Jean Claude de l’Estrac, ancien ministre, journaliste et observateur politique critique la décision du gouvernement d’entraver l’accès aux réseaux sociaux, qu’il considère dangereuse pour la liberté des Mauriciens.
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En quoi la suspension de l’accès aux réseaux sociaux pourrait-elle influencer les dynamiques et les enjeux des prochaines élections ?
Jupiter rend fous ceux qu’il veut perdre. Nous en sommes là. Jugnauth et sa clique paieront un lourd tribut pour cette décision de brimer encore davantage le libre arbitre des Mauriciens. Vraiment ces hommes sont dangereux !
Quels facteurs-clés inciteront les électeurs à se rendre aux urnes et influenceront leur choix ?
Il y a là deux questions auxquelles on ne peut pas répondre avec certitude. Mais à la question de savoir quels facteurs pourraient inciter les électeurs à voter, on peut rappeler que les électeurs, dans leur immense majorité, ne ratent jamais d’exercer leurs devoirs aux grandes élections. Le taux de participation ici est traditionnellement bien plus élevé de ce que nous constatons dans les démocraties comparables.
Les élections de 2024 présentent ceci d’inédit qu’elles offrent aux électeurs un choix encore plus large que la traditionnelle joute bloc contre bloc. Ce n’est pas pour dire que la nouvelle configuration que représente Linion Reform est déjà une nouvelle force capable de rivaliser avec les deux blocs constitués de partis de gouvernement, mais elle est une offre politique susceptible de parler à un électorat fatigué de voter les mêmes éternels politiciens. Pour cette raison, je ne suis pas loin de prédire un taux de participation très élevé.
Qu’est-ce qui influencera le choix des électeurs est plus difficile à cerner. Mais on voit clairement ce que les deux principaux blocs leur proposent. D’un côté, L’Alliance Lepep semble considérer que l’électeur est surtout sensible à ce qui est mis dans sa poche. Elle a multiplié les offres sonnantes et trébuchantes à différentes catégories. Il est probable qu’un certain nombre d’électeurs se laisseront influencer par ces propositions qu’ils perçoivent comme un soulagement financier.
De son côté, l’Alliance du Changement, tout en renchérissant démagogiquement sur ces propositions, accorde un plus grand intérêt aux questions de bonne gouvernance en capitalisant sur les choquants manquements du gouvernement sortant. Les critiques sur les questions de corruption, de népotisme, de clientélisme et d’autoritarisme, ainsi que les récentes révélations sur les abus et les dérives des plus hauts responsables de l’État, indignent une bonne partie de l’électorat qu’il soit rural ou urbain. Ce sera peut-être l’élément déterminant !
Dans quelle mesure les programmes des trois blocs peuvent-ils être déterminants dans l’orientation des votes ?
Dans aucune mesure ! Malheureusement les électeurs n’accordent aucun intérêt aux programmes des partis, ils ne les lisent pas. Les partis eux-mêmes ne font pas un gros effort pour populariser leurs programmes. Ils ont sans doute raison, leurs programmes soulèvent plus de questions qu’ils n’apportent de réponses.
En l’occurrence, les programmes de tous les blocs présentent les mêmes faiblesses : leurs propositions financières ne sont pas chiffrées. Tous les programmes annoncent des augmentations substantielles des dépenses publiques, déjà trop élevées, sans préciser comment elles seront financées.
Il est probable que tous les partis spéculent sur la rente en négociation pour la location de Diégo Garcia aux Anglais qui sous-louent l’île aux Américains. Je ne suis pas sûr que le loyer qui sera éventuellement payé soit à la hauteur des attentes. En tout cas, nous sommes en train de vendre la peau de l’ours avant de l’avoir tué…
Déjà, la situation économique du pays n’est pas aussi rose que l’on cherche à décrire. Dans le flot des révélations des derniers jours, il y a une qui n’a pas retenu toute l’attention qu’elle mérite. C’est la conversation entre le ministre Mahesh Gobin et le conseiller Zouberr Joomaye où ils évoquent la gravité de la situation économique. Il n’est pas clair de quand datent ces inquiétudes mais il est bruit que le gouvernement fait face à des soucis budgétaires en cette fin d’année.
Quel pourrait être l’impact d’une « troisième force » dans ce contexte électoral inédit ?
Je vous l’ai dit, je crois qu’il est prématuré de parler de « troisième force ». C’est le rendez-vous de 2029. Mais pour cette fois, Linion Reform, dans deux ou trois circonscriptions, aura la capacité de gêner considérablement l’Alliance du Changement puisque les deux puisent leurs soutiens dans le même vivier électoral de l’opposition. Je vois trois ou quatre personnalités connues de Linion Reform réaliser des scores honorables en régions urbaines mais je ne les vois pas obtenir suffisamment de suffrages pour se faire élire.
Je ne connais pas les candidats indépendants, dont certains se regroupent, pour pouvoir mesurer leur impact mais j’imagine qu’ils auront du mal à percer au bout d’une campagne qui est si courte. Je vois bien que quelques-uns ne sont là que pour grappiller quelques voix au détriment de l’Alliance du Changement.
Je suis amené à penser que la campagne électorale prend une telle tournure depuis quelques semaines que l’électeur de l’opposition pourrait être incité au vote utile. Mais il reste encore une douzaine de jours jusqu’aux élections, en politique c’est une éternité. Tout peut arriver.
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