Interview

Jaylall Boojhawon, inspecteur de police : «Il n’y a aucune dérive au sein de la police»

L’inspecteur Jaylall Boojhawon revient sur les récentes arrestations de policiers impliqués dans le trafic de drogue. Il ne faut pas généraliser et affirmer que la mafia a infiltré la police, selon lui. L’inspecteur de police plaide pour que les forces de l’ordre aient le droit de se syndiquer.

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Êtes-vous aussi scandalisé que le grand public d’apprendre que des policiers sont impliqués dans le trafic de drogue ?
Attristé, mais pas scandalisé. Je comprends la réaction du public. Un officier de police a le devoir de faire respecter la loi dans toute sa rigueur. C’est inacceptable, s’il s’engage dans un délit grave comme le trafic de drogue. Cependant, un policier est un être humain, après tout, et il est vulnérable aux tentations comme tous ceux qui, attirés par l’appât du gain, s’engagent dans des transactions lucratives.

Quand le prestige de l’uniforme est sali, la confiance du public diminue, ce qui est grave pour la force policière…
La police a pour mission de garantir la sécurité de la société et il est très important que qu’elle ait la confiance du public. Sinon, il sera très difficile de mener à bien les différentes missions. La population doit se rendre à l’évidence que, si certains policiers commettent des délits, ce sont leurs propres collègues qui les arrêtent et les conduisent devant une cour de justice pour qu’ils rendent des comptes. Cela, tout en sachant qu’ils risquent 30 à 40 ans de prison ferme. Nous méritons pour cela un grand bravo.

« Si un policier commet un délit, ce n’est pas nécessairement à cause d’un manque de discipline ou d’accompagnement, mais c’est plutôt une décision personnelle et chacun doit en assumer les conséquences »

À quoi attribuez-vous cette dérive ?
Écoutez, il n’y a aucune dérive au sein de la force policière elle-même. Le policier qui commet un délit fait un choix purement personnel, par appât du gain.

Le travailleur social Ally Lazer affirme que la mafia a infiltré la force policière. Qu’en pensez-vous ?
C’est exagéré. Dire que la mafia s’est infiltrée au sein de la force policière est disproportionné. On veut créer une psychose, alors que les policiers abattent un gros travail. Il n’y a qu’à voir l’opération musclée menée cette semaine à Cité Sainte-Claire, Goodlands. Au contraire, c’est nous, les policiers, qui infiltrons la mafia. Nos opérations portent leurs fruits. Et puis, ce n’est pas à cause de deux ou trois policiers probablement impliqués qu’il faut tirer des conclusions hâtives. À travers le monde, il y a des policiers qui sont de mèche avec la mafia. Ce n’est pas pour autant qu’il faut pointer du doigt toute la force policière.

Le commissaire de police a dit que, derrière chaque criminel, il y a un être humain. Êtes-vous de cet avis ?
Oui. L’erreur est humaine, dit-on. C’est un fait que personne ne naît criminel, mais le devient par la suite pour diverses raisons. Généralement, la décision de commettre un délit est purement personnelle. Dans d’autres cas, il y a des forces extérieures, les aléas de la vie, qui poussent à faire des actions répréhensibles. Cela pourrit la vie de l’auteur du crime et celles de ses proches. Ces derniers souffrent énormément de tels actes irréfléchis.

À entendre le nombre de délits commis par des policiers, on a l’impression que la discipline est en déclin au sein des forces de l’ordre.
La discipline au sein de la police est primordiale et indispensable. Sans discipline, on est foutu. La discipline est toujours là mais, avec le temps, on a tendance à trop assouplir les choses. La formation et la discipline qu’ont connues les anciens, qui font honneur à la force policière, semblent être qu’un souvenir. Il faut une discipline plus rigide, comme dans les pays occidentaux. Mais, je le redis, si un policier commet un délit, ce n’est pas nécessairement à cause d’un manque de discipline ou d’accompagnement, mais c’est plutôt une décision personnelle et chacun doit en assumer les conséquences.

Que diriez-vous à ceux qui pensent que cette situation est due aux liens incestueux entre les Casernes centrales et l’Hôtel du gouvernement ?
Le mot « incestueux » est trop fort. La population a élu un gouvernement pour administrer le pays. Il y a donc des policy decisions à mettre en place, comme la lutte contre la drogue. C’est donc nous, les policiers, qui devons accomplir cette tâche. La séparation des pouvoirs, comme préconisée par notre Constitution, est notre salut. On ne peut refuser d’obéir aux instructions. Nous pouvons dire que nous avons une police indépendante et impartiale. 

À chaque changement de gouvernement, il y a des transferts aux postes clés. Cela signifie-t-il qu’il n’y a pas de continuité dans la force policière ?
C’est une évidence que chaque régime a sa propre façon de gérer les choses, mais si on a un commissaire de police qui est fort dans sa tête et refuse de se laisser dicter, la bataille est gagnée d’avance. Je crois que c’est actuellement le cas et les mutations dont vous parlez sont quasi inexistantes.

Certains policiers se disent frustrés par les transferts punitifs à la suite des complaintes de personnes influentes ou de VIP.
Les mutations obscures ont toujours existé et on n’est pas au bout de nos peines. Dans la plupart des cas, lorsqu’un policier est muté, il ne sait pas pourquoi. Une telle situation engendre son lot de frustration. L’affaire du marsan briani, à Quatre-Bornes, est un exemple flagrant, où des policiers ont été injustement mutés. Mais les choses ont évolué. Dernièrement, les journaux ont fait état d’un accrochage entre un haut gradé et un député à Mahébourg. Or, le policier est toujours en poste. J’espère qu’il en sera ainsi dorénavant, sinon ces personnes influentes feront la pluie et le beau temps au sein de la force policière.

En somme, quel est le mal dont souffre la force policière ? Que préconisez-vous pour redorer son blason ?
Comme dans une famille, tout n’est pas toujours rose. La police a, de plus, besoin d’un nouveau souffle. Les policiers en souffrent. On attend toujours d’obtenir le droit de se syndiquer pour faire bouger les choses. Le cas est devant la justice depuis 2012 et la Cour suprême tarde à rendre son verdict. L’État et le commissaire de police ont fait connaître leur position. Le procès a été renvoyé au 17 novembre. Le gouvernement tarde à nous offrir ce droit légitime, comme promis dans son manifeste électoral, même si je suis certain qu’il tiendra parole. Notre fédération, actuellement dirigée par mon équipe, la Police Officers Solidarity Group, n’a pas la puissance d’un syndicat et ne peut pas faire bouger les choses comme on le souhaiterait. Si un policier est motivé et déterminé, il ou elle peut faire des merveilles dans l’intérêt de la société. Les policiers sont des êtres humains, des fonctionnaires qui méritent une attention particulière, prenant en compte la nature de leur dur métier. Je suis bien placé pour comprendre les maux dont souffrent mes collègues et nous voulons les aider, mais il nous manque cette marge de manœuvre qu’ont tous les autres fonctionnaires, c’est-à-dire de pouvoir dire ouvertement les choses quand cela est nécessaire.

 

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