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Jean-Luc Mootoosamy : « Je pense que cette campagne électorale sera sans pitié »

Le journaliste et directeur du cabinet suisse Media Expertise anticipe une campagne électorale difficile. Il appelle à la vigilance citoyenne et soutient que le renouveau politique s’imposera de facto d’ici quelques années, compte tenu de l’âge des leaders politiques actuels.

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Malgré les fortes oppositions, le gouvernement a maintenu sa position sur le Financial Crimes Commission Bill (FFC Bill), qui devrait être voté ce mardi. Quelle interprétation en faites-vous ?

Ce gouvernement fonce non seulement dans un mur mais en plus, il klaxonne. La formule n’est pas de moi, mais d’un ancien député français, M. André Santini. C’est désespérant de voir que des femmes et des hommes qui ne sont que de passage à l’Assemblée nationale, même s’ils représentent une majorité aujourd’hui, défendent un tel texte sans faire la moindre concession. Désespérant de se dire qu’il n’y a absolument rien à attendre. C’est une majorité qui n’écoute pas, qui est sourde aux arguments de spécialistes, qui a son agenda, qui ne recule devant rien. C’est un rouleau compresseur. Le FCC Bill est l’illustration de ce qu’est le MSM, avec Pravind Jugnauth comme Premier ministre : une Machine Sans Merci pour atteindre des objectifs partisans.

Au Parlement, les différents intervenants de la majorité gouvernementale ont fait ressortir que l’objectif est uniquement de combattre les crimes financiers et la corruption. Ne faut-il pas donner le bénéfice du doute ?

Oui, il faut lutter contre la fraude et la corruption et c’est bien que le gouvernement y trouve soudain une urgence à un an de la fin de son mandat. Tout n’est pas à jeter dans ce projet de loi. Mais le mode de nomination du directeur général de cette Commission par voie politique, l’affaiblissement du rôle du Directeur des poursuites publiques et du commissaire de police, que beaucoup de voix dénoncent, surclassent tout le reste.

Accorder le bénéfice du doute au FCC bill, ce serait croire encore au Bolom Noël»

Il y a eu des propositions intéressantes lors des débats. M. Paul Bérenger a cité l’exemple des Seychelles, de l’Afrique du Sud. Des formules marchent ailleurs. Mais tout ceci n’est pas entendu. Comme si la majorité construisait une maison en bois en y introduisant une colonie de « carias », de termites. 

J’aimerais bien croire que cette Commission ne sera pas une arme politique. Cela voudrait dire qu’il y a une forme de crédibilité dans ce processus. Le « n’ayez pas peur » de la majorité passe difficilement, quand on sait que plusieurs enquêtes touchant des proches du pouvoir sont en cours. Accorder le bénéfice du doute, ce serait croire encore au Bolom Noël.

Pour certains, le réenregistrement des cartes SIM des portables, en incluant une photo portrait du propriétaire, le projet Safe City en vigueur depuis quelques années déjà, et les techniques d’enquête intrusives de la FCC, ainsi que ses pouvoirs de poursuites sans passer par le DPP, entrent dans la même mouvance. Votre opinion ?


Mis côte à côte, ces éléments constituent un assemblage très inquiétant. Cela dit, je ne mettrais pas tout sur le même plan. Pour les cartes SIM, par exemple, certains pays prennent beaucoup de précautions à cause des risques terroristes. 

À Maurice, le paysage politique s’est très peu renouvelé. Mêmes visages, mêmes noms, comme si c’était une affaire de famille»

Mais pour le reste, c’est à chaque fois une gifle à nos libertés individuelles. Prenons le projet Safe city. Il devrait normalement nous rassurer. Mais dans le cas de l’affaire Kistnen, les caméras semblent avoir été prises d’amnésie. Nous avons là un arsenal de surveillance, davantage perçu comme des restrictions de libertés et des atteintes aux institutions indépendantes que des instruments démo-cratiques. 

L’IBA Act et l’ICT Act ont été révisées, il y a quelques années. La presse écrite n’a pas encore été touchée par ces changements législatifs, malgré les restrictions qui pèsent sur ce secteur. Y a-t-il un risque de voir apparaître une Media Commission ou un Press Council ?

Ce serait la dernière pièce du puzzle, en effet. Et je ne serais pas étonné qu’un projet de loi atterrisse avec un certificat d’urgence pour réglementer les contenus de la presse. Et notre presse mauricienne n’aura que ses yeux pour pleurer, car elle n’a pas su trouver d’accord au sein de ses membres pour établir des règles d’autorégulation. 

Il est aujourd’hui urgent que les patrons de presse, que les rédacteurs en chef, que les groupements de journalistes, se réunissent et s’accordent sur ces règles d’autorégulation. Au regard du mode de fonctionnement de l’actuelle majorité, où il n’y a pas de culture de consultations, il ne faudra pas s’étonner qu’un Press Council soit imposé et qu’il ne soit pas une émanation de la presse. 
Aujourd’hui, l’Independent Broadcasting Authority peut juger d’un contenu diffusé dans un journal radio. Cela devrait vous alerter, chers confrères ! The clock is ticking!

Malgré les allégations de confiscation des libertés proférées par certains, c’est un fait qu’au niveau de la population, cela ne semble pas être un problème majeur. Depuis les grandes manifestations à Port-Louis et à Mahébourg dans le cadre du naufrage du MV Wakashio, on n’a plus vu de mobilisation de la population…
Je ne pense pas que la population se désintéresse de cette situation et ferme les yeux. Elle prend note et attend son heure. 

Une bonne partie – celle qui ne bénéficie pas de largesse, de contrats, d’avantages – est désabusée et vit avec cette confiscation qu’elle espère temporaire. D’autres n’y pensent pas, car leurs priorités sont ailleurs : boucler les budgets mensuels, s’assurer de pouvoir nourrir toute la famille, avoir un toit, gérer les problèmes d’eau, soigner les malades et accompagner les personnes âgées, faire attention aux dépenses, « tracer » le matin pour manger le soir, vivre avec un enfant, une épouse, un époux drogué, couvrir les frais d’études des enfants à l’étranger, avec une roupie affaiblie… Je pourrais continuer la liste. 

Pour le Wakashio, les Mauriciens ont pris la rue parce que notre île était souillée, blessée. Il faut aussi dire que c’était difficile de les identifier avec les masques chirurgicaux en période de Covid. Les autorités savent que cela pourrait se reproduire. 

On constate un manque de confiance des Mauriciens dans leurs leaders politiques. Est-ce un problème cyclique, un phénomène mondial ou quelque chose de très localisé ?

Cela se voit dans de nombreux pays. Des changements de régimes interviennent dans plusieurs pays. À Maurice, le paysage politique s’est très peu renouvelé. Mêmes visages, mêmes noms, comme si c’était une affaire de famille. Ceux qui traitaient sir Seewoosagur Ramgoolam d’un indélicat « vieux chicot » lors de la campagne de 1982 ont largement dépassé ce stade. 

Mais il y a encore beaucoup de personnes qui croient fermement dans leurs leaders. Quant aux indécis, il se posent des questions. Est-ce que celui qui a été poussé hors du pouvoir il y a 9 ans peut revenir comme un homme neuf, sans tous les excès qu’il traîne comme des casseroles ? Est-ce que ceux qui sont inamovibles à la tête de leur parti et ne veulent pas céder la place peuvent parler au nom de l’avenir ? Est-ce que ceux qui ont défendu l’indéfendable et se retrouvent maintenant dans l’opposition sont dignes de confiance ? Et que recherche l’actuel régime avec ses lois menaçant nos libertés ? Garder le pouvoir et l’étendre à tout prix ? Sera-t-il capable d’écouter s’il revient au pouvoir ? 

Qui parmi eux pour porter Maurice face à tous les défis internationaux, les guerres et les bouleversements climatiques qui nous affectent directement ? Qui pour redonner espoir aux parents et aux jeunes pour travailler pour le pays et ne pas partir ? Qui pour dissuader des Mauriciens à consommer de la drogue ? 
Les leaders devraient arriver à apporter des réponses à cela. Mais il est plus simple pour eux de s’attaquer et se répondre face à la presse.

Que faire pour renverser la tendance ?

Que ceux qui ont fait leur temps laissent la place et prennent un rôle de coach, plutôt que prétendre être sur la piste du sprint. Qu’ils permettent l’émergence de leaders dans leurs rangs ou de nouveaux leaders, femmes et hommes d’expérience qui peuvent apporter leur contribution, au lieu de rester dans l’ombre du leader ou assis en conférence de presse. En sachant partir, on laisse un héritage et l’Histoire décide de la suite. 

Je pense que le degré d’animosité entre tous ces anciens partenaires, amours et amis est tel que nous devons nous attendre à tout»

Il faudrait aussi que les médias donnent une juste place, bien dosée, aux hommes et femmes politiques installés et ne ferment pas la porte aux autres idées. L’espace médiatique compte énormément, car il permet à de nouvelles voix d’atteindre le public. Les Mauriciens verront peut-être, à ce moment, celle ou celui dont ils sont fiers et qu’ils souhaiteraient voir les diriger ou au moins participer à un gouvernement. 

Il y a, dans notre pays, des femmes et des role models, qui n’ont rien à prouver dans leurs secteurs respectifs, qui existent sans avoir à flatter qui que ce soit et qui brilleront même hors du pouvoir. Leur présence s’imposera bien un jour ou l’autre, car les parlementaires actuels et leurs recettes ne sont pas éternels.

Est-ce que les politiciens, surtout ceux des partis parlementaires, sont en porte-à-faux face aux besoins réels de la population ?

Je ne mettrais pas tout le monde dans le même panier. Il y a des députés proches de la population dans les deux camps. Certains travaillent dans la discrétion et leurs actions ne résonnent pas. D’autres ne font pas grand-chose et le silence leur convient très bien. 

Mais la perception de beaucoup est que les partis parlementaires sont davantage concentrés sur un pouvoir à conserver ou à obtenir que les besoins de la population. Prenez ce Financial Crimes Commission Bill. Est-il prioritaire aujourd’hui sous cette forme ? Est-ce qu’une nouvelle polémique était nécessaire en cette fin d’année ?

Plusieurs partis ont fait surface, ces derniers temps. Ceux-ci se sont aussi lancés dans le jeu des alliances, donnant ainsi l’impression que c’est « more of the same thing ». 

Oui, avec déjà des mariages malheureux ! Je m’interroge sur ces liaisons passagères qui révèlent des erreurs de jugement. Une saison des amours où le risque est de perdre des plumes trop tôt. Il y a peut-être eu de l’empressement pour saisir au vol un potentiel partenaire devenu intéressant. Cela dit, pour faire élire des députés, les alliances sont quasi inévitables avec notre système actuel. Il faut juste trouver le bon timing. 

On constate aussi qu’ils peinent à décoller, comme énormément d’autres formations politiques avant eux, alors que des sondages indiquent qu’il y a une certaine soif de sang nouveau au niveau de la population. Comment l’expliquer ?

La recette proposée, les discours de certains ne tranchent peut-être pas assez ou bien sont perçus comme tapageurs et insupportables. Vous faites référence, je pense, à l’enquête commanditée par votre confrère l’express et publiée le 31 octobre dernier. Elle dit que chez les moins de 50 ans, 72,6 % souhaitent un nouveau parti avec un nouveau leader.

Et près de 68 % des Mauriciens souhaitent l’émergence d’un nouveau leader politique, selon la même enquête. Cela voudrait donc dire que ces personnes ne sont pas satisfaites de l’offre actuelle des nouveaux partis politiques et pourtant, il y en a eu beaucoup depuis les dernières législatives. 

Il faut plaire aux personnes âgées, arriver à toucher les jeunes pour les convaincre, séduire les actifs qui voient leur pouvoir d’achat sombrer. Ce n’est pas simple, si on est nouveau. Dans une semi-discrétion, des initiatives sont en cours pour faire émerger une personne qui, selon ses parrains, pourrait avoir le bon profil technique et ethnique. Nous verrons ce que cela donne. 
Au-delà de cet aspect, ce sont les qualités humaines qui devront primer. Tout nouveau leader doit avoir un cœur pour gouverner aujourd’hui. 

Les élections générales auront très probablement lieu l’année prochaine. Pensez-vous que la campagne électorale sera différente des autres ? Si oui, pourquoi ?

Le Premier ministre a assuré qu’il ira au bout de son mandat. Je veux espérer que des méthodes loyales seront utilisées, qu’on parlera programme plutôt que « viagra », mais je pense que cette campagne sera sans pitié. 
Il faut y ajouter le doute distillé sur la fiabilité de la Commission électorale par l’opposition. C’est un discours qui a troublé beaucoup de citoyens. Je reste confiant en l’investissement de notre Commission électorale pour maintenir des élections organisées de manière professionnelle. 

Pour le reste, je pense que le degré d’animosité entre tous ces anciens partenaires, amours et amis est tel que nous devons nous attendre à tout. Pour certains membres du public, ce sera du folklore, du cinéma à suivre. Pour d’autres, un moment consternant à subir.

Que souhaiter pour Maurice en 2024 ?

Que la solidarité prime durant l’année ! Que nous puissions faire face aux nombreux défis de manière sereine et posée ! Que nous ayons toujours un regard sur les personnes âgées, nos racines ! Que nous tendions la main aux plus pauvres qui n’arrivent pas à suivre ! Que le feel good factor ne soit pas juste pour les dirigeants politiques, mais pour notre démocratie ! 

Bonne fin de 2023 et bonne année 2024 à toutes et à tous !

 

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