu glorieuse.

Marxisme pur et dur

Le Mouvement militant mauricien (MMM), né de ce vacuum politique créé par la coalition Ptr/PMSD s'est inspiré du soulèvement des étudiants en France, du vent marxisant propagé en Amérique du Sud par Che Guevara et de l’embourbement des États-Unis au Vietnam. Il devient rapidement une des trois grandes formations politiques. À sa première participation électorale, à l’occasion d’une partielle en septembre 1970 à Pamplemousses/Triolet, son candidat Dev Virahsawmy l’emporte facilement sur Boodram Nundlall, aligné par la coalition Ptr/PMSD/ Comité d’Action musulman. Dès lors, les choses ne seront plus pareilles.

Sur le plan syndical, les affiliés de la General Workers Federation, d’obédience MMM, contrôlent le port, le CEB, la CWA, l’industrie du transport, la main-d’œuvre de l’industrie sucrière, entre autres. Le tout culminera par la victoire du MMM dans une lutte à trois face aux Travaillistes et au PMSD. Les mauves remportent 30 sièges, contre 25 au Ptr et 7 au PMSD. Seewoosagur Ramgoolam et Gaëtan Duval parviennent toutefois à se mettre d’accord pour travailler une fois de plus ensemble.

Au fur et à mesure, le MMM abandonne aussi le marxisme pur et dur.

Le gouvernement mauricien saura tirer profit de la Convention de Yaoundé, signée en 1973, qui permit l’accès du sucre mauricien au marché européen et qui devint, en 1975, l’accord de Lomé entre le Marché commun européen et les États ACP. L’accord qui porte sur l’accès des différents produits des pays ACP sur le marché européen fut prolongé à quatre reprises jusqu’à 1989, de Lomé I à Lomé IV.

Pierre Dinan souligne aussi l’importance du Fonds monétaire international qui conseille d’ouvrir l’économie mauricienne vers l’étranger. Zone franche et tourisme sont alors prêts à décoller.

Mais comme contrebalance de ce libéralisme politique, chaque gouvernement a eu un fort penchant social. Trѐs peu de pays peuvent se vanter d’offrir l’éducation gratuite, le transport en commun gratuit pour ses étudiants, retraités et handicapés, des services de santé totalement gratuits et des soutiens divers pour les plus démunis.

État-providence

Pour Georges Chung, économiste et Senior Adivser au Bureau du Premier ministre, cela s’explique notamment par la superficie de notre territoire et son nombre peu élevé d’habitants. « On se connaît très bien. On a facilement accès aux politiciens et c’est donc plus facile de faire pression. Puis, nos politiciens ne sont pas trѐs motivés par les idéologies, mais davantage par les besoins réels de la population. Du coup, les partis politiques ont la même ligne économique. »

Georges Chung est d’avis que Maurice est un pays résolument tourné vers le commerce, mais qu’un certain populisme pratiqué par les politiciens les a poussés à offrir toujours plus de soutien. « Sous la pression de l’électorat, on peut faire des choses bien, mais on peut aussi rendre la population quémandeuse. On assiste au fil des ans à une surenchère de prestations sociales. »

Jusqu’ici, l’État-providence mêlé à une forte dose de libéralisme a permis au pays d’évoluer dans le bon sens, mais la question est : est-ce que le libéralisme social à la sauce mauricienne est-t-il soutenable dans le futur ?

 

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