
Rs 3,55 milliards issues de fonds publics ont été investies dans Silver Bank, aujourd’hui sous administration et objet d’une enquête de la FCC. Une réponse parlementaire détaille les entités concernées et l’origine des investissements.
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La question a souvent été posée par l’opposition au gouvernement d’avant novembre 2024, mais elle était restée sans réponse. Mais maintenant, le voile est levé. Un total de Rs 3,55 milliards d’argent public a été investi dans Silver Bank Limited, une banque placée sous administration en février 2024 par la Banque de Maurice et actuellement sous le coup d’une enquête de la Financial Crimes Commission (FCC). Ces informations émanent d’une réponse écrite du Premier ministre Navin Ramgoolam, transmise au Parlement il y a quelques jours, en réaction à une question inscrite à l’ordre du jour du 6 mai dernier par Govinden Venkatasami.
Selon le document soumis par le chef du gouvernement, les fonds publics ont été investis dans la banque à travers plusieurs entités gouvernementales ou liées à l’État. Le Projects Development Fund y a placé à lui seul Rs 3 milliards. Mis en place en avril 2020 par le ministre des Finances d’alors, Renganaden Padayachy, le fonds portait initialement le nom de COVID-19 Projects Development Fund. Il a pour objectif de financer des projets inscrits dans le Programme d’Investissement du Secteur Public, ainsi que tout autre projet, plan ou programme approuvé par le ministre. Il couvre également les services de consultation, de préparation et de conseil associés. Ce fonds soutient notamment la construction de logements sociaux, de grands projets routiers et le développement d’infrastructures à Côte d’Or.
C’est par le biais du Projects Development Fund que le gouvernement a injecté la plus grande part des fonds publics dans Silver Bank. D’autres entités y ont également investi : la National Insurance Company Ltd (Rs 150 millions), NIC General Insurance Co. Ltd (Rs 125 millions), le conseil municipal de Curepipe (Rs 87,7 millions), le Sugar Insurance Fund Board (Rs 40 millions), la Mauritius Housing Company Ltd (Rs 100 millions) et le conseil municipal de Port-Louis (Rs 45 millions).
Dans la même réponse parlementaire, Navin Ramgoolam explique que Silver Bank a été placée sous conservatorship (administration temporaire) par la Banque de Maurice le 13 février 2024, conformément à l’article 65 de la Bank of Mauritius Act. Le chef du gouvernement justifie cette mesure en des termes précis : « Il existait des raisons valables de croire que le capital de Silver Bank était potentiellement compromis et que ses administrateurs pouvaient avoir adopté des pratiques préjudiciables aux intérêts des déposants. »
La mise sous tutelle permet à la Banque centrale de désigner un administrateur afin de stabiliser l’établissement, en suspendant temporairement les droits des actionnaires et du conseil d’administration.
Origines de Silver Bank : une transformation post-acquisition
Toujours selon la réponse du Premier ministre, la Silver Bank Limited a obtenu une nouvelle licence bancaire le 11 novembre 2021, à la suite de son changement de nom après l’acquisition de BanyanTree Bank Limited. Cette acquisition a été approuvée par la Banque centrale, après un exercice de vérification (due diligence) et une recapitalisation de la banque par les nouveaux actionnaires.
Aujourd’hui, les questions s’intensifient sur les liens éventuels entre les dirigeants de la banque et certains acteurs politiques ou économiques sous l’ancien gouvernement.
La Financial Crimes Commission (FCC) a par ailleurs ouvert une enquête sur cette banque, qui porte notamment sur des allégations de mauvaise gestion, de conflits d’intérêts et de possibles délits financiers. À ce jour, plusieurs documents internes de la banque ont été saisis et des auditions sont en cours.
L’affaire Silver Bank a une portée politique avec la FCC qui cherche, entre autres, à savoir si le gouvernement d’alors a investi de l’argent à haut risque dans cette institution en échange de faveurs pour des décideurs de l’ancien régime. Notons que certains de ces investissements pourraient ne jamais être récupérés, alors que la valeur réelle des actifs de la banque est jugée quasi-nulle.
Selon le Gouverneur de la Banque de Maurice, Rama Sithanen, lors d’une conférence de presse en decembre dernier, il restait encore Rs 522 millions du ministère des Finances dans la banque. Il s’agirait ici a priori de ce qui reste des Rs 3 milliards du Projects Development Fund. Par contre, les choses sont plus floues pour les autres placements. Rama Sithanen a affirmé que les chances sont extrêmement minces de pouvoir récupérer des fonds depuis la Silver Bank, car les actifs de la banque « ne valent pas grand-chose ».
Le rapport du Public Accounts Committee (PAC), publié en mai 2023, met en lumière des faits préoccupants. Il évoque une réunion entre des représentants du ministère des Finances, du ministère des Administrations régionales, ainsi que des conseils municipaux de Port-Louis et de Curepipe, au cours de laquelle il aurait été conseillé de ne pas retirer les fonds déposés dans une banque en difficulté, afin d’éviter sa liquidation. Le PAC souligne qu’aucun procès-verbal de cette réunion n’existe, et dénonce des pressions exercées sur les collectivités locales, en contradiction avec une circulaire ministérielle de 2019 qui recommandait explicitement d’investir dans des obligations d’État.
Selon le rapport, « des versions contradictoires ont été soumises au PAC quant aux raisons de la tenue de cette réunion, aux propos tenus, aux décisions prises et aux recommandations formulées. Aucun procès-verbal n’a été établi. Toutefois, la représentante du conseil municipal de Curepipe s’est référée aux notes qu’elle avait prises et a indiqué au PAC que les représentants des ministères présents auraient conseillé aux autorités locales de ne pas retirer leurs dépôts, afin d’éviter une mise en liquidation de la banque, ce qui aurait pu entraîner la perte partielle ou totale de ces fonds ».
Le rapport indique également qu’à la suite de cette rencontre, « le conseil municipal de Curepipe a décidé de renouveler son dépôt auprès de la banque, avec un seul conseiller s’y opposant », lors d’une réunion tenue le 27 août 2021.
Le PAC conclut que certains agents du ministère des Administrations régionales et/ou du ministère des Finances « ont tenté d’influencer les représentants du conseil municipal de Port-Louis et du conseil municipal de Curepipe pour qu’ils renouvellent leurs dépôts auprès de Silver Bank Ltd (anciennement connue sous le nom de BanyanTree Bank Ltd) et, ce faisant, ils ont agi dans l’intérêt de Silver Bank Ltd plutôt que dans l’intérêt des autorités locales ».
Une banque aux liens troubles
Silver Bank avait succédé à BanyanTree Bank Ltd, déjà controversée. Elle a obtenu une licence bancaire malgré des propriétaires au profil douteux. La principale actionnaire, Ginny Gupta, détient 75 % des actions via une société enregistrée aux îles Caïmans. Son époux, Prateek Gupta, a été l’un des principaux bénéficiaires de prêts accordés par la banque. Il est au cœur d’un scandale international : accusé d’avoir orchestré une fraude de USD 577 millions (Rs 26,9 milliards) au détriment du géant du négoce de matières premières Trafigura, par le biais de cargaisons fictives de nickel. Aucune condamnation n’a encore été prononcée jusqu’ici.
À Maurice, Prateek Gupta aurait bénéficié de Rs 8,3 milliards en termes de prêts, selon Rama Sithanen, de la part de la Silver Bank. L’octroi de ces prêts s’est poursuivi, malgré les tentatives initiales de la Banque de Maurice de freiner la machine. Des interventions politiques auraient facilité la poursuite de cette fuite en avant.
Déjà en 2023, l’opposition d’alors, aujourd’hui au pouvoir, avait soulevé la question de la gouvernance et des bénéficiaires effectifs de Silver Bank. Le député Reza Uteem, actuellement ministre du Travail, avait interpellé le gouvernement sur d’éventuels liens entre Prateek Gupta et les actionnaires. La réponse de Sunil Bholah, alors ministre des Finances suppléant, invoquait l’article 26 de la Bank of Mauritius Act pour maintenir le secret bancaire.
Puis, à une interpellation d’Arvin Boolell, l’ancien ministre des Finances Renganaden Padayachy avait fourni une réponse quasi identique, affirmant que la Banque de Maurice n’était pas en mesure de divulguer ces informations. Le Speaker Sooroojdev Phokeer avait alors empêché toute question supplémentaire.


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