Les conditions des travailleurs s’améliorent avec le revenu minimum garanti qui passe à Rs 18 500 dès janvier. Mais il y a encore du pain sur la planche pour arriver à un niveau vraiment satisfaisant. Jane Ragoo, secrétaire générale de la Confédération des travailleurs du secteur public et privé (CTSP), commente les chantiers qu’il faut travailler l’année prochaine. Elle souligne la nécessité d’apporter des réformes.
À partir de fin janvier, le salaire minimum passe à Rs 15 000. Avec les aides de l’État, aucun salarié à plein temps ne devrait gagner moins de Rs 18 500. Est-ce suffisant aujourd’hui pour permettre à un travailleur de vivre décemment ? Si la réponse est non, quel devrait être le seuil ?
Il faut se rappeler que nous avons enfin un salaire minimum national depuis janvier 2018. Ceci fait suite à la grève de la faim de 10 jours menée en octobre 2017 par Reaz Chuttoo et moi-même avec six femmes qui exerçaient le métier de Cleaners. Elles touchaient un salaire misérable.
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Avant l’introduction du salaire minimum national, il y avait différents salaires minimaux qui dépendaient, entre autres, du secteur dans lequel le métier était exercé. Les salaires minimaux étaient disséminés dans une trentaine de Remuneration Orders. En 2018, le gouvernement a introduit le salaire minimum national qui était alors de Rs 9 000.
Depuis, il a augmenté par Rs 6 000. Le 1er mai dernier, à l’occasion de la fête du Travail, la CTSP avait scandé sa demande pour que le salaire minimum national passe à Rs 15 000. La justification était que notre « panier ration », que nous avons débuté en 2006, pour une famille qui se situe tout en bas de l’échelle sociale et qui est composée de deux parents et de deux enfants, qui était alors à Rs 6 000, était passé à Rs 15 000 au début de 2023.
Ce même « panier ration » représente uniquement la sécurité alimentaire et ne tient pas compte des autres dépenses qu’une famille peut avoir. Maintenant, le gouvernement a aussi décidé d’accorder une compensation salariale de Rs 1 500 qui sera indexée sur ces Rs 15 000, sans compter la CSG Allowance de Rs 2 000.
En d’autres mots, il reconnaît que le salaire minimum national devrait être de Rs 18 500 pour la catégorie au plus bas de l’échelle salariale. Je pense notamment aux Cleaners, aux Carers, aux Attendants, etc.
Mais ces Rs 18 500 ne sont toujours pas suffisants. C’est Statistics Mauritius qui le dit, pas nous. Se basant sur le Household Budget Survey (HBS) de 2017 pour une famille de quatre personnes, c’est-à-dire deux adultes et deux enfants, le salaire social (Living Wage) pour cette famille devrait être de Rs 37 850. Si on fait le compte pour une personne, on arrive au chiffre de Rs 27 035.
Conclusion : le salaire minimum national pour une sécurité alimentaire uniquement devrait être de Rs 16 500, mais en réalité, cette même personne aurait dû toucher Rs 27 035 pour pouvoir subvenir à ses autres besoins. Toujours est-il que ce chiffre augmentera encore l’année prochaine quand le nouvel HBS sortira.
Le gouvernement a indiqué qu’il paiera cette compensation applicable aussi à partir de fin janvier et qui varie de Rs 1 500 à Rs 2 000 pour les travailleurs d’entreprises exportatrices, qui produisent pour le marché local, les organisations non gouvernementales (ONG) ainsi que les petites et moyennes entreprises (PME) ayant un chiffre d’affaires de moins de Rs 100 millions. On constate que le gouvernement débourse de plus en plus pour intervenir dans les revenus des travailleurs du secteur privé. N’est-ce pas là une situation dangereuse quand l’État prend autant à sa charge ?
Certes, l’État prend un risque énorme. Mais peut-il faire autrement, en sachant que s’il n’aide pas, il y a le risque d’une explosion sociale. Par contre, ce que l’État devrait faire aussi, c’est de vérifier si ces catégories mentionnées ont vraiment besoin qu’on les aide. Il ne faudrait pas mettre tout le monde dans le même panier.
Vérifiez les audited and certified statements of account. N’oublions pas que c’est nous-même, les contribuables, qui paieront. Alors aider oui, mais judicieusement et à court terme pour permettre à ces entreprises dans le besoin de tout faire pour se tenir sur leurs propres jambes afin d’éviter la fermeture. Mais je ne suis pas sûre qu’il faille accorder ce soutien à long terme.
Le ministre du Travail, Soodesh Callichurn, a parlé, lors d’une conférence de presse mercredi, d’un rapport sur des réajustements salariaux à la suite du nouveau barème du salaire minimum. Y a-t-il un gros travail à faire à ce niveau, selon vous ?
Il y a effectivement du pain sur la planche. Le travail a déjà commencé pour mettre fin à beaucoup d’inégalités salariales. Prenons l’exemple de la fonction publique qui est régie par le Pay Research Bureau (PRB). Il y a une seule échelle salariale qu’on appelle le master scale. Il incorpore les différentes échelles des salaires et des grades en commençant par le plus bas.
Pourquoi ne pas adopter la même formule pour le secteur privé ? On ne peut avoir différents salaires pour le même job juste parce que les secteurs d’activité sont différents. Afin de parvenir à harmoniser le tout, il faudrait cesser de travailler en silo.
Il faudrait un forum tripartite avec des représentants du patronat, du gouvernement et des syndicats qui comprennent le but de l’exercice pour mettre un terme, une bonne fois pour toutes, aux inégalités et aux discriminations. Avec un peu de bonne volonté, tout est possible.
Il a récemment aussi été question d’une révision des Remuneration Orders tous les quatre ou cinq ans, c’est-à-dire plus ou moins au même rythme que le rapport du Pay Research Bureau pour la fonction publique. Est-ce une bonne chose ?
C’est une demande de tous les syndicats du privé depuis des lustres. Cela a été finalement décidé en octobre 2019 et on se réjouit que ce sera bientôt chose faite. Il faut éliminer les discriminations entre la fonction publique et le secteur privé.
Au supermarché, on achète nos denrées au même prix quand on passe à la caisse. Il n’y a pas de caisse séparée pour les fonctionnaires et une autre pour les employés du secteur privé. Tout le monde devrait être logé à la même enseigne.
N’y a-t-il pas une crainte que Maurice devienne une destination trop chère pour les investisseurs ?
Je suis dans le monde du travail depuis 40 ans. C’est ce que j’ai toujours entendu. Je n’y crois pas. Il faut cesser d’être hypocrite et pessimiste. Je parle là des prophètes de malheur qui ressassent le même discours depuis des lustres.
On constate aussi que de par la loi, les travailleurs qui gagnent plus de Rs 50 000 se retrouvent dans une catégorie différente. Ceux-ci ne bénéficient pas de certains avantages auxquels ont droit leurs collègues qui tombent en-dessous de ce barème. Est-ce qu’on peut parler ici d’une inégalité entre travailleurs ? Ce niveau de salaire correspond-il aujourd’hui à ce qu’on devrait considérer comme un « gros salaire » ? Ce barème devrait-il être revu ?
Écoutez, je représente surtout les travailleurs au bas de l’échelle, notre combat a toujours été d’améliorer leur niveau de vie. Depuis 2017, avec la grève de la faim de 10 jours, les choses ont progressé. Le problème est que ceux qui touchent plus de Rs 50 000 adhèrent rarement à un syndicat, sauf lorsqu’il s’agit de la fonction publique où on fait partie de syndicats, et ce peu importe le salaire.
Cela dit, je pense que ce barème devrait en effet être revu, à la lueur de ce qui se passe plus bas. Mais vous pensez que si ceux concernés restent dans leur coin et ne font que se plaindre sur les réseaux sociaux, cela changera quelque chose ? La réponse est un grand non ! « Ou anvi fer omlet, ou bizin kas kas dizef la kamarad. »
Quels sont aujourd’hui les principaux défis auxquels sont confrontés les travailleurs ? Quelles sont les priorités pour 2024, une année qui sera d’ailleurs électorale ?
Il faudrait définitivement venir avec un forum indépendant ou une instance indépendante pour les comités disciplinaires. C’est une énorme souffrance pour les travailleurs du secteur privé. Le patron est « juge et partie » car c’est lui qui nomme celui qui siégera au comité disciplinaire. La CTSP a participé à plus de 60 comités disciplinaires en 2023.
Le patron ne réalise pas le drame qui se produit lorsqu’une personne perd son emploi. Cela doit s’arrêter. Dans la fonction publique, les choses se passent de manière totalement différente. Un travailleur peut être suspendu pendant des années et continuer à percevoir son salaire qui est payé par nous, les « tax payers ».
On s’attend aussi à un changement concernant la catégorisation des différents grades dans le secteur privé en mars 2024, comme annoncé par le ministre Callichurn.
Pour ce qui est de la famille, on attend des décisions positives de la part des ministres Padayachy et Callichurn afin que le congé parental puisse passer à six mois.
Les deux parents sont responsables pour la venue de l’enfant. L’enfant devrait pouvoir déjà s’asseoir avant de passer en garderie et pas avant. Certains pays proposent même 12 mois de congé parental. Ce n’est pas difficile de passer à six mois avec l’aide de l’État mais aussi des patrons. Faisons-le pour la protection des nouveau-nés.
Le ministre des Finances, Renganaden Padayachy, a reconnu que l’argent récolté sous la Contribution sociale généralisée (CSG), qui devait servir à payer les retraites, est terminé. Y a-t-il de quoi s’alarmer ?
Non. D’après notre compréhension, il n’y a pas de fonds CSG à proprement parler. Tout l’argent récolté est envoyé dans le Consolidated Fund. S’il y avait un CSG Fund est que la caisse était vide, comment expliquer que les travailleurs continuent à percevoir leur CSG Allowance ?
Paradoxalement, le chômage est toujours bien présent, alors que beaucoup de secteurs, dont l’hôtellerie, la restauration, la manufacture locale, la distribution et les PME, recrutent des étrangers en masse. Est-ce un problème ? Comment renverser la vapeur ?
Il faudrait d’abord commencer à réfléchir sur la réduction des heures de travail. Je pense que les 3 x 8 serait déjà un commencement. Huit heures de travail, huit heures de repos et huit heures de loisirs. Sauf pour ceux qui sont en « shift system » et qui devraient pouvoir travailler moins.
Cela existe déjà à la Mauritius Chemical & Fertilizer Industry Limited où la CTSP représente les travailleurs. Il faut pouvoir attirer les jeunes en leur offrant un salaire décent qui reflète la réalité et leur aspiration à pouvoir avoir une voiture, une maison et de quoi leur permettre de s’épanouir.
Malgré tout, dans certains secteurs, il y aura toujours un besoin d’étrangers. Je pense à la boulangerie, au sea food hub et à la zone franche, entre autres. Ceci s’explique par le fait qu’une bonne partie de notre jeunesse est diplômée ou se prépare à l’être. Cela encore plus avec les études universitaires qui sont devenues gratuites.
Il est donc normal qu’ils n’accepteront jamais un « low-skilled job ». On doit les comprendre et faire en sorte de créer de nouveau jobs dans les filières qui peuvent les intéresser et qui sont orientées vers le futur pour les encourager à rester.
On constate que le taux de syndicalisation est plutôt bas, surtout dans le secteur privé. Comment résoudre ce problème ?
Le faible taux de syndicalisation dans le secteur privé a toujours été ainsi. Les travailleurs eux-mêmes ne font rien pour y adhérer. C’est seulement quand ils sont confrontés à un problème qu’ils comprennent l’importance d’un syndicat.
Mais ce que les travailleurs doivent comprendre c’est que, dans le secteur privé, le salaire préconisé est souvent le minimum. C’est seulement à travers un syndicat et à la suite de l’exigence de l’Employment Relations Act de 2019 que l’employeur est obligé de s’engager dans la négociation collective en vue de signer un accord collectif qui est ensuite enregistré à l’Employment Relations Tribunal. Cet accord qui est signé par les deux parties est supérieure à la loi et améliore les conditions de travail ainsi que les salaires.
À la CTSP, nous sommes fiers de parler des accords signés avec le groupe IBL, C-Care ou encore avec Maurifacility, Noveprim, CEAL, Airmate, GHS, la BACECA et tant d’autres encore. Il n’y a qu’à demander aux travailleurs concernés qui assistent à toutes les négociations faites en présence de leurs délégués.
La CTSP œuvre pour l’amélioration des conditions de travail et les salaires à travers la négociation collective, là où les travailleurs sont syndiqués. Elle aide aussi au niveau national à travers des manifestations et des représentations. C’est comme cela qu’on a eu la Workers’ Rights Act de 2019, le salaire minimum national, le Portable Retirement Gratuity Fund et bien d’autres choses qui profitent à tous les travailleurs, qu’ils soient syndiqués ou pas. Nous sommes Committed To Serve People.
Comment votre organisation envisage-t-elle d’encourager la participation des jeunes travailleurs dans les mouvements syndicaux ?
On est fier aussi de pouvoir dire qu’à la CTSP, la relève est assurée par toute une équipe de jeunes syndicalistes que je voudrais nommer : Vince, Anais, Mathieu, Deeana, Tanya aussi bien que Karen et Marie Noelle. Leur tâche est également de valoriser l’importance d’adhérer à un syndicat. Ils le font sur les réseaux sociaux à travers Facebook, Instagram et TikTok. Reaz Chuttoo et Jane Ragoo ne peuvent qu’être heureux en cette fin d’année. Que la lutte continue ! Solidarite Dan Laksyon !
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