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Joanna Bérenger : «Les Mauriciens ne nous pardonneront pas si nous laissons nos égos prendre le dessus»

La députée du Mouvement militant mauricien (MMM) de la circonscription No 16 (Vacoas/ Floréal), Joanna Bérenger, commente le mini-remaniement ministériel, l’affaire Dhaliah et se prononce en faveur d’un code d’éthique pour les élus. Elle soutient que l’alliance PTr/MMM/PMSD est faite pour durer et déplore que le gouvernement n’en fasse pas assez pour protéger l’environnement et favoriser le développement durable.

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La semaine d’avant a eu lieu un mini-remaniement ministériel. Deux nouveaux ministres, à savoir Dorine Chukowry et Anjiv Ramdhany, ont rejoint l’équipe ministérielle. L’une en tant que ministre du Commerce et l’autre comme ministre de la Fonction publique. Vikram Hurdoyal a, lui, changé de portefeuille ministériel et est devenu ministre de l’Agro-industrie et Maneesh Gobin ministre des Affaires étrangères tout en conservant son portefeuille d’Attorney-General. De votre point de vue, qu’est-ce que ça vient montrer ?

Le gouvernement cherche une fois de plus à détourner l’attention des vrais enjeux. Nous faisons face à une récession qui affecte surtout la classe inférieure et la classe moyenne. Tous les prix ont augmenté - et certains produits sont maintenant hors de la portée de consommateurs-, il y a une pénurie de riz ‘ration’, qui reste très consommé, 3,6% des élèves uniquement ont réussi à franchir l’Extended Programme aux examens du National Certificate of Education (NCE) l’année dernière, la drogue fait des ravages, nous faisons face à une crise institutionnelle grave entre le bureau du DPP et celui du Commissaire de police… La liste est longue, mais le Premier ministre souhaite que les discussions tournent autour de son petit remaniement ministériel qui au final, ne changera rien à la vie des Mauriciens.

Considérez-vous le transfert de Maneesh Gobin vers les Affaires étrangères comme une promotion ou une sanction ?

Peu importe le ministère où le Premier ministre l’enverra se cacher, il continue d’être payé avec l’argent des contribuables malgré les allégations graves qui pèsent sur lui, et ce n’est pas correct.

À ceux qui demandent la démission de Maneesh Gobin, le Premier ministre a déclaré mardi qu’il « n’y a aucune allégation de corruption contre Maneesh Gobin » et que « la question de démissionner ne se pose pas ». Est-ce que vous vous attendiez à une réaction différente de sa part ?

Du tout. N’est-ce pas lui-même qui avait dit qu’il ne voit pas pourquoi un « BON PPS » devrait démissionner sur la base de simples allégations ? Quelques jours plus tard, Mr Dhaliah démissionnait « à demi ». Ce serait bien qu’il vienne nous expliquer ce qui a changé.

Êtes-vous de ceux qui pensent que Rajanah Dhaliah aurait dû démissionner comme député aussi, malgré le fait qu’il n’y ait pas encore eu de jugement ?

Oui, vu la gravité et le sérieux des accusations ayant conduit à son arrestation et le fait que celles-ci soient directement liées à son rôle de député.

Quatre nouveaux PPS ont aussi été nommés, accompagné d’un « reshufflement » pour d’autres PPS. Alors qu’ils étaient à 10, le pays compte désormais 11 PPS. Ça vous inspire quoi ?

À travers la « promotion » faite à Kenny Dhunoo, devenu PPS, le Premier ministre fait surtout la promotion de la violence envers le personnel soignant et envers les femmes ! Je trouve cela extrêmement choquant !

Il est beaucoup question d’éthique et valeurs morales en politique ces derniers temps. Pensez-vous qu’il aurait fallu un code d’éthique pour nos élus, à l’instar du code d’éthique des médecins et des avocats ou les infractions seraient sanctionnées par un corps indépendant ?

Oui, peut-être que cela serait un pas en avant et permettrait peut-être de « moraliser » un peu la vie politique, mais méfions-nous de l’idée qu’il suffit d’une réforme législative pour éradiquer ce mal. La question du choix des personnes compte, comme on le voit avec le Speaker actuel. Qui seront ces indépendants qui devront statuer, et le seront-ils vraiment ? De plus, il ne faut pas oublier aussi, qu’avant d’être un(e) élu(e), ces personnes ont été des candidat(es) sélectionné(es) par leur leader. Donc, beaucoup dépendent de l’éthique et des valeurs portées par ce ou cette dirigeant(e). On en revient à l’adage selon lequel « l’exemple vient d’en haut ».

La vidéo d’un enfant de 10 ans fumant un bong a beaucoup circulé sur les réseaux sociaux. On constate aussi que de plus en plus d’enfants sont impliqués dans la consommation ou le trafic de drogue. Qu’est-ce que cela traduit à vos yeux ?

L’échec du gouvernement, non seulement dans le combat contre la drogue, mais aussi et surtout contre la pauvreté. 

Où se trouve, selon vous, la source du problème ?

Quand vous avez un PM et son CP qui disent qu’ils sont en train de « casse le rein bann trafikan la drogue » mais qu’en parallèle le ministre de l’Agro-industrie, qui est aussi Attorney-General, accorde un bail à un condamné pour trafic de drogue, qu’un condamné à 7 ans de prison par un tribunal de l’Île sœur pour trafic de drogue bénéficie d’un traitement spécial chez nous, que la police n’a pas objecté à la liberté sous caution de Geanchand Dewdanee – habitué à se faire photographier aux côtés du PM –quand il avait été arrêté pour trafic d’héroïne avec 135 kg retrouvés cachés dans des bonbonnes, que l’enquête dans l’affaire de la tractopelle et ses 95 kg de cocaïne qui ont voyagé avec la rame de métro Mauricio n’est toujours pas conclue, qu’au final les « gros poissons » ne finissent jamais par être condamnés, je crois qu’il n’est pas compliqué de tirer les conclusions qui s’imposent.

 

Combat contre la drogue : « Je crois qu’il en va beaucoup de la volonté politique. »

 

Y a-t-il des solutions contre ce fléau de la drogue et le rajeunissement des consommateurs ?

Je crois qu’il en va beaucoup de la volonté politique. La situation au niveau la drogue n’a jamais été aussi catastrophique qu’elle l’est aujourd’hui. Pour ce qui est des consommateurs, nous l’avons toujours dit, les toxicomanes doivent être considérés comme des victimes et bénéficier d’une prise en charge adéquate. Il faut aussi prendre en considération le mal-être de la jeunesse. D’où la nécessité de la création de plus d’espaces interactifs où ils peuvent pratiquer un sport, et surtout la nécessité d’entretenir les infrastructures, mais aussi de valoriser les jeunes, de leur permettre de développer leur sentiment d’appartenance à notre société, de leur donner la place qu’ils méritent. Il ne s’agit pas juste de leur donner Rs 20,000, mais de créer les conditions de méritocratie et de prospérité pour qu’ils puissent avoir espoir dans leur futur à Maurice. Le problème de la drogue ne se règle pas sous un angle uniquement. Il faut aborder le problème de manière holistique.

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Les travailleurs sociaux parlent beaucoup de prévention, mais est-ce que c’est ça qui pourra freiner le phénomène ?

La prévention est bien sûr très importante, tout comme une bonne prise en charge des victimes, mais comme expliqué juste avant, la volonté politique est primordiale.

Le congrès du PTr/ MMM/ PMSD à la municipalité de Vacoas/ Phoenix – vous êtes députée de la circonscription Vacoas/ Floréal – le 18 aout peut être considéré comme un succès d’affluence. Qu’est-ce que ça traduit selon vous ? Est-ce qu’il y a un dynamisme qui a été créé ?

Comme je l’ai dit ce jour-là, nous avons commencé un mouvement à Mare d'Albert que nous avons emmené jusqu'à Vacoas et, dans notre sillage, ce mouvement a donné naissance à une vague d'espoir et de renouveau qui nous porte aujourd'hui vers Flacq, mais qui a pour destination finale l'Hôtel du Gouvernement. Malgré les coups bas du gouvernement, je vois mal comment ce navire qui prend l’eau pourra dompter notre vague. Ils abusent des moyens à leur disposition pour empêcher nos activités. À Vacoas, on nous a interdit l’utilisation d’écrans géants dans la cour de la municipalité et on nous a même coupé l’électricité. Mais grâce à des voisins, nous avons pu contourner ces difficultés et tenir notre congrès qui a été un succès. Le MSM fera ce qu’il voudra, mais l’histoire est témoin que ce sont dans les moments difficiles comme ceux que l’on vit, que les Mauriciens s’unissent pour prendre en main leur destin et rien ne nous arrêtera.

Pensez-vous que c’est une alliance faite pour durer ?

Nous ferons tout ce qu’il faut pour que ce soit le cas et je pense que ce sera le cas parce que nous partageons la même volonté et le même sentiment d’urgence. Bien sûr, nous avons nos différences de perspective, ce qui est normal puisque nous sommes trois partis avec chacun notre histoire et notre culture, mais la situation dans le pays et la flamme patriotique qui anime les militants font qu’aujourd’hui, nous acceptons de mettre de côté nos différends pour travailler avec le PTr et le PMSD afin d’assurer un avenir au pays et à ses enfants. Le ciment de cette alliance, c’est le soutien des Mauriciens : ils veulent le changement et ils ne nous pardonneront pas si nous laissons égos et ambitions prendre le dessus.

« Le critère de l’âge est un argument qu’ils utilisent uniquement quand ça les arrange. »

L’âge des leaders de cette alliance est régulièrement mis en avant par le gouvernement. Que répondez-vous à cet argument ?

Lorsque le MSM avait présenté SAJ pour être PM en 2014, il avait 84 ans… À l’époque, l’âge ne les dérangeait pas puisqu’il fallait qu’il devienne PM pour ensuite mettre sur le « trône » Pravind Jugnauth. Cela montre bien que le critère de l’âge est un argument qu’ils utilisent uniquement quand ça les arrange. Les partisans du MSM disaient d’ailleurs que SAJ, avec sa longue carrière politique et sa sagesse accumulée au fil des années, était alors le meilleur choix pour diriger le pays, malgré son âge avancé.

Le gouvernement s’est fixé l’ambition de 35% d’énergies renouvelables pour produire l’électricité d'ici à deux ans, mais, selon les chiffres de Statistics Mauritius, datant d’août, la part des énergies propres était de 19,2% en 2022 et est nettement en baisse. Le ministre de l’Énergie et des utilités publiques, Joe Lesjongard, reste cependant positif et affirme que l’objectif pourra être atteint, tout comme celui d’atteindre 60% d'ici à 2030. A-t-il raison d’être aussi optimiste ?

La Commission Developpement Durable (CDD) du MMM a travaillé sur le sujet dernièrement et un article a été publié par deux de ses membres sous le titre « Mauritius’ Energy Transition : ambitious plans impeded by the state of local energy governance ». J’invite tous celles et ceux intéressées à le lire. Au Parlement le mois dernier, le ministre a été encore plus loin en annonçant l’ambition de 37.5% d’énergies renouvelables d'ici à 2025 ! L’article explique justement pourquoi nous n’atteindrons malheureusement pas cet objectif, car nous notons le manque de sérieux dans la mise en œuvre des projets annoncés et du « biomass Fremework », pourtant tant attendu depuis 2016. Entre autres raisons pour arriver à ce constat, il y a le fait que brûler de la canne à sucre juste pour fabriquer de la biomasse reste nocif pour l’environnement, l’intention affichée de s’attaquer à nos forêts alors qu’il ne nous en reste que 4%, la manie de planter des arbres pour mieux les couper et ensuite importer des copeaux de bois. Tout cela va à l’encontre même de l’esprit d’une vraie transition énergétique qui voudrait que l’on diminue notre empreinte carbone. Et aujourd’hui, ce qui inquiète surtout est la grosse crise qui se profile.  Nous risquons d’arriver très bientôt à un déficit entre la fourniture et la demande, surtout avec les chaleurs de l’été. La fourniture est la prérogative du ministère et ce n’est pas rassurant de voir comment il gère la situation actuelle. Il y a urgence.

En 2021, vous aviez pris position, en vain, contre le projet Legend Hill construit à flanc de montagne à Tamarin. Aujourd’hui, d’autres projets sont venus s’ajouter sur la Tourelle de Tamarin. Il semble que le bétonnage prend préséance sur les autres impératifs…

Ceux responsables aujourd’hui devront rendre des comptes tôt ou tard pour leurs décisions. Face à l’inaction des autorités, malgré la demande de Stop Order émise il y a deux ans, malgré les nombreuses lettres, malgré les interventions parlementaires et actions citoyennes, il est normal que nous soyons tous, y compris les conseillers, en colère et inquiets. Des cours d’eaux naturels ont été déviés, le Land Drainage Master Plan toujours tenu secret, la montagne bétonnée et défigurée, et les habitants en contre-bas encore plus exposés aux dangers d’inondations et de glissements de terrain ! Les effets du changement climatique se font déjà sentir et le gouvernement continue de permettre de détruire notre meilleur allié, la nature. Ils ont permis à Legend Hill de construire à une hauteur jamais atteinte et d’ailleurs non autorisée par le PPG, créant un précédent comme on le craignait. Et on assiste aujourd’hui, impuissant, à un deuxième massacre sur le flanc opposé de la Tourelle. C’est ça notre pays sous le MSM : détruire notre avenir commun pour l’avantage immédiat de quelques-uns.

Certains diront qu’il faut continuer à miser sur l’immobilier pour faire entrer des devises étrangères à Maurice. Fait est que sans autres nouveaux piliers de l’économie, il faudra compter sur l’immobilier pour faire entrer de l’argent. Dans ce contexte, comment réconcilier environnement et développement immobilier ?

Comme vous le savez, je suis présidente de la CDD au MMM, qui s’intéresse aux grands enjeux sociétaux et environnementaux et les met en lien avec le développement économique. Notre postulat est qu’avec les impératifs liés aux changements climatiques, tout projet/développement immobilier doit prendre en compte les impératifs de durabilité, de renouvellement des ressources, de protection des océans, et l’aménagement du territoire si l’on veut assurer un avenir viable et vivable pour tous. Si l’on veut aller plus loin, les logiques du capitalisme financier ayant évincé aujourd’hui les logiques du capitalisme de production, il nous faut en réponse repenser notre modèle de développement à travers le prisme de l’éco-socialisme. Que l’État soit à la fois le moteur de la justice sociale et de la résistance écologique.

Quels devraient être nos exemples en termes de développement durable ?

La Commission Développement Durable du MMM a publié un manifeste qui fait un constat de la situation à Maurice, définit notre vision du développement durable et propose de conclure un pacte sociétal avec les Mauriciens. J’invite les lecteurs à le consulter sur la page Facebook de la Commission. L’esprit du développement durable, c’est par exemple évaluer le succès du développement non seulement par son rendement financier, mais aussi son insertion dans une écologie permettant sa durabilité et dans une société où chacun trouve sa place et sa voix. Sur plusieurs aspects, nous devrions nous inspirer davantage de Rodrigues qui a une population qui semble comprendre son environnement et le protège. Que ce soit par rapport à la pêche à l’ourite qui est saisonnière ou par rapport à leur avant-gardisme quant à la question du plastique, qui est une des plus grandes sources de pollution, entre autres. Ils comprennent leurs lagons et comment les protéger et ils le font. Ils ont compris qu’on ne peut vraiment progresser si on ne protège pas ce qu’on a déjà de plus précieux.

 

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