Lorsqu’il fut nommé gouverneur de la Banque de Maurice pour la première fois en 1998, Ramesh Basant Roi invita Paul Bérenger dans les locaux de la Banque centrale pour un échange de vues informel.
L’invitation faite au leader de l’Opposition n’était pas au goût du gouvernement d’alors, mais l’hôte de la Bank of Mauritius Tower avait raison d’entretenir des relations cordiales avec celui qui occupait un poste constitutionnel. L’estime entre les deux hommes s’est raffermie au fil des années, jusqu’au point où M. Basant Roi, n’étant plus en fonction, accepta de participer à une conférence de presse du leader du Mouvement Militant Mauricien (MMM) durant la campagne électorale de 2010. Il faut croire que le premier n’est pas insensible aux critiques du second, et qu’il connaît l’importance de la communication.
Samedi dernier, M. Bérenger a dit trop de choses troublantes sur le secteur bancaire pour que la Banque de Maurice garde le silence. D’abord, parce qu’elle n’est pas un organisme ordinaire, mais une autorité, une institution de régulation qui doit commander le respect. Ensuite, tout ce qui est dit dans l’industrie bancaire est de nature sensible pour les opérateurs et pour les investisseurs. Enfin, parce que les affirmations ne sont pas celles de l’homme de la rue, mais de l’Opposition officielle, qui représente l’alternance au pouvoir. Des éclaircissements s’imposent donc au plus vite de la part de la Banque centrale.
Le discours du gouverneur lors du dernier dîner annuel de la Banque de Maurice a été très ferme quant à l’indépendance de celle-ci vis-à-vis de la politique. Mais M. Bérenger continue de maintenir, neuf mois après les faits, que le gouvernement a « cyniquement et volontairement » fermé la Bramer Bank. Une telle décision, qui est lourde de conséquences, doit venir de nulle autre que la Banque centrale. Si elle était bien réfléchie, elle ne serait pas prise dans l’urgence. Pour le leader de l’Opposition, « le procès-verbal du Board finira bien par révéler, un jour, qui a décidé de quoi lors de cette réunion convoquée en pleine nuit pour décider de la révocation du permis d’opérer de l’ex-Bramer Bank ». Sur ce, avertit-il, le gouverneur et le conseil d’administration de la Banque centrale auront « des comptes à rendre ».
Il est évident que les autorités ont fait dans l’improvisation. Dans un premier temps, le ministre des Finances annonça la reprise de l’ex-Bramer Bank par la State Bank of Mauritius, mais il créa finalement la National Commercial Bank (NCB) à laquelle furent transférés les actifs de la défunte banque. Toutefois, à peine trois mois après la création de cette banque publique, il fit part de sa fusion avec une autre banque d’État, la Mauritius Post and Cooperative Bank (MPCB), pour former la MauBank. De quoi donner raison à M. Bérenger qui parle de banque « sitôt créée et sitôt fermée » pour qualifier la « légèreté » avec laquelle la Banque de Maurice accorde et révoque des permis bancaires.
Schumpeter se retournerait dans sa tombe si l’on y voyait une « destruction créatrice », car ces opérations ont coûté cher aux contribuables. Ils n’ont pas besoin d’une banque à eux, mais la MauBank a tout l’air d’être la banque commerciale des contribuables dans la mesure où l’État a déboursé Rs 4,4 milliards pour aboutir à sa création, tenant compte des fonds injectés dans l’ex-NCB et l’ex-MPCB. De plus, il est question d’un décaissement de Rs 500 millions du Trésor public pour compenser la perte d’actionnariat de Mauritius Post au sein de l’ex-MPCB. Le budget de dépenses supplémentaires, qui sera présenté à l’Assemblée nationale creusera nul doute le déficit public.
Si elle n’est pas comptable à la gestion des finances publiques, la Banque de Maurice doit veiller à ce que notre secteur bancaire ne devienne pas un « Big Moral Hazard », une situation où l’État vient au secours de toute banque en péril au mépris de la responsabilité et de la concurrence. Déjà incapable de régler le problème de la Banque de développement, un exemple typique de l’aléa moral, le grand Argentier veut faire de la MauBank, qui est totalement garantie par le gouvernement, « la deuxième banque du pays ». Pour y arriver, il faudra s’attendre à de multiples interventions étatiques qui fausseront la concurrence.
On ne savait pas le MMM si méticuleux sur la libre entreprise. Mais lors du congrès des 46 ans de ce parti, son fondateur affirmait que « aujourd’hui, nous acceptons l’économie de marché ». Comme pour confirmer sa nouvelle vision de l’économie, il dénonce la « concurrence déloyale » dans le secteur bancaire.
Assurées du soutien inconditionnel de l’État, les institutions financières à capitaux publics prêtent à des conditions inégalables pour les banques privées. Elles n’hésitent pas à accorder des crédits à des projets qui ont peu de chance de réussir. C’est ce que l’économiste Jacques Rueff appelait « la distribution de faux droits », dont la Banque centrale se fait complice en masquant les effets nocifs de ces créances sans valeur par la baisse du taux d’intérêt.
Comme beaucoup d’emprunteurs des établissements d’État sont publics, l’argent des épargnants ne va pas dans le circuit productif. L’épargne est ainsi gaspillée, et il en manque pour financer des projets privés, porteurs d’emplois et de profits. Les banques publiques attirent les emprunteurs non solvables précisément parce qu’elles ne font pas leur métier de banquier, qui exige un travail rigoureux de sélection de la clientèle et de l’évaluation des risques. Leurs déposants ne s’en soucient guère, car les pertes financières seront effacées par l’argent des contribuables. Avec fracas mais sans tracas pour la Banque centrale.
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