Inflation et crainte d’une récession guettent l’année 2023. La parole aux syndicats qui expriment leurs craintes et évoquent leurs priorités.
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Faizal Ali Beegun, syndicaliste et défenseur des travailleurs étrangers : «Éviter les licenciements à tout prix pour ne pas avoir de crise sociale»
Depuis le 31 décembre, l’interdiction de licencier pour des raisons économiques a pris fin. Alors que le suspense plane quant à son renouvellement, Faizal Ali Beegun, syndicaliste et défenseur des travailleurs étrangers, demande au gouvernement d’éviter les licenciements.
« La Covid-19 est toujours d’actualité en Chine et en Europe où on constate une résurgence. De ce fait, le gouvernement doit veiller à ce que les employeurs ne procèdent pas à des licenciements après l’abrogration de ce règlement. Statistics Mauritius a recensé 65 000 à 70 000 chômeurs à Maurice. Il faut absolument éviter les licenciements pour contourner une crise sociale. Tout licenciement doit être déclaré au bureau du travail et des indemnités doivent être réclamées », explique-t-il.
Verdict de la cour industrielle
Abordant ses priorités pour l’année 2023, il estime qu’il est important de trouver des moyens de compenser les travailleurs sans faire appel à la cour industrielle. « Ce n’est un secret pour personne, la cour industrielle prend deux à trois ans, parfois plus, avant de rendre un verdict dans les cas de compensation des employés licenciés injustement. Certains décèdent avant de recevoir leur compensation. Il est temps de revoir ce système et de trouver d’autres moyens. La loi devrait être modifiée pour rendre le délai raisonnable. »
Le syndicaliste va plus loin. « Si l’entreprise n’a pas suffisamment de fonds pour payer la compensation, il faut envisager de saisir les biens de la direction de l’entreprise. »
Priorité aux travailleurs
Selon Faizal Ali Beegun, les droits des travailleurs ont été délaissés par les précédents gouvernements. Il espère que le gouvernement au pouvoir remédiera à la situation et tiendra sa promesse de donner la priorité aux travailleurs en cas de fermeture d’usine en faillite ou sous « receivership ». « La loi doit être modifiée pour que les travailleurs passent en premier, après la vente des biens de l’usine. »
Salaire minimum
Il plaide en faveur de la création d’emplois en cette nouvelle année. Il estime qu’il faut encourager les travailleurs à retourner vers la zone franche. « Il faut revoir le salaire minimum de Rs 12 500 à Rs 19 000 - Rs 20 000, pour être en conformité avec le coût de la vie. »
Deepak Benydin, président de la Federation of Parastatal Bodies and Other Unions : «Un plan stratégique de trois ans pour les organismes parapublics»
D’une part, Deepak Benydin, président de la Federation of Parastatal Bodies and Other Unions, souhaite que les organismes parapublics soient réexaminés, afin d’établir le plan stratégique de trois ans. « Les corps parapublics roulent en catimini, sans aucun plan stratégique. Il est l’heure de les redynamiser. On doit mettre l’accent sur un partenariat. »
D’autre part, il attire l’attention sur le manque de parrainage des membres des organismes parapublics pour des cours à l’université. « Nos amis de la fonction publique sont parrainés par leur ministère. Tandis que nous devons débourser de notre poche. Il y a une politique de deux poids et deux mesures. »
Une autre priorité : faire du carnet de la santé une réalité en 2023. « Malgré les efforts du ministère de la Santé, l’absence de numérisation complique le suivi et la collecte des données », fait ressortir le syndicaliste.
Radhakrishna Sadien, président du Congress of Independent Trade Unions : «Plus de transparence et de méritocratie dans la fonction publique»
Radhakrishna Sadien, président de la centrale syndicale Congress of Independent Trade Unions (Citu), attire l’attention sur le besoin de restaurer la qualité de la vie en cette période post-Covid-19. « Il faut retrouver le pouvoir d’achat et privilégier le temps passé en famille et les valeurs humaines. On ne trouve plus la courtoisie alors que la réussite du tourisme passe par le sourire et l’accueil. Je suis d’avis que si on veut réussir économiquement, il faut également prendre en compte l’aspect social. »
Il fait ressortir que les employeurs ont recours à la main-d’œuvre étrangère à cause des connaissances et de l’expertise requises dans certains secteurs. « Nous devons mieux nous préparer afin d’éviter que cela devienne un problème sur le plan social. »
Il demande des améliorations au niveau de la fonction publique, afin de répondre aux défis à venir. « Plusieurs changements doivent être apportés. Il faut recruter des travailleurs en se basant sur la méritocratie. La Public Service Commission, la Disciplined Forces Service Commission, entre autres, sont appelées à être plus transparentes dans le recrutement. C’est aussi souhaitable pour le secteur parapublic. Cette mesure évitera que les personnes compétentes qui souhaitent se mettre au service du pays se sentent exclues. »
Reaz Chuttoo, syndicaliste : «Une réglementation sur la surveillance électronique et les risques psychosociaux»
Reaz Chuttoo, syndicaliste, fait part de ses appréhensions quant aux licenciements possibles cette année. Il attire l’attention du ministère du Travail sur le non-respect de l’article 26 du Workers’ Rights Act : « salaire égal pour travail égal. »
« Les employeurs recrutent les travailleurs étrangers en les rémunérant sur la base du salaire minimum malgré l’accord collectif. De ce fait, lors du licenciement, les Mauriciens seront majoritairement touchés. Les abus sont nombreux : des images de vidéosurveillance sont utilisées comme preuve pour des licenciements, alors que lors d’un comité disciplinaire, la partie adverse a le droit à un contre-interrogatoire. Hélas, il est impossible de le faire avec des images de vidéosurveillance », précise-t-il.
Il déplore l’absence de réglementation appropriée. Pour lui, la priorité est une réglementation de la surveillance électronique et les risques psychosociaux dans le monde du travail. « Les travailleurs sont constamment surveillés et filmés sur leurs lieux de travail. Par conséquent, ils sont victimisés par leurs employeurs qui utilisent ces images pour prendre des sanctions. De nombreux travailleurs étrangers ont été sujets à des commentaires désobligeants à cause de ces appareils de surveillance. C’est du voyeurisme. »
Reaz Chuttoo fonde également ses espoirs sur la concrétisation de la régulation concernant les éboueurs ainsi que celle visant à déterminer le salaire dans les Special Education Needs Schools.
Jack Bizlall : «Définir la propriété privée dans la Constitution»
Jack Bizlall, syndicaliste et travailleur social, estime que les trois dernières années se sont écoulées plus au moins stoïquement dans le milieu du travail. « Durant ces trois années, nous n’avons pas été confrontés à un licenciement massif. Les travailleurs de certains secteurs ont été chanceux de garder leur emploi sans pour autant renoncer à leur salaire. Certes, nous avons eu certains cas dans l’aviation. D’un point de vue positif, nous avons remporté une longue bataille pour que le “reinstatement” soit inclus dans la loi. C’est une grande victoire pour la classe ouvrière. Grâce à cette loi, le pouvoir absolu de l’employeur a été écarté. »
Cependant, la bataille est loin d’être terminée. Il partage son appréhension liée à une possible contestation de cette loi par le secteur privé. Ainsi, il faut mettre le cœur à l’ouvrage pour convaincre les autorités de l’importance de cette loi, dit-il. « Les employeurs pourraient utiliser l’article 8 de la Constitution pour dire que le pouvoir de recrutement et de licenciement restera entre ses mains. Nous devrons alors amender la Constitution et définir la priorité privée sous deux axes. »
Selon lui, la priorité pour 2023 « est de définir la propriété privée dans la Constitution. Une entreprise qui emploie des travailleurs, qui a une clientèle et des consommateurs, ne peut pas diriger dans l’absolu ! Il faut reconnaître l’existence des employés, consommateurs, entre autres. Un amendement constitutionnel peut introduire ce concept dans notre loi. Mon souhait est que la population comprenne cette loi, car notre sort politique et social repose sur une nouvelle Constitution. »
Haniff Peerun, président du Mauritius Labour Congress : «Un contrôle des prix rigoureux des denrées alimentaires et revoir les salaires»
Pour sa part, le président du Mauritius Labour Congress (MLC), Haniff Peerun, estime que la priorité doit être de remettre les pendules à l’heure dans le secteur privé. Il faut combattre l’inflation actuellement à 10 %.
« Les travailleurs ont souffert durant la pandémie de Covid-19 et ils font les frais des augmentations en cascade des denrées alimentaires. Le pouvoir d’achat est en baisse. Il y a aussi l’endettement de la classe des travailleurs. Le gouvernement doit contrôler les prix rigoureusement. Il faut rétablir le pouvoir d’achat des consommateurs. »
Selon lui, le manque d’inspecteurs fait défaut pour un contrôle des prix efficace. De plus, il met l’accent sur des initiatives pour encourager les travailleurs à faire des économies pour l’année 2023. « Actuellement, avec les taux d’intérêt au niveau des prêts, les Mauriciens se retrouvent à débourser plus. Les couples sont de plus en plus nombreux à opter pour un double emploi pour sortir la tête de l’eau au détriment de leurs enfants, de leur vie sociale et de leur santé. Sur le long terme, ce sera la cause d’un problème social », met-il en garde.
Ainsi, Haniff Peerun plaide pour « une politique qui favorise l’épanouissement de la classe travailleuse, afin que leur mode de vie change pour le meilleur. La révision des salaires actuels est souhaitable ».
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