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Justice en ligne : quand Maurice se tournera-t-il vers ce système?

La pandémie avait mené aux opérations en ligne.
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Le système judiciaire a été confronté à divers problèmes en raison de la pandémie de la COVID-19, notamment des retards dans les procès et des jugements rendus plusieurs années après les faits. Cependant, ces mêmes problèmes ont surgi avec le cyclone Belal, des intempéries comme Eleanor, cette semaine. Ne serait-il pas opportun pour le système judiciaire d'innover en adoptant le système des procès en ligne, similaire à celui mis en place pendant la pandémie ? 

Deux experts juridiques donnent leur point de vue.

 


Me Yusrah Ayesha Aumeer : « Vers des procès et des jugements en ligne »

Me Yusrah Ayesha Aumeer.
Me Yusrah Ayesha Aumeer.

Selon Me Yusrah Ayesha Aumeer, alors que la pandémie de la COVID-19 se propageait rapidement à travers le monde en 2020, notre système judiciaire a dû se restructurer du jour au lendemain. Nos instances se sont ainsi efforcées de s'adapter aux restrictions sans précédent imposées par la pandémie.

Pour l’avocate, la COVID-19 a posé des défis uniques aux administrateurs judiciaires et aux juges, qui ont tenté de trouver des moyens de répondre aux besoins continus des justiciables afin que leurs différends soient résolus de manière équitable, rapide et efficace. La santé du personnel judiciaire, des avocats, des témoins et des membres du public a été tenue en haute estime.

Certains tribunaux ont même dû fermer complètement leurs portes, tandis que d'autres ont reporté à plusieurs reprises les procès, à l'exception des plus cruciaux. Toutes les juridictions ont été confrontées à un environnement inconnu où le port du masque et la distanciation sociale sont devenus la nouvelle norme.

« Audiences virtuelles »

Par ailleurs, Me Aumeer soutient que la pandémie a également entraîné un basculement radical vers l’activité en ligne, les comparutions et les audiences virtuelles devenant de plus en plus courantes. Selon elle, cette évolution était indispensable même avant 2019. Si certains changements peuvent être temporaires, affirme-t-elle, d’autres pourraient avoir des implications à long terme pour l'avenir du système judiciaire.

Pour elle, il s’agit d’une situation sans précédent, car Maurice est confronté à des conditions météorologiques cycloniques rudes, provoquant des inondations à travers l’île. Récemment, la capitale a été gravement touchée par des crues soudaines, nécessitant un confinement partiel.

« Nous sommes confrontés à une réalité incontestable similaire à celle de la pandémie de COVID-19. Nos tribunaux se trouvent dans une position particulièrement désavantagée. Plus d'une décennie de sous-investissement dans les cours de justice signifie que presque aucun d'entre eux n'est en mesure de subvenir à leurs besoins de base, encore moins en été, lorsque la canicule est insupportable. La plupart des salles d'audience ne sont même pas équipées de climatisation, ni même d'un système de ventilation adéquat, ce qui rend les conditions de travail intenables », souligne Me Yusrah Ayesha Aumeer.

Elle remarque que « même si ces nécessités fondamentales font défaut dans nos tribunaux, nous aurions espéré que l’investissement soit dirigé vers d’autres aspects tout aussi importants. Cela prend en compte le fait que Maurice n’est pas épargné par les inondations et que nous ne pouvons plus prétendre qu’un confinement est une situation sans précédent. Par exemple, travailler en ligne, mener des audiences et rendre des décisions à distance, sans qu'aucun des participants n'ait à quitter son domicile ». 

« Étendre le système électronique » 

Pour l’avocate, nos tribunaux ont traditionnellement requis la présence physique des parties concernées ou de leurs avocats. Souvent, cela inclut également la présence de témoins, du personnel du tribunal, et bien entendu, du juge. Cependant, au cours des dernières années, au Royaume-Uni, on a observé une augmentation significative du nombre d'audiences, surtout à des stades intermédiaires ou préliminaires, menées entièrement ou partiellement par téléphone ou par vidéoconférence. Il est même devenu possible de mener des audiences complètes grâce à la technologie de la vidéoconférence, sans que les participants ne soient présents physiquement dans une salle d'audience.

Me Yusrah Ayesha Aumeer observe qu'à Maurice, « nous avons seulement commencé à exploiter un système judiciaire électronique pour la division commerciale de la Cour suprême. Notre prochaine étape consistera simplement à étendre ce service à l'ensemble de la Cour suprême, du moins à court terme, sans envisager d'aller au-delà pour le moment ».

Ce que se fait dans d’autres pays 

Me Yusrah Ayesha Aumeer souligne l'existence du protocole de justice civile concernant les audiences à distance en Angleterre et au Pays de Galles, publié le 20 mars 2020 pour répondre aux exigences des audiences à distance. Ce protocole précise : « La pandémie actuelle nécessite le recours aux audiences à distance dans la mesure du possible. Il s'applique à toutes sortes d'audiences, y compris les procès, les requêtes, et celles où les plaideurs comparaissent en personne devant le tribunal, la Haute Cour et la Cour d'Appel (division civile), ainsi que les tribunaux commerciaux et de propriété. Il doit être appliqué avec flexibilité ».

Me Aumeer souligne que la flexibilité est essentielle et que le Royaume-Uni s'efforce de faire face et de s'adapter autant que possible à la situation actuelle. Elle note que, dans ce pays, le public s'habitue désormais à assister aux audiences des cours d'appel en ligne. Un exemple notable est celui de la Cour suprême du Royaume-Uni, qui a récemment organisé sa première audience à distance, à laquelle tous les juges et avocats ont participé depuis leur domicile. Aussi, le Tribunal des besoins éducatifs spéciaux et des personnes handicapées est devenu la première partie du service des cours et tribunaux à entendre tous ses appels par vidéoconférence.

« Les rapports ci-dessus mettent en évidence que les tribunaux chinois et britanniques ont adopté les audiences en ligne pour traiter, à la fois, les affaires pénales et civiles pendant la pandémie de coronavirus. Cependant, selon Me Aumeer, « la planification d'urgence du gouvernement ne semble pas inclure d'initiatives suffisamment audacieuses. »

« Cela ne devrait-il pas inclure le développement rapide et l’expansion des audiences en ligne à un éventail beaucoup plus large d’affaires ? » s’interroge la juriste. 

Formations

Pour l’intervenante, « nous aurions pu nous attendre à ce que le Parlement adopte de toute urgence une nouvelle législation (ou utilise les règles établies par la Cour suprême) ». Mais malheureusement, note-t-elle, les ressources et les installations technologiques existantes dans la plupart de nos tribunaux ne sont pas suffisamment établies pour garantir sa mise en œuvre dans la pratique. « Il faudra, en outre, du temps pour former les membres du pouvoir judiciaire et le personnel des tribunaux à s'adapter à l'utilisation des nouvelles technologies », soutient Me Aumeer. 

Il est vrai que « l’heure n’est pas à la critique », constate-elle, mais que cela soit « un signal d’alarme pour allouer et utiliser les ressources destinées au pouvoir judiciaire de manière à fournir à ce secteur les outils technologiques nécessaires ». C’est dans le but « de protéger le public et maintenir la confiance dans le système judiciaire à temps ». Elle évoque aussi que l’inauguration du bâtiment ultramoderne de la Cour suprême et de toutes ses divisions est imminente et aurait déjà eu lieu sans le confinement du pays et cette pandémie.

La transparence des procédures exigée 

Me Yusrah Ayesha Aumeer ajoute que la publicité des audiences doit garantir la transparence des procédures. Ce qui, selon elle, constitue ainsi une garantie importante pour l’intérêt de l’individu et de la société dans son ensemble.

 En conséquence, dit-elle, « les tribunaux doivent mettre à la disposition du public les informations, notamment l’heure et le lieu des audiences. Il faut aussi prévoir des installations adéquates pour la participation des membres du public intéressés, dans des limites raisonnables, tout en tenant compte, entre autres, de l’intérêt potentiel de l’affaire et la durée de l’audience ». 

Toutefois, souligne Me Aumeer, l’exigence d’une audience publique ne s’applique pas nécessairement à toutes les procédures d’appel qui peuvent se dérouler sur la base de présentations écrites ou aux décisions préalables au procès prises par la poursuite et autres autorités publiques. 

« Les tribunaux ont également le pouvoir d’exclure la partie du public pour des raisons de morale, d’ordre public ou de sécurité nationale dans une société démocratique, ou lorsque l’intérêt de la vie privée des parties l’exige, ou encore dans la mesure strictement nécessaire de l’avis du tribunal. Ceci dans des circonstances particulières où la publicité serait préjudiciable aux intérêts de la justice », évoque l’avocate. 

Toutefois, dit-elle, en dehors de ces circonstances exceptionnelles, une audience doit être ouverte au grand public, y compris aux membres des médias, et ne doit pas, par exemple, être limitée à une catégorie particulière de personnes.  

Pour Me Aumeer, la « santé publique » n'est pas répertoriée comme motif d'exclusion de la publicité des débats, bien qu'elle soit répertoriée comme motif de limitation d'autres droits en vertu du Pacte international relatif aux droits civils et politique (PIDCP). Dans de nombreux cas, « il peut être possible de préserver la publicité des débats par diffusion vidéo et audio en permettant à certaines personnes d'avoir accès à un flux vidéo et audio. En revanche, limiter ou exclure de manière générale l’accès du public aux procédures judiciaires pour des raisons de santé, sans aucun substitut, peut nécessiter une dérogation lorsque les conditions requises pour de telles mesures, sont remplies ».

Les conditions entourant la vidéoconférence

Selon Me Aumeer, chaque fois que la vidéoconférence ou des technologies similaires sont utilisées comme substitut à la présence physique, les autorités doivent veiller à ce que toute partie ou accusé, privé de liberté, ait accès à un avocat avant, pendant et après les audiences, afin d'assurer la confidentialité de la communication entre l'avocat et son client.

Pour l’avocate, les autorités doivent également s’assurer que les parties/accusés sont en mesure de participer efficacement à la procédure et de fournir des instructions confidentielles aux avocats en garantissant : (i) qu'une partie ou un accusé individuel peut voir les témoins témoigner et peut (personnellement ou par l'intermédiaire de son avocat) les contre-interroger et y répondre d'une autre manière ; (ii) que l'accusé ou son avocat peuvent inspecter et présenter des preuves pendant la procédure ; (iii) que la procédure est suspendue en cas d'interruption des communications vidéo et jusqu'à ce qu'elles soient résolues ; et (iv) qu'un soutien technique est disponible au tribunal et dans les centres de détention.


Me Selva Murday, avoué : « Certains tentent de verrouiller le système »

Me Selva Murday (avoué).
Me Selva Murday (avoué).

L’avoué Selva Murday affirme que cette pratique est déjà en place grâce aux réglementations sur les « audiences à distance ». Cependant, ce système ne couvre actuellement que les affaires entendues par le juge des référés. Il souligne que « le pouvoir judiciaire fait preuve de proactivité, citant les règles appliquées pour les audiences devant le juge des référés comme exemple ».

Néanmoins, selon Me Murday, lorsqu'il s'agit d'un procès pour des plaintes portées devant la Cour suprême, la cour intermédiaire ou la Cour de district, les règles de preuve posent un problème, en particulier en ce qui concerne la tenue des procès par visioconférence. Il est essentiel que le juge ou le magistrat puisse observer le comportement des témoins pendant un procès. Cependant, Me Murday est d'avis que le pouvoir judiciaire, avec l'aide des avoués, cherchera une solution à ce problème.

Les lacunes

Selon Me Selva Murday, la première étape pour mettre en place des procès en ligne avec succès est de modifier la loi et d'établir les formations nécessaires. Cependant, il souligne que « certains essaient de verrouiller le système ». À son avis, « il est crucial que la généralisation du système de dépôt électronique soit réalisée et rendue possible pour toutes les instances à travers l'île avant d'envisager sérieusement les procès en ligne ».

« e-filing »

Par rapport à la gestion des dossiers, Me Murday mentionne que le système de dépôt électronique des documents (e-filing) est déjà opérationnel devant la division commerciale de la Cour suprême. Cependant, il constate que « ce système n'est pas encore prêt à être déployé dans d'autres instances ». Il souligne que les avoués ont proposé ce système aux autorités compétentes. « Le fait que ce système ait bien fonctionné pendant la pandémie de COVID-19 soulève la question : pourquoi ne pas le mettre en place maintenant ? », s'interroge-t-il.

« Les avoués sont prêts à franchir cette étape. Cependant, ils attendent toujours que le système judiciaire avance dans cette direction afin de faciliter le travail de chaque partie prenante et de résoudre plusieurs problèmes actuellement rencontrés par le système judiciaire. Cela inclut notamment l'efficacité de la mise en état des dossiers, la tenue de procès et le jugement des affaires dans des délais raisonnables, parmi d'autres aspects », précise Me Murday. 

Tout en soulignant que le système des procès en ligne est déjà en place à Maurice, que ce soit par le biais de l'e-filing ou du « digital filing » réalisé par courrier électronique, comme cela a été le cas pendant la pandémie de COVID-19. Est-il envisageable d'appliquer ce système à tous les cas devant les tribunaux ? « Oui, c'est possible si certaines instances répondent simplement aux courriers électroniques que nous envoyons dans le cadre d'une affaire en Cour. En fait, je pense que le système est déjà disponible, mais il est nécessaire d'établir des règles claires », souligne-t-il.

En présentiel

« Les protagonistes dans un procès doivent-ils être physiquement présents durant un procès ? » Selon Me Selva Murday, pour les affaires criminelles et civiles, il est déjà courant que certains protagonistes ne sont pas physiquement présents lors des audiences. En effet, à chaque renvoi, le client est représenté par son avoué, qui agit en tant que son mandataire ad litem.

« Néanmoins, précise-t-il, lorsqu'un procès doit être entendu, il est important que tous les protagonistes ainsi que les témoins soient présents, à moins qu'ils ne soient dispensés par la Cour. »
Le problème, souligne Me Murday, pour que les procès soient entendus par visioconférence, cela nécessite un investissement important de la part du système judiciaire. Cependant, il est nécessaire que le ministre des Finances soit prêt à allouer le budget nécessaire à cette mise en place. Il est également évident que certaines affaires se déroulent à huis clos et ne pourront pas être diffusées en ligne. Ce sont des exceptions.

Seules les affaires devant un juge des référés se font en ligne  

Depuis le 17 novembre 2022, des affaires devant un juge des référés sont entendues par visioconférence, suite aux amendements apportés à la Courts Act (GN No 304 de 2022). Ces règlements ont été approuvés par la Chef juge Bibi Rehana Mungly-Gulbul après consultation avec le Rules Committee et les juges, conformément aux sections 197H et 198 de la Courts Act.

Avec ce règlement intitulé « Judge in Chambers (Remote Hearing) Rules 2022 », les procès devant un juge en référés peuvent uniquement être tenus par visioconférence. Cependant, il existe une procédure à suivre : les parties concernées doivent faire une demande auprès du juge des référés. Sans son accord, le procès ne peut être entendu par visioconférence.

 

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