Reconnue pour être ‘l’archipel convoité’, les îles Chagos sont considérées comme un litige historique devant la justice internationale. Malgré les avancées dans tant de domaines, la nature humaine, elle, n’a pas beaucoup changé. L’exil forcé des Chagossiens est un parfait exemple de l’opposition entre droits humains et intérêts politiques (ou stratégiques). C’est dans le domaine des droits de l’homme en butte à la raison d’État que se pose de la manière la plus aiguë le problème d’incompatibilité entre la morale individuelle et la sécurité nationale. Le drame des Chagossiens en révèle toute l’ambiguïté.
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Le concept des droits humains soulève toujours la controverse. Il y a ceux qui croient en la primauté des considérations personnelles et civiques. D’autres militent en faveur des intérêts économiques et du déploiement militaire qui les protège. Ils privilégient le droit politique du salut public. Ils arguent, non sans raison, que l’intérêt national dépend, in fine, de la satisfaction des besoins essentiels des citoyens. En d’autres termes, il importe de disposer d’un plancher sécurisé de ces nécessités (matières premières, pétrole, produits agroalimentaires, etc.) avant d’évoquer des considérations de liberté de justice ou de morale. La périlleuse conjoncture des années 60 justifia, et justifie toujours aux yeux des Occidentaux, l’occupation des Chagos pour des besoins de défense ou de dissuasion.
Quand les intérêts vitaux sont en jeu, les conséquences peuvent être dramatiques, même pour ceux qui professent leur neutralité. Au siècle dernier, les Anglais et les Américains avaient conclu en pleine guerre froide que leurs intérêts et ceux de leurs alliés étaient vulnérables dans l’océan Indien. Ils ont estimé qu’il fallait se prémunir militairement. Les Chagossiens en subirent les conséquences. Ils ne furent pas passés au fil de l’épée. Ils furent, et demeurent, broyés psychologiquement. Le calvaire d’un exil forcé est une forme de barbarie. Cela fait aujourd’hui plusieurs décennies qu’ils réclament justice. Leur réinsertion dans leur paradis demeure aléatoire. Nombre d’entre eux sont déjà morts.
Toutefois, il convient d’ajouter que le flirt en discrétion des autorités mauriciennes avec les Soviets rendait suspecte la neutralité de Port-Louis en politique étrangère. Un accord économique et culturel avec l’Union des républiques socialistes soviétiques fut signé en 1969. De nombreux étudiants mauriciens, trop peu qualifiés pour accéder aux universités européennes, recevaient des bourses et des diplômes quelconques de Moscou après des études pour la plupart suspectes. Infiltrer les installations de Diego Garcia à travers les ressortissants demeurés sur place dans les îles pouvait représenter un risque.
Le sort des Chagossiens fut, somme toute, peu enviable sous bien des aspects : politique interne et géopolitique, civique et humaine. Le constat qui se dégage du drame des Chagossiens est affligeant. Il se trouve qu’en dépit d’indéniables avancées dans de nombreux domaines depuis 2000 ans, la nature humaine, elle, n’a pas beaucoup changé. La part d’égoïsme et d’intransigeance dans la protection du pré carré demeure la même. L’homme d’État doit être avant tout machiavélique s’il entend préserver la sécurité de son pays et l’adhésion de son peuple.
Il ne vit pas dans une société parfaitement juste qui pratiquerait l’égalité et le partage entre les nations et adhérerait à des principes de justice universelle. D’où le recours à de nombreuses considérations permettant de contourner les droits humains.
Nous sommes encore loin d’une éthique de relations internationales qui en serait une de modération. Perdure un moralisme arrogant selon lequel l’intérêt national est automatiquement juste. À ce titre, l’Angleterre et son allié américain ont privilégié une éthique de l’état de guerre, du salut public et de la survie dans un monde divisé entre amis et ennemis.
Cette posture diffère d’une éthique de compromis et de modération propre à satisfaire les aspirations de justice et de mesure dans les relations internationales. Réintégrer les Chagossiens dans leur archipel sera une absolution honorable. Cela n’absout aucunement des décennies de désespérance cyniquement infligée mais les Chagossiens auront retrouvé leurs terres natales.
Qayinaat Annowar
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