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Lauréats : se mettre au service du pays ou construire sa carrière à l’étranger ?

Lauréats

L’État débourse environ Rs 235 millions pour les frais d’études des lauréats chaque année. Alors que certains rentrent au bercail après leurs études, d’autres construisent leur carrière à l’étranger. Témoignages.

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Dans son discours, lors de la proclamation des lauréats, le lundi 5 février, le Premier ministre a émis le souhait que les lauréats retournent servir le pays après leurs études. Selon Pravind Jugnauth, compte tenu du développement dans le pays, divers secteurs feront appel à l’expertise des jeunes qui ont acquis un savoir-faire et des compétences. De plus, dans le budget 2017/2018, la bourse pour les lauréats du Higher School Certificate qui font leurs études supérieures à Maurice a enregistré une hausse de 10 %, et pour ceux qui étudient à l’étranger 20 %.


Alexandre Victor Donat : «Je reste ouvert aux possibilités»

Alexandre Victor Donat, âgé de 21 ans, est lauréat de la cuvée 2015 dans la filière technique. Cet ancien élève du Royal College de Port-Louis entame actuellement des études d’ingénieur en aéronautique à l’Imperial College, Londres.

Mais rentrer à Maurice, surtout pour les lauréats, relève d’un choix. Ceux envers qui je suis redevable, ce sont mes parents»

« Je ne sais pas encore si je reviendrai au pays, mais je reste ouvert aux possibilités », dit-il. Alexandre Victor Donat, originaire de Rose-Hill, fait ressortir que les Premiers ministres souhaitent toujours que les lauréats se mettent au service de leurs pays après leurs études supérieures. « Ils ont raison », avance-t-il. Car l’État débourse une grosse somme pour financer les études des lauréats.

« Mais rentrer à Maurice, surtout pour les lauréats, relève d’un choix. Ceux envers qui je suis redevable, ce sont mes parents », confie-t-il.

Par ailleurs, le taux de chômage chez les diplômés, à Maurice, reste un des facteurs qui démotivent les lauréats à retourner au pays pour y travailler, estime le jeune homme. Son petit frère Guillaume, lui aussi, est lauréat de la cuvée 2015. Il a décroché la SSR National Scholarship. Il se spécialise en médecine. Seize mois séparent les deux frères. « Si des jobs intéressants sont proposés, on pourra exercer, peu importe le pays », indique-t-il.


Jocelyn Chan Low : «Le patriotisme m’a inspiré»

Jocelyn Chan Low, Associate Professor à la retraite, explique que le patriotisme, c’est l’amour que ressent une personne pour sa patrie et qui la pousse à servir. Le politologue de 60 ans a été lauréat en 1975 dans la filière classique. « La filière classique comprend les langues, soit le côté  Art », dit cet ancien élève du Royal College de Curepipe.

C’est l’amour que ressent une personne pour sa patrie qui la pousse à servir le pays»

Jocelyn Chan Low, un habitant de Beau-Bassin, explique qu’à cette époque, l’éducation était payante. Il a travaillé dur pour être lauréat, afin de pouvoir poursuivre des études supérieures. « Mon père était un ressortissant chinois et ma mère, femme au foyer. Je ne voulais pas que les sacrifices de mes parents s’avèrent vains. Je me suis appliqué dans mes études et mes efforts ont finalement porté leurs fruits », raconte l’historien.

Jocelyn Chan Low devait par la suite prendre l’avion pour Londres pour des études tertiaires en International History à la London School of Economics and Political Science, pour terminer ensuite à l’Institut national des langues et civilisations orientales (Inalco), à Paris.

Je ne voulais pas que les sacrifices de mes parents s’avèrent vains. Je me suis appliqué dans mes études et mes efforts ont finalement porté leurs fruits»

« Le patriotisme m’a inspiré. D’abord, c’était l’envie de servir mon pays qui m’a poussé à retourner. Ensuite, pour être aux côtés de ma famille », confie-t-il. Le politologue est d’avis que le patriotisme reste le sentiment qu’on a une dette envers le pays qui nous a tout donné.

« C’est l’amour que ressent une personne pour sa patrie qui la pousse à servir le pays », dit-il. Aujourd’hui, l’observateur politique, marié au Dr Mayila Paroomal-Chan Low (Associate Professor-UOM), est l’heureux père de trois enfants. Il est toujours sollicité pour ses opinions lors des débats politiques.


Arjoon Suddhoo : «Mon souhait est de travailler pour le monde, mais dans mon pays natal»

Lauréat côté technologie en 1978, Arjoon Suddhoo, le Chairman d’Air Mauritius, a poursuivi des études supérieures en Angleterre. Ce père de trois fils, originaire de Quatre-Bornes, a terminé son cours de génie aéronautique (First Class Honours) à l’université de Manchester. Il a poursuivi avec un doctorat en dynamique des fluides computationnelle dans la même université.

Arjoon Suddhoo a également travaillé pour Rolls-Royce Aerospace de 1985 à 1993, en Angleterre, en tant que chercheur et directeur de recherches. Mais quel est le facteur qui a poussé cet ancien élève du collège John-Kennedy à retourner au pays ?

Je voulais fournir à ma famille, ainsi qu’à mes enfants, un environnement multiculturel, sain et riche pour devenir des citoyens du monde, productifs et responsables»

« J’avais le souhait de travailler pour le monde, mais à Maurice. Je veux aider au développement de nouveaux secteurs émergents pour l’économie mauricienne. De plus, je voulais fournir à ma famille, ainsi qu’à mes enfants, un environnement multiculturel, sain et riche pour devenir des citoyens du monde, productifs et responsables », confie Arjoon Suddhoo.

En 1993, le Dr Arjoon Suddhoo est retourné à Maurice pour occuper le poste de directeur de la recherche et de la planification à la Tertiary Education Commission. En 1998, il a occupé le poste de directeur exécutif du Mauritius Research Council. L’un de ses principaux rôles est d’être le conseiller du gouvernement sur les questions scientifiques et technologiques. Aujourd’hui, le Chairman de la compagnie nationale d’aviation est âgé de 60 ans. Marié à Sadna, ils ont trois fils.


Dustin Bhoyrul : «Tous les lauréats ne se forment pas dans des secteurs où il y a du travail à Maurice»

Dustin Bhoyrul, 33 ans, est avocat d’affaires. Il a été lauréat de la filière Arts en 2002. Il a fait ses études en droit en Angleterre et en France et s’est aujourd’hui associé à Bridges, un cabinet d’avocats d’affaires.

« J’avais, à l’époque, déjà opté pour le droit des affaires à Maurice, mais je trouvais très vite que la stimulation intellectuelle et la méritocratie manquaient. Et c’est là que je suis allé à Paris et j’ai eu la possibilité de me joindre aux équipes d’arbitrage international de cabinets internationaux prestigieux. À l’époque, j’envisageais de vivre et de travailler dans mon propre pays. La question ne se posait même pas. Mon idée n’a jamais été de quitter Maurice pour l’Europe, mais plutôt de quitter l’Europe pour retourner à Maurice », affirme-t-il.

Notre interlocuteur soutient que, pendant la scolarité à Maurice, le système est largement égalitaire. « Mon introduction au monde du travail à Maurice était l’initiation à une réalité que je croyais révolue, du moins parmi mes contemporains. Je fais allusion aux discours castéistes, au mépris et à la phobie du travail intelligent et de la compétence, au culte du moyen et de l’approximation, au manque de formation adéquate, et bien pire, au manque de volonté à y apporter un minimum de changement. Il me semblait que cette médiocrité s’incrustait, parce qu’elle était arrangeante. Plus encore, elle devenait institutionnelle. Je suis loin d’être le seul à avoir eu cette expérience décourageante. »

À l’époque, j’envisageais de vivre et de travailler dans mon propre pays. La question ne se posait même pas»

Il affirme qu’il est vrai qu’on ressasse que les lauréats ont le devoir de rentrer au bercail et de « servir le pays ». Il est tout à fait logique que l’État s’attende à un retour sur son investissement. Il est d’avis que les Mauriciens qui brillent à l’étranger en se formant et en travaillant aux côtés d’éminents experts, participant au leadership intellectuel à l’échelle internationale, représentent un capital incontesté pour le pays. Et ce, particulièrement dans un contexte de relance économique et du positionnement graduel de Maurice comme marché émergent.

Dustin ne pense pas qu’un lauréat est censé bénéficier, en sus de sa bourse d’études, d’un droit inconditionnel à un emploi dans un poste clé. « D’une part, tous les lauréats ne se forment pas nécessairement dans des secteurs où il y a des débouchés à Maurice. Qu’en est-il du lauréat formé en ingénierie pétrolière, en ethnomusicologie ou celui spécialisé en droit des produits structurés ou en droit spatial ? »

« D’autre part, pour ceux qui s’inscrivent dans des filières plus traditionnelles, je pense que les possibilités existent, si on prend le temps de chercher. Tout professionnel averti saura que, pour y trouver son compte, il est préférable de cibler des créneaux spécifiques. Cela dit, je ne crois pas que les lauréats se fourvoient en pensant que Maurice peut leur offrir les mêmes opportunités professionnelles qu’ailleurs. Dans la plupart des cas, nous sommes prêts à faire certaines concessions professionnelles afin de profiter d’un mode de vie moins effréné et de la proximité avec la famille. »


Priyanka Ramphul : «Il n’y pas de garanti d’emploi»

Lauréate de la cuvée 2011, Priyanka Ramphul, 25 ans, a étudié la médecine en Angleterre. Ayant obtenu son diplôme en 2017, elle poursuit à présent son internat de deux ans dans un hôpital. C’est par la suite qu’elle choisira une filière de spécialisation et élargira ses horizons.

Pour elle, retourner et ne pas trouver d’emploi à Maurice comme médecin généraliste reste une inquiétude. Toutefois, elle compte bien le faire un jour. « Ce sera sans hésitation et avec un plaisir immense que je rentrerai un jour au bercail et servirai le public. Cependant, à présent, comme médecin récemment qualifiée, je ne pourrai pas faire de différence dans le secteur de la santé. Dans les années à venir, comme spécialiste, je pourrai apporter mon expérience et mes compétences au pays. »

Il n’y pas de garantie d’emploi. L’idée de chômer dissuade beaucoup de jeunes. Plusieurs d’entre eux ont des enfants en bas âge»

Elle dit être redevable envers son pays qui lui a beaucoup offert. Elle confie qu’elle ne serait pas devenue ce qu’elle est sans cette bourse. « C’est mon devoir et mon aspiration de servir mon pays un jour. Mais je pense qu’on pourrait faire plus pour encourager les lauréats à retourner au pays. Il n’y a pas de garantie d’emploi. L’idée de chômer dissuade beaucoup de jeunes. Plusieurs d’entre eux ont des enfants en bas âge. Certains domaines sont saturés, d’autres ne sont pas offerts à Maurice. En résumé, s’il y avait plus de certitude dans le monde du travail, beaucoup de lauréats seraient retournés à Maurice », estime-t-elle.

La situation concernant le chômage chez les jeunes diplômés à Maurice est alarmante, poursuit-elle. Elle trouve dommage que ceux qui ont bossé dur à l’université durant toutes ces années se retrouvent au chômage. « Le Premier ministre a parlé de création de nouveaux emplois. Cependant, ces postes ne sont pas toujours décernés aux plus méritants. Il faudrait avoir un système d’emploi plus juste. Les jeunes devraient aussi choisir des filières où il y a plus d’ouverture et moins de saturation », fait-elle ressortir.


Bevin Bhoyrul : «Il sera difficile pour moi de pratiquer à Maurice»

Alors que son frère Dustin est retourné au pays pour y travailler, Bevin, 36 ans, n’a pas pu faire de même pour des raisons professionnelles. Boursier dans la filière scientifique, il a étudié la médecine en Angleterre. Après ses études, il y a travaillé dans quelques hôpitaux et s’est spécialisé dans la general practice, pour ensuite passer à la dermatologie. Il a décidé de rester au Royaume-Uni pour se spécialiser dans son domaine, tout en travaillant pour le National Health Service. Il a poursuivi des cours liés à sa carrière, par exemple, sur les troubles des cheveux et du cuir chevelu et la chirurgie de greffe de cheveux.

« J’aime Maurice et je suis toujours Mauricien. Toutefois, à ce stade, je ne songe pas à revenir au pays pour le travail. La raison est que j’ai choisi un créneau assez particulier et il serait difficile pour moi de pratiquer à Maurice. Il y aurait des obstacles, tels que ne pas avoir accès aux outils dont j’ai besoin pour mon travail. Si ces choses avaient été disponibles, j’aurais pu envisager de travailler à Maurice », dit-il.

Mis à part l’aspect professionnel de sa vie, Bevin Bhoyrul confie qu’il a certains intérêts tels que les arts martiaux et la boxe. « L’île Maurice évolue à pas de géant dans de nombreux domaines. Si je devais revenir à Maurice, je suis sûr que je pourrais rejoindre un grand club de boxe. L’île Maurice est un endroit formidable où vivre. Ma femme et moi avons parfois discuté de revenir à l’île Maurice lorsque nous prendrons notre retraite. Cependant, il serait bon de pouvoir envisager un retour à Maurice avant notre retraite. »

Est-il un devoir civique de retourner dans son pays après les études ? « Je pense qu’il y a un argument pour dire que les lauréats qui ont vu leurs études subventionnées, y compris moi, ont le devoir de servir leur pays », répond-il. « Bien que mes parents soient avocats et auraient probablement pu financer mes études à l’étranger, cela aurait coûté très cher et aurait nécessité des sacrifices. Je suis très reconnaissant au gouvernement mauricien de m’avoir permis d’étudier à l’étranger. »

Par ailleurs, notre interlocuteur souligne que, si quelqu’un veut travailler dans un domaine hautement spécialisé ou une industrie qui n’est pas répandue à Maurice, les opportunités pourraient être rares. Il affirme qu’il a choisi de travailler dans un domaine spécialisé de la dermatologie. D’un autre côté, il estime que les lauréats et les autres peuvent réussir à Maurice s’ils sont suffisamment motivés et déterminés. « Si vous ne vous concentrez que sur ce qui n’est pas accessible à l’île Maurice, vous sentirez peut-être que vous ne pouvez pas réaliser vos ambitions et vous vous sentirez frustré. Mais si vous ouvrez votre esprit et réalisez que votre capacité et votre talent ne se limitent pas à de petits domaines, mais qu’ils peuvent être adaptés pour vous aider à réussir dans d’autres domaines, je suis sûr que la plupart d’entre nous peuvent réussir à Maurice. » 

Cependant, il est d’avis que c’est une honte que les gens qui ont travaillé dur pendant de nombreuses années ne trouvent pas de travail. « Un certain nombre de diplômés dans les pays développés se retrouvent en difficulté pour trouver un emploi. Certains doivent obtenir des emplois en tant que serveurs, barmen ou chauffeurs de taxi. C’est un reflet de la façon dont le monde change. Les entreprises ont peut-être besoin de personnes ayant des compétences que le système d’éducation actuel ne fournit pas », dit-il.

Nous avons sollicité le ministère de l’Éducation pour nous faire parvenir des chiffres concernant le nombre total de lauréats à Maurice, ainsi que la somme déboursée par l’État par lauréat. Il semblerait qu’il n’existe aucune donnée officielle.

 

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