Interview

Jean-Claude de l’Estrac, observateur politique : «Que Pravind Jugnauth soit le Premier ministre de l’ouverture»

Jean-Claude de l’Estrac

En fin observateur, Jean-Claude de l’Estrac considère que la politique à Maurice est d’une grande pauvreté sur le plan intellectuel. Le pays, dit-il, a désespéremment besoin de nouvelles compétences. C’est ainsi qu’il s’attend à ce que Pravind Jugnauth soit le Premier ministre de l’ouverture.

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Le marketing de l’Alliance Lepep  pour son élection a été la réalisation d’un  deuxième miracle économique par sir Aneerod Jugnauth et Vishnu Lutchmeeraidoo. Le premier vient d’annoncer son retrait et le second est aux Affaires étrangères. Pravind Jugnauth peut-il légitimement diriger le pays ?
Absolument. Le marketing électoral est une chose, la Constitution en est une autre. Pravind Jugnauth deviendra légitimement, et constitutionnellement, Premier ministre lorsqu’il fera la démonstration qu’il est soutenu par une majorité de parlementaires. C’est la seule condition fixée par la Constitution.

Le reste est de l’ordre des aléas politiques. L’histoire du « miracle économique » est un slogan politique, bien naïfs sont ceux qui ont cru que l’on pouvait faire en 2015 ce qui avait été réalisé en 1982-90 dans un tout autre contexte.

Je dis 1982 à dessein, parce que c’est fausser l’histoire que de ne pas reconnaître que le fondement du « miracle », le redressement des comptes, se trouve dans les mesures impopulaires décidées dans le budget de 1982 par Paul Bérenger, notamment l’imposition de la Sales Tax qui deviendra la Taxe sur la valeur ajoutée (TVA).

Est-ce son âge qui pousse le Premier ministre à partir, les bisbilles au sein de son équipe qui ne font que tuer des projets dans l’œuf, ou simplement un plan prédéfini qui permet à son héritier d’accéder enfin au poste suprême sans passer par les urnes ?
Il est évident que ce scenario était écrit d’avance. L’avenir premier ministériel de Pravind Jugnauth s’est tracé le jour, où le Mouvement socialiste militant (MSM) lui a confié les rênes du parti. Dans le système de Westminister qui est le nôtre, le Premier ministre n’est pas élu au suffrage universel. Il est l’élu de l’Assemblée nationale. Comme Theresa May récemment au Royaume-Uni.

Et quant aux bisbilles, il faut avoir la mémoire courte pour ne pas se rappeler que pratiquement tous les gouvernements qui se sont succédé ont été en butte à des conflits internes incessants. Peut-être que l’Alliance Lepep a une propension, une grande, à se tirer des balles dans les pieds. Et puis c’est incontrôlable une bête à deux têtes et à trois pieds.

N’assistons-nous pas finalement à un Remake de 2000 ? Avec un partage du pouvoir entre père et fils ?
Je ne comprends pas. Il n’y a pas que le père et le fils, il y a surtout le parti. Anerood Jugnauth a bien entendu souhaiter que son fils prenne le relais et le parti a suivi. C’est toujours la même ritournelle. Le Parti travailliste exploite le brand name Ramgoolam, le MSM le brand name Jugnauth, et même au Mouvement militant mauricien (MMM), il  y a des « militants » qui fantasment sur Paul-Emmanuel Bérenger. La vie politique mauricienne est d’une grande pauvreté sur le plan intellectuel.

«Notre administration publique est sclérosée, notre secteur privé, à l’exception de quelques groupes, manque d’inspiration»

En 1983, certains au MMM voulaient faire remplacer Anerood Jugnauth par Paul Bérenger, celui-là même qui avait la majorité à l’Assemblée nationale. Le Premier ministre avait alors appelé à des élections anticipées. Ne devrait-il pas faire la même chose aujourd’hui ?
Je n’ai pas participé personnellement à cette réunion du MMM, ayant été au même moment chez Anerood Jugnauth, avec d’autres camarades, en train d’essayer de recoller les morceaux d’un rêve brisé. Apparemment, Swaley Kasenally, député MMM, alors l’expert des pratiques parlementaires au sein du parti, avait  évoqué au cours de cette réunion, les options constitutionnelles à la sortie de crise politique dans laquelle se trouvait le pays.

Mais que je sache, personne n’avait proposé de chercher à mettre le Premier ministre en minorité parlementaire. C’est ce qu’un participant à la réunion lui a fait croire. Fidèle à lui-même, Anerood Jugnauth a réagi au quart de tour, en provoquant des élections anticipées. Mais pas avant d’assurer ses arrières, en faisant alliance avec ses adversaires d’hier. C’est ce qui lui vaut depuis une solide réputation d’opportuniste.

Xavier-Luc Duval avait claqué la porte au nez du fils, préférant négocier avec le père pour la conclusion d’une alliance avec le MSM. Les deux  semblant tout à fait opposés, pensez-vous qu’il y a un risque que le leader du PMSD quitte le navire avant terme ?
Je ne suis pas au courant de ce dont vous parlez. Ce que je sais, c’est que le PMSD n’a aucune raison de quitter le navire en pleine mer. Lorsque l’on se rapprochera du port, quand la question du prochain voyage se posera, Xavier-Luc Duval, marin au long cours, décidera en fonction des vents qui soufflent.

Comment analysez-vous le bras de fer opposant Vishnu  Lutchmeeraidoo et Gérard Sanspeur à Roshi Bhadain ? Le ministre de la Bonne gouvernance ne risque-t-il pas d’y laisser des plumes à la faveur d’un nouveau remaniement ?
Bataille d’égo est le terme le plus approprié. Roshi Bhadain est peut-être animé de meilleures intentions, mais il fait montre d’un piètre sens politique. Cela dit, je ne crois pas qu’il soit menacé dans le court terme.

Quel bilan faites-vous des 21 mois de l’Alliance Lepep au pouvoir ?
Je ne suis pas pressé de dresser ce bilan, il faut attendre encore un peu, dans un an. Le problème politique de l’Alliance Lepep, c’est l’inflation… de ses promesses. Autrement, la situation n’est pas désespérée. Loin s’en faut.

Quels seraient vos conseils à Pravind Jugnauth pour être un bon Premier ministre et éviter que son équipe n’implose avant les prochaines élections ?
Bien entendu, je n’ai pas de conseils à donner au futur Premier ministre. Mais je sais quelles sont les conditions qui seront requises pour propulser le pays à un nouveau palier de son développement. Il faut s’ouvrir davantage. Nous avons désespérément besoin de nouvelles compétences, de nouvelles méthodes de gestion, de nouvelles technologies. Nous n’avons pas dans le pays toute l’expertise voulue, notre administration publique est sclérosée, notre secteur privé, à l’exception de quelques groupes, manque d’inspiration. On étouffe dans la maison Maurice, il faut ouvrir les portes et les fenêtres. Un vœu plus qu’un conseil : que Pravind Jugnauth soit le Premier ministre de l’ouverture.

Avec tout ce qui se trame au sein de l’Alliance Lepep, peut-on s’attendre à un come-back de Navin Ramgoolam ?
En politique, il n’y a pas de mort définitive. Anerood Jugnauth et son parti avaient été terrassés en 1995. Il parlait lui-même d’un « bate bef ». Il est revenu de cette défaite, et de quelle manière. De même, le Parti travailliste et sans doute Navin Ramgoolam lui-même n’ont pas encore dit leur dernier mot. 

 

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