Interview

Jean-Pierre Lenoir de la librairie Le Trèfle : «L’électronique ne peut pas remplacer un livre»

Amoureux fou de tout ce qui se rapporte à la lecture et au toucher du papier, Jean-Pierre Lenoir est gérant de la librairie Le Trèfle, vieille de 70 ans et qui pourrait mettre les clés sous le paillasson d’ici fin novembre. Il estime que l’avènement de l’électronique ne pourra jamais remplacer le beau du livre.

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La librairie Le Trèfle compte-t-elle tirer définitivement sa révérence ?
Après celle de Port-Louis, la librairie Le Trèfle, qui est vieille de 70 ans, est en attente d’une décision finale de fermeture ou pas. Depuis quelques jours, il n’y a plus de livres à vendre, car on a cessé l’importation. Je me fixe jusqu’à la fin de ce mois pour décider. Pour moi, Le Trèfle a eu pour mission de répandre et de diffuser la culture.

N’y a-t-il pas une âme charitable pour la reprendre ?
On est en pleines discussions sur l’avenir de la librairie. C’est pénible d’en être arrivé là.

Mais espérons…

Que représente cette librairie pour vous et pour ceux qui l’ont fréquentée assidûment ?
Le Trèfle représente un lieu de culture pour ceux qui veulent venir aux sources du savoir, dans son sens large. Ils sont nombreux à avoir vécu cette belle période de recherche de la culture.

On dit qu’une librairie est bien plus qu’un lieu qui vend simplement des livres. Est-ce vrai ?
Une librairie échappe aux lois du commerce, dans la mesure où on y vend quelque chose de bien plus précieux : la culture, qui est immatérielle. Ceux qui fréquentaient Le Trèfle le faisaient pour puiser ce que les grands auteurs nous ont légués comme philosophie et du beau.

Les jeunes ne lisent plus de livres, hormis les bouquins du programme scolaire."

L’équation jeunes et lecture, cela vous dit quoi ?
Les jeunes d’aujourd’hui qui visitent une librairie, on peut les compter sur les doigts des deux mains. On vit une période de déculturisation. Les jeunes ne lisent plus, hormis les bouquins imposés dans leur programme scolaire.

Le programme scolaire a aussi son importance, vous conviendrez…
Il faut corriger le programme scolaire qui est trop lourd. Cela ne laisse plus suffisamment de temps. Auparavant, on se faisait un devoir de s’attarder dans une librairie, même si c’est pour ne rien acheter et tout simplement flâner. Maintenant, les jeunes passent devant sans même s’arrêter.

Deviennent-ils incultes ?
Je ne dirais pas que les jeunes sont incultes, mais cette génération a perdu le sens de la beauté et de la richesse des mots. Ils se contentent des SMS. C’est horrible.

Est-ce l’époque qui veut cela ?
Si l’époque demandait de marcher nu en ville, le ferait-on ? On veut bien d’une évolution, mais qu’elle soit cohérente.

Il y a une chose que les librairies n’offrent pas : la gratuité du Net…
On peut dire ce qu’on veut, mais le livre est constitué de références absolues de la connaissance. La librairie trouve ses racines dans les couvents, dans l’intimité du scriptorium. Le Net ne peut offrir la richesse, l’odeur et le toucher du papier. L’électronique ne peut remplacer un livre.

Pourtant, l’électronique occupe bien la place…
On prévoit qu’en 2050, notre population ne comptera que 900 000 âmes. J’espère qu’avec un jobless State les Mauriciens auront plus de temps pour vivre et adapter leur vie dans le domaine de l’envie de savoir et de découverte à travers les bouquins.

Il y a un autre fait, criard et bien sonnant : un livre coûte cher et même pour le plaisir d’en avoir, cela fait réfléchir à deux fois avant de l’acheter…
Les Mauriciens trouvent que les livres coûtent cher, mais ils peuvent se permettre d’acheter des produits autrement plus onéreux sans rechigner. Pour la culture, s’il leur reste un peu d’argent, on verra bien. Ce qu’ils ne savent pas c’est que la démarche culturelle est salutaire. Vouloir apprendre en dehors de son champ d’activités apporte un plus dans la vie. Avoir de la culture, c’est éclairer le monde. La technologie éloigne de la lecture et par ricochet, de la culture dans son sens le plus noble.

 

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