À l'occasion de la Journée mondiale contre l’abus et le trafic de drogues, observée ce 26 juin de chaque année, l’heure est à la sensibilisation aux dangers de la consommation de drogues, surtout qu’à Maurice, nous faisons face à un rajeunissement et à une féminisation de la toxicomanie. Selon des acteurs du secteur, l’heure est grave et nécessite des actions urgentes afin de mettre un frein à ce fléau.
Pour les militants contre la drogue, la prévention est un pilier fondamental de la lutte. Tous s'accordent à dire qu'il est essentiel d'investir dans des programmes de prévention efficaces dès le plus jeune âge. En effet, en éduquant les jeunes sur les dangers et les conséquences néfastes de la consommation de drogues, il est possible de contribuer à réduire les risques de dépendance.
Janie Cartick, chargée de programme chez Collectif Urgence Toxida (CUT), insiste sur l'importance de sensibiliser les personnes dépendantes aux substances toxiques aux services dont elles ont besoin. Son objectif principal est de mettre en avant la réintégration de ces individus, souvent victimes de stigmatisation. Elle souligne les besoins spécifiques de cette communauté, en mettant l'accent sur la santé et les aspects juridiques. Selon elle, il est crucial de souligner que la stigmatisation et la discrimination perpétuent le préjugé selon lequel les consommateurs de drogues sont des criminels, alors qu'ils ne devraient pas être jugés sur des critères moraux.
« L'objectif est de faire comprendre que les consommateurs de drogue sont des êtres humains comme les autres, souffrant simplement d'une maladie. Il est essentiel de sensibiliser sur le fait que l'addiction est un problème de santé et non de criminalité », renchérit-elle. Dans cette optique, CUT mène tout au long de l’année des activités d'information sur la drogue en collaboration avec différentes associations.
Elle avance que l’approche de CUT ne se limite pas à la prévention, mais vise également la réduction des risques. « Le discours sur la drogue est présent partout et il est utopique de prétendre pouvoir l'éradiquer. Il est normal de ressentir de la curiosité par rapport aux drogues et c'est pourquoi nous sensibilisons largement sur ce sujet. Nous intervenons dans des écoles privées, des clubs et des associations », dit-elle, ajoutant que l’ONG effectue également des actions de prévention liées au VIH, à l'hépatite B et à la syphilis. Un encadrement est aussi offert aux femmes toxicomanes enceintes et aux femmes enceintes, dont les époux sont pris dans le fléau de la drogue.
Toutefois, notre interlocutrice avance qu’il y a encore du chemin à faire au niveau de la prévention et la sensibilisation. « De nombreuses personnes ne comprennent pas que la drogue va au-delà du simple Say no to drugs. À Maurice, il persiste encore une approche punitive envers la drogue, sans accorder suffisamment d'importance à la santé mentale. Il est crucial de reconnaître que la dépendance est étroitement liée à l'état mental de la personne, et que de nombreux facteurs au-delà de l'influence des pairs entrent en jeu », indique notre interlocutrice.
De plus, dit-elle, il est important de ne pas laisser les jeunes se laisser influencer par ce fléau qui gangrène notre société sans leur donner l'occasion de s'exprimer. Elle déplore que même au sein des familles, l'importance du dialogue soit souvent minimisée. « Il est essentiel de comprendre qu'il y a des personnes qui consomment des drogues de manière récréative, tout comme l'alcool et les cigarettes, sans développer d'addiction, car la santé mentale de chacun est différente. C’est dommage qu’à Maurice, nous ayons toujours une approche arriérée », ajoute notre interlocutrice.
Imran Dhannoo, responsable du centre Dr Idrice Goomany, souligne le thème de cette année qui met l'accent sur la primauté des personnes en mettant un terme à la stigmatisation et à la discrimination, tout en renforçant les mesures préventives. « L’éducation est un outil important dans la lutte contre la drogue. Cependant, lorsqu'il s'agit de la prévention, il est crucial de ne pas limiter cela à de simples informations ou compétences pour résister à la drogue. La prévention doit être plus profonde et plus étendue », indique-t-il.
Il considère qu’il est important d'avoir une politique sociale et économique dans un environnement où il existe de nombreuses facilités et infrastructures, comme des espaces sportifs et des espaces verts, comme une alternative à cette problématique. Il affirme que la politique du logement et de l'emploi est également importante.
« La prévention est multidimensionnelle. Il s'agit de donner aux individus suffisamment de ressources pour ne pas être attirés par la drogue, en leur offrant des activités alternatives. Les parents, les enseignants et les leaders religieux ont un rôle à jouer. C'est un combat qui concerne tout le monde », souligne Imran Dhannoo. Ce dernier ajoute que les médias sont également un outil important pour la sensibilisation, car l'éducation a aussi une dimension médiatique.
Notre interlocuteur considère que le plus important est d'empêcher les jeunes d’expérimenter les drogues. La prévention primaire, fait-il comprendre, concerne ceux qui n'ont pas encore été exposés à la drogue. La prévention secondaire vise les personnes vulnérables qui sont exposées à des facteurs de risques pouvant les pousser à sombrer dans cette spirale infernale. Parmi eux se trouvent des jeunes désorientés, des chômeurs, des individus issus de familles brisées et ceux qui vivent dans la précarité, entre autres.
Imran Dhannoo parle de l’importance d'avoir des politiques de prévention, en particulier dans les écoles. Certes, il y a des programmes en place, mais il y a encore du travail à faire. Le centre Dr Idrice Goomany a récemment lancé un nouveau programme appelé « Family United », en collaboration avec l'Office des Nations unies contre la drogue et le crime (UNODC) et des experts nationaux. Il vise à aider les familles à renforcer leurs relations et à mettre en œuvre des mesures de protection, notamment à travers des institutions telles que la madrassa Noor-e-Islam et SOS Poverty. L'objectif est d'introduire ce programme à Plaine-Verte dans les semaines qui viennent.
« Les parents jouent un rôle crucial dans la protection de leurs enfants. Ils doivent montrer l'exemple et entretenir de bonnes relations avec leurs enfants. Certes, ils font face aux défis liés au travail et au stress. Toutefois, ils doivent canaliser leur énergie de manière positive au lieu de trouver du réconfort dans la drogue comme le font certains. Cela aura un impact positif sur les enfants qui seront moins susceptibles de sombrer aussi dans la dépendance aux substances nocives », fait-il ressortir.
Il met également l’accent sur le fait que beaucoup de problèmes sociaux trouvent leur origine dans les problèmes familiaux, d’où le fait que le centre mise sur la prévention et met en exergue la consolidation de la famille dans ce combat.
Signes annonciateurs d’une dépendance
- Changements d'apparence physique : une apparence négligée, une perte ou une prise de poids soudaine, des yeux rouges ou vitreux, des pupilles dilatées ou contractées.
- Changements d'humeur et de comportement : sautes d'humeur fréquentes, irritabilité, agressivité, apathie, retrait social, isolement, troubles du sommeil.
- Changements dans les activités quotidiennes : négligence des responsabilités, diminution des performances scolaires ou professionnelles, absence fréquente à l'école ou au travail, désintérêt pour les activités autrefois appréciées.
- Problèmes financiers : demander fréquemment de l'argent, emprunter de l'argent sans raison apparente, voler de l'argent ou des objets de valeur.
- Changements dans les relations sociales : fréquentation de nouveaux amis aux comportements à risque, retrait des relations familiales ou amicales stables, fréquentation d'un groupe social associé à la consommation de drogues.
- Problèmes de santé physique : problèmes respiratoires, infections fréquentes, problèmes de mémoire ou de concentration, diminution de l'appétit ou de la perte de poids, problèmes de coordination.
Questions à : Dr Siddick Maudarbocus, médecin, addictologue, fondateur et directeur du centre de traitement aux addictions Les Mariannes Wellness Sanctuary « Il ne suffit pas de parler, il faut passer à l’action »
Quel constat faites-vous de la situation par rapport à la drogue ?
À Maurice, un problème majeur d'hypocrisie entoure la question de la drogue. Les utilisateurs de drogue sont souvent catégorisés de manière négative. Dans de nombreux pays, la consommation de drogue est considérée comme un passage obligé pour les jeunes, une forme d'expérimentation pour mieux se connaître. Il est important de ne pas étiqueter tout le monde de la même manière. À Maurice, une distinction claire est faite entre les « mauvaises » personnes et les « bonnes » personnes, ce qui crée des déséquilibres dans la société. Au lieu de juger, il faudrait se concentrer sur les moyens d'aider ces individus.
Depuis deux décennies, nous nous sommes spécialisés dans le traitement des addictions, offrant conseils et thérapies pour aider les personnes à se libérer de leur dépendance. La réalité est que la société mauricienne est profondément enracinée dans le problème de la drogue. Nous tolérons cette situation qui fait partie intégrante de notre quotidien, et il semble impossible de l'arrêter. Ce fléau est malheureusement partagé par de nombreux pays confrontés au même défi : prévenir la propagation et le commerce des drogues. La lutte est ardue face aux puissants barons de la drogue, qui disposent d'énormes sommes d'argent et de ressources. Lorsque la corruption sévit dans un pays, la bataille est déjà perdue d'avance.
Les paroles seules ne suffisent pas, il est essentiel de passer à l'action. Lorsque des mesures concrètes sont mises en place, il incombe à chacun de contribuer selon ses moyens. Il est grand temps que nous nous engagions activement au niveau national et que nous tendions la main à ceux qui sont affectés. Il est impératif de transcender nos intérêts personnels et de collaborer en laissant nos ego de côté.
Dans le but de former 1 000 personnes à Maurice, j'ai fondé la Fondation Les Mariannes Wellness Foundation. Cette initiative propose des formations intensives de trois jours destinées à aider les individus confrontés aux problèmes d'addiction chez les jeunes. Ces formations permettent de comprendre le mécanisme de l'addiction, d'explorer ce qui se passe dans le cerveau d'une personne développant une dépendance, ainsi que d'apprendre à reconnaître les signes précurseurs.
En complément, un conseil de base est offert, donnant aux personnes qui commencent à développer une addiction la possibilité de prendre conscience de leur problème et d'essayer de freiner leur progression en cherchant de l'aide. La plupart des individus qui initient une consommation de substances et tombent dans l'addiction se trouvent dans le déni, et cela peut durer longtemps. Ce déni représente un danger majeur qui peut précipiter ces individus vers une dépendance totale. Les quatre phases courantes de l'addiction sont la dépendance, la tolérance, le sevrage et les envies irrésistibles.
Il est essentiel d'adopter une approche appropriée pour aider ceux qui rencontrent des problèmes liés à l'expérimentation. Il n'existe pas de méthodologie universelle pour y parvenir. Il est primordial de briser les tabous et de ne pas stigmatiser les personnes qui s'engagent dans des chemins néfastes. Impliquer les enseignants, les travailleurs sociaux, les ONG et les figures religieuses est nécessaire dans cette démarche. Établir une ligne de communication avec les personnes confrontées à des problèmes d'addiction est crucial. Plutôt que de rester isolé dans une tour d'ivoire en proposant des lois et des politiques, il est essentiel de comprendre le fonctionnement des individus qui consomment des substances illicites, lesquelles détruisent leur vie.
Le monde évolue à un rythme effréné. En effet, après la pandémie de Covid-19, tout a changé. Il est essentiel de modifier cette mentalité qui nous pousse à croire que nous sommes le centre de l'univers. Nous devons adopter les bonnes pratiques appliquées ailleurs. Il est primordial de motiver les jeunes et de leur offrir des perspectives prometteuses.
Actuellement, les débats sur l'addiction sont souvent centrés sur l'égocentrisme, où chaque individu cherche à marquer des points et à paraître plus populaire en public, voire à démontrer sa supériorité intellectuelle. Ce phénomène est amplifié par l'avènement des réseaux sociaux, où les gens sont obsédés par l'obtention de « likes ». Mais au final, quelle action est réellement entreprise pour sauver une personne de l'addiction ? En sauvant une personne de l'addiction, nous ne faisons pas que la sauver individuellement, nous préservons également son avenir, sa famille, son entourage et la société dans son ensemble.
J'appelle à la solidarité de tous les acteurs engagés dans cette lutte. Il est crucial que nous nous tournions tous dans la même direction. Le moment est venu d'agir concrètement, car sinon, nous serons confrontés à d'importants problèmes au cours des cinq prochaines années, et il sera difficile de redresser la situation.
Est-il exact de dire que l'addiction est principalement un problème de santé mentale ?
La santé mentale est devenue une préoccupation majeure dans notre société, en particulier chez les jeunes qui traversent une période de transition vers l'âge adulte. Cette transition n'est pas toujours favorisée par la société moderne. De plus, avec l'influence omniprésente des médias sociaux dans nos vies, nous assistons à une augmentation de l'expérimentation de produits qui offrent des états d'esprit différents.
La santé mentale peut également être affectée par divers facteurs tels que le stress, la consommation de cigarettes, de café, d'alcool, ainsi que les influences de pairs encourageant l'expérimentation de drogues. Lorsque vous essayez ces substances, vous pouvez ressentir un soulagement temporaire, mais cela ne dure qu'un certain temps. Certains pourraient considérer cela comme leur « médecine » personnelle, une manière émotionnelle de trouver un équilibre. L'addiction est étroitement liée à la santé mentale, mais il existe des stratégies pour y faire face et trouver des solutions adaptées.
Le problème de l'addiction peut être comparé à un grand donut. Tout autour de sa périphérie, il y a des individus, notamment des jeunes, qui expérimentent des substances. Environ 80 % d'entre eux sont dans cette phase d'expérimentation, où ils entrent et sortent de ce cercle. Cependant, il y a un petit cercle à l'intérieur où se trouvent les utilisateurs de drogues dures, les toxicomanes qui ne peuvent pas se passer de leur dose quotidienne, ainsi que ceux qui sont sous méthadone. La dépendance se développe progressivement lorsque le corps s'habitue à des doses de plus en plus élevées.
Comment traiter l’addiction ?
Dans le monde entier, il existe de nombreuses options pour traiter les problèmes liés à la dépendance. Au sein de notre centre, nous n'envisageons pas la méthadone comme l'une de ces options. Cependant, il existe des substances qui agissent sur la santé mentale et la chimie du cerveau afin de rétablir un état de normalité et de rompre la dépendance aux drogues. Ces substances peuvent être administrées progressivement en réduisant les doses dans un environnement surveillé. Le counseling joue un rôle essentiel pour aider les individus à surmonter leur dépendance et à sortir de la phase de déni qui les empêche souvent de rechercher un traitement.
Quel pourcentage de pouvoir sortir de cette dépendance ?
La volonté et le soutien sont des éléments essentiels pour sortir de la dépendance. Certaines personnes parviennent à se libérer de leur dépendance, tandis que d'autres échouent. Il est crucial d'avoir la motivation et la détermination nécessaires pour réussir, plutôt que de compter sur une solution miracle qui demanderait peu ou pas d'efforts de notre part. Cultiver un état d'esprit positif est également primordial pour éviter l'échec. Avant même le début du programme visant à briser cette dépendance, il est souvent possible de distinguer les personnes qui ont de bonnes chances de réussir de celles qui sont plus susceptibles d'échouer.
Ne faut-il pas miser davantage sur la sensibilisation et la prévention ?
Il est alarmant de constater la quantité de drogue qui pénètre dans notre société. Il est primordial d'impliquer les parents dès le début. Souvent, lorsque les enfants commencent à expérimenter la drogue et que les parents s'en rendent compte, ces derniers sont déjà âgés d'une vingtaine d'années et sont dépendants depuis quatre à cinq ans.
Il est essentiel d'informer les parents sur les signes auxquels ils doivent être attentifs, tels que les changements d'habitudes, les périodes d'instabilité ou les comportements inhabituels de leurs enfants. Ces signaux ne doivent pas être banalisés, ce sont des indicateurs préoccupants. Les chefs religieux et les enseignants ont également un rôle à jouer dans cette sensibilisation. Sans cela, la société dans son ensemble est en danger. Il est impératif de prendre des mesures décisives avant que la situation ne se détériore davantage.
Le Défi Media Group prévoit une série d’activités
En marge de la Journée contre l’abus et le trafic de drogues, le Défi Media Group envisage une panoplie d’événements pour marquer le coup. Selon le Marketing and Communication Consultant, Selim Peeraullee, l’une des activités phares est une émission radiophonique qui sera également diffusée sur la page www.defimedia.info et la page Facebook du groupe.
« L’émission, avec comme principal invité, le Dr Siddick Maudarbocus, sera axé sur la prévention et la sensibilisation au fléau de drogues. Il sera surtout question d’intelligence émotionnelle en vue d’aborder cette problématique », explique Selim Peeraullee.
En outre, une campagne de sensibilisation sera lancée dans des lieux stratégiques tels que les gares. Des brochures seront distribuées en collaboration avec des personnes engagées dans la lutte contre la drogue. « De plus, une compétition de peinture et d'animation graphique en 2D aura lieu, où les chefs-d'œuvre seront exposés ultérieurement au Caudan Art Centre. Cette approche artistique permet à certaines personnes de s'exprimer plus librement », ajoute-t-il.
Par ailleurs, une formation agréée par le Mauritius Qualifications Authority (MQA) est prévue pour les employeurs et les responsables des ressources humaines afin de détecter les personnes souffrant de dépendance aux drogues.
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