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Lenteur administrative dans les corps parapublics : pourquoi le système est-il grippé ?

Le laxisme de certains services déploré. Le laxisme de certains services déploré.

Il y a eu le refoulement des sinistrés des récentes inondations au bureau de la Sécurité sociale à Port-Louis. Avant cela, des gens ont manifesté à Curepipe, suite à un problème d’eau potable. Ou encore à Saint-Paul, où des habitants ont démontré leur mécontentement contre le déversement du tout-à-l’égout sur la voie publique. Tous ces manifestants ont déploré la même chose : le laxisme des autorités et la lenteur administrative.

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En moins de quelques semaines, de nombreuses personnes sont descendues dans les rues. Elles ont manifesté contre la lenteur des autorités à réagir. Cela après des problèmes d’eau, de tout-à-l’égout ou encore de maisons inondées. Quel est le mal de la fonction publique ? Pourquoi notre système administratif est-il grippé ?

Kushal Lobine, qui a présidé la Wastewater Management Authority, affirme que la lenteur administrative est due au red tapism. « On n’arrive pas non seulement à prendre les décisions qui s’imposent en temps voulu, mais il n’y a aussi pas les bonnes personnes aux postes clés. C’est cela le grand mal », déclare-t-il.

Notre interlocuteur poursuit que, pour les fauteuils de General Manager ou de Chairman des corps paraétatiques, il faut « une politique de rupture » et nommer des personnes compétentes, qui ont les qualifications et aptitudes requises, et non pas des « petits copains ».
Kushal Lobine suggère qu’on mette sur pied un comité parlementaire, avec des membres du gouvernement et de l’opposition, pour un droit de regard sur les nominations faites. « On doit pouvoir questionner ceux qui sont à la tête de ces organismes. Il faut qu’ils fassent un bilan de ce qui se fait et s’il y a des problèmes qui empêchent le bon déroulement des opérations », estime ce dernier.

Kushal Lobine évoque, par ailleurs, un nivellement par le bas dans plusieurs organismes, dont la Central Water Authority et la Wastewater Management Authority. « Ces manifestations sont sans précédent. Ce qui démontre une certaine incompétence », lâche-t-il.

Un ancien haut cadre du ministère des Infrastructures publiques avance, lui, que souvent, les fonctionnaires ne sont pas motivés pour travailler.  « Parfois, il y a des ingérences politiques. Ce qui ne les encourage pas. Ils ont aussi peur de représailles », explique notre interlocuteur.

Il ne manque pas de souligner qu’il y a une lenteur dans la prise de décisions. Ce qui, selon lui, « retarde les travaux ». « Dans certains cas, je note qu’on a alourdi les procédures, alors qu’auparavant, c’était beaucoup plus simple. Il y avait un système simple pour les travaux de construction ou de maintenance par la National Development Unit ou la Road Development Authority », indique l’ancien haut cadre.
Pour sa part, un ancien Chairman de corps parapublic explique que la gestion n’est pas efficace et active. « Aucun travail ne se fait en amont. On attend un problème pour agir », soutient-il.

Dans la foulée, il parle de léthargie au sein de plusieurs organismes, invoquant « le manque de leadership ». « Certains officiers prennent leur temps pour agir. Ils savent que personne ne leur dira quoi que ce soit. Il y a comme un abus du système », tonne l’ancien Chairman. Selon lui, on cherche souvent des « prétextes ». Ce qui retarde les tâches à entreprendre ou à compléter, mêmes les plus simples.

Kris Poonoosamy : « Il y a souvent un manque de leadership »

Kris Poonoosamy

De quel mal souffre la fonction publique ?
Quand les gens déplorent la lenteur du système, cela veut dire que la machine est mise en cause, car elle ne donne pas les résultats voulus. Le système doit s’assurer que les services sont offerts. Les gens eux demandent à être servis par les officiers du secteur public, qui sont payés des fonds publics. Alors que la politique du gouvernement est axée sur l’amélioration des conditions de vie des citoyens. C’est tout un cercle. Si tout fonctionne comme il se doit, il n’y a pas de problème. Or, quand il y a des anicroches, on sent cette lourdeur administrative.

Donc, vous conviendrez que le travail ne se fait pas comme il le faut ?
Je dois dire que les officiers connaissent leur travail. Toutefois, ils sont des fois pas motivés. Il y a plusieurs facteurs à cela. Le leadership est le plus important. Ceux qui sont à la tête de ces services sont payés pour s’assurer que le travail se fait et que la politique du gouvernement est appliquée. Ils doivent s’assurer auprès des officiers de la bonne marche du système. Mais quand il y a des soucis, c’est souvent les gens qui ont besoin de ces services qui souffrent.

Que faut-il pour plus d’efficacité ?
Que ce soit la Waste Water Management Authority, la Central Water Authority ou autre, il faut se demander pourquoi les politiques du gouvernement ne sont pas implémentées à temps. Pour cela, il faut un état des lieux de temps en temps. Il faut aussi se demander si les retards sont délibérés ou s’il y a des facteurs qui en sont à l’origine. C’est toute une chaîne. S’il y a un petit grain de sable, le peuple le ressent. La fonction publique a le devoir d’assurer un service de qualité respectant le délai accordé. Je crois qu’il faut une table ronde de tous les responsables pour voir ce qui cloche. C’est ainsi que des décisions concrètes pourront être prises. Si on tâtonne, on n’est pas sûr et on essaye des solutions bric-à-brac, les problèmes ne seront pas résolus. Il faut aller au fond des problèmes. Les gens à la tête des organismes publics ont cette responsabilité.

Ces voix qui ne sont pas entendues

Ils sont en colère, les sinistrés qui se sont rassemblés devant le Renganaden Seeneevassen Building à Port-Louis. Ils sont dans l’attente d’une réponse de la part des autorités au sujet de leur indemnisation, suite aux dernières fortes pluies qui ont inondé leurs maisons. Ils veulent des explications et veulent savoir quand leurs démarches aboutiront.

À 29 ans, Vanessa Lagare habite une maison à Pointe-aux-Sables avec ses quatre enfants. Cela fait des lustres qu’elle a alerté les autorités sur la situation précaire dans laquelle elle vit. « Depuis que j’ai 16 ans, je fais des démarches car, à chaque fois qu’il pleut, ma maison devient invivable ! » fustige la jeune femme.

Tout comme elle, Jessica a frappé à plusieurs portes. Elle déplore le fait que rien n’a été fait par les autorités pour assainir la situation. « Il y a beaucoup de laxisme ! Je ne sais pas pourquoi les autorités restent insensibles. Aucun drain n’a été construit, alors que ce problème date de plusieurs années », avance cette dernière.

Quant au travailleur social Ludovic Saint-Martin, qui épaule des sinistrés de la région de Pointe-aux-Sables, il affirme qu’« il faut toujours mettre la pression pour que les autorités agissent ». Ce qui, selon lui, n’est pas normal. Et d’ajouter qu’« il y a une lenteur administrative pas possible ». « Les autorités ne réalisent pas qu’à cause de cela, ces victimes doivent s’absenter plusieurs fois de leur travail pour entreprendre les démarches », dit-il.

Ludovic Saint-Martin évoque même un manque d’efficacité. Il pointe aussi du doigt les députés de la circonscription qui, selon lui, sont « absents » du terrain. « Ils sont supposés agir comme passerelles pour une meilleure communication entre ceux dans la détresse et les autorités », lance le travailleur social.

Procédure d’urgence enclenchée

Le ministère des Finances a émis une directive, le 18 avril 2019, afin d’accélérer les procédures de construction de drains à travers le pays. Une décision prise à la suite des récentes inondations. Cette mesure a été rendue possible en activant la procédure d’urgence tombant sous la Public Procurement Act de 2006.

Elle ordonne aux organismes tels que la Road Development Authority, la National Development Unit, les collectivités locales, le ministère de l’Environnement et d’autres impliqués dans les projets de construction de drains « to execute accordingly », la directive ayant pris effet le 18 avril 2019. Celle du ministère des Finances fait néanmoins ressortir que la procédure d’urgence peut être suspendue à n’importe quel moment par le Procurement Policy Office.

 

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