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Intempéries : les défis du système de canalisation à Port-Louis face au cyclone Belal 

Pneus, bouteilles en plastique, bidons… autant de déchets qui s’accumulent au niveau des ponts. La rue La Poudrière, située entre le ruisseau Le Pouce et le canal Le Pouce, complètement submergée.
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Le réseau de canalisation et les drains de Port-Louis se sont révélés insuffisants face au passage du cyclone Belal, provoquant des inondations dans le centre-ville. Néanmoins, selon les experts, divers facteurs ont exacerbé la situation. Ainsi, il devient impératif d'envisager des solutions qui vont au-delà de l'infrastructure traditionnelle pour atténuer efficacement ce problème à l'avenir. 

Design 

Selon Shafeek Khedun, Chief Operating Officer (COO) d’Hyvec Partners, les canalisations de la capitale ont été conçues en prenant en compte un volume de pluie attendu sur une période spécifique. « Nous faisons généralement des provisions pour des pluies exceptionnelles prévues tous les 25 ans, par exemple. Cependant, aujourd'hui, avec le changement climatique, nous sommes confrontés à des pluies extrêmes plus fréquentes et sur une courte période. Il est donc possible que la taille des canalisations ne soit plus adaptée au contexte actuel », estime-t-il. 

Selon Shafeek Khedun, comme Port-Louis est déjà très urbanisé, il est difficile de trouver des espaces pour construire des drains additionnels. C'est pourquoi il propose la réalisation d'une étude visant à déterminer les endroits où cette eau peut être canalisée jusqu'à un « point de décharge sécurisé ». 

Vineet Luckoo, de l’Association des architectes, est d’avis qu'il est nécessaire de considérer une révision de l’esplanade du Caudan Waterfront afin de permettre une meilleure évacuation d'eau vers la mer. « Cette partie avait été comblée, il me semble, dans les années 90 et depuis, c’est resté inchangé. Il serait peut-être opportun de revoir cette section, surtout lorsqu'il y a une marée montante. Le rôle des infrastructures associées au Metro Express doit également être étudié », suggère-t-il. 

Débris 

Un autre facteur qui aurait contribué aux inondations est l'accumulation de débris dans les drains. « La Réunion a reçu quelque 700 mm de pluie mais n'a pas nécessairement connu des inondations comme chez nous. Nous avons reçu environ 150 mm de pluie et malgré cela, nous avons rencontré des problèmes... » 

Le Chief Operating Officer (COO) d'Hyvec Partners recommande un meilleur entretien des voiries, mais surtout, une éducation de la population en ce qui concerne les débris. « Nous avons vu des images où certaines personnes profitent de la montée des eaux pour se débarrasser de leurs débris. Ensuite, nous nous étonnons quand les canalisations sont obstruées ? » dit-il. 

Urbanisation 

Port-Louis étant très urbanisé est un autre élément qui explique le phénomène d'inondation, selon l'ingénieur. « Ce qui ne permet pas le ‘safe passage’ des flots vers la mer », explique-t-il. Le manque d'espaces verts, ne permettant pas à l'eau d'être absorbée, favoriserait le ruissellement de l'eau, accentuant ainsi le phénomène d'inondation. 

Vineet Luckoo concède que la topographie de Port-Louis ressemble à une « cuvette » et que malgré la présence de grands bâtiments à l’époque coloniale, les développements survenus au fil des siècles ont perturbé la canalisation de l’eau de pluie vers la mer. 

Des développements qui, selon lui, n'ont pas toujours été réalisés en respectant les normes de construction et les règlements. Avec du recul, l'architecte estime que certaines constructions, notamment de grands bâtiments, n'auraient peut-être pas dû être autorisées. 

Décharge 

La pratique qui consiste à déverser dans la rue l'eau de pluie accumulée sur les toits des maisons est également un problème, selon Shafeek Khedun. Il estime que ce problème pourrait être abordé de deux façons : la mise en place de puits d'absorption et la « récupération d'eau de pluie ». « Le particulier peut être encouragé à collecter l'eau de pluie provenant du toit de sa maison dans des citernes pour des usages futurs. L'excès d'eau de pluie peut également être canalisé dans des puits d'absorption, bien que cela semble plus problématique à mettre en place à Port-Louis, car les cours ne sont généralement pas très grandes », concède-t-il. 

Destruction des structures sur des ponts de Port-Louis 

Le rapport de l'enquête judiciaire de la Senior District Magistrate, Ida Dookhy-Rambarun, suite à la mort de 10 personnes durant les inondations du 30 mars 2013, avait recommandé la destruction des structures construites sur des cours d'eau de la capitale, citant le bâtiment abritant le KFC à rue La Chaussée, le parking d’Air Mauritius, le parking de Rogers et le Hawkers’ Palace abritant des marchands. Ces structures sont présentes aujourd'hui. Selon Shafeek Khedun, il est peu probable que leur destruction aurait changé grand-chose lors des inondations de ce lundi 15 janvier 2024.

La démolition des espaces de parking à côté des bâtiments Air Mauritius et Rogers avait été recommandée…
La démolition des espaces de parking à côté des bâtiments Air Mauritius et Rogers avait été recommandée…
ainsi que le déplacement du bâtiment abritant le KFC de la rue La Chaussée.
ainsi que le déplacement du bâtiment abritant le KFC de la rue La Chaussée.

Vineet Luckhoo : « Il faut plusieurs itinéraires de secours » 

Vineet Luckhoo, de l’association des architectes de Maurice, décrie l’absence d’un plan d’évacuation et suggère de « multiple escape routes » en ce sens.

En sus du problème d’évacuation d’eau, Vineet Luckhoo est d’avis qu’il faut sérieusement envisager un plan d’évacuation de Port-Louis. « Cet aspect d’évacuation n’a probablement pas été tenu en compte au fil des développements », considère-t-il. « Il faut un plan d’évacuation pour la capitale. Le fait d’avoir demandé aux employés de rentrer chez eux a provoqué un embouteillage, prenant au piège de nombreuses personnes. Peut-être aurait-il été plus judicieux de leur demander de rester dans un endroit sûr et que tout le monde ne quitte pas son lieu de travail en même temps », estime-t-il. 

Lundi, les artères principales pour quitter Port-Louis, notamment l’autoroute, avaient été inondées. Vineet Luckoo propose de venir avec des routes alternatives sûres permettant de quitter la capitale et vers lesquelles ceux se trouvant à Port-Louis peuvent être dirigés. « Il faut des ‘multi escape routes’ », indique-t-il. 

Certains services administratifs, poursuit-il, doivent être relocalisés. Ce qui permettrait de diminuer le nombre de personnes concentrées dans le centre-ville. « Il était question, à un moment donné, de faire de Port-Louis une cultural city. Ce qui fait qu’il ne sera plus nécessaire d’y avoir de grands bâtiments, et alors, ceux existants pourraient être convertis en des espaces de ‘work and live’. (…) Il faut aussi pouvoir créer des opportunités d’affaire ailleurs qu’à Port-Louis », souligne Vineet Luckoo. 

Inondations du 30 mars 2013 : de nombreuses failles relevées

Il n’y aurait jamais eu d'inondations à Port-Louis si le réseau de drainage avait fonctionné correctement. C’est ce qu’avait conclu une équipe de consultants, experts en génie civil, dont les services avaient été retenus pour une étude des drains et des canalisations dans le cadre de l’enquête judiciaire sur la mort de 10 personnes lors des inondations du 30 mars 2013. Celle-ci était présidée par la Senior District Magistrate Ida Dookhy-Ramabarun.

Les constats :

  • Le « cut-off drain » à la montagne des Signaux était insuffisante, pas assez profond et pas bien entretenu.
  • À certains endroits, les drains n'étaient pas revêtus. De nombreux drains avaient subi des dommages, tels que des fissures dans les canaux revêtus de béton et des pierres désolidarisées dans les drains revêtus de pierres, et ces dommages attiraient des débris qui entravaient l'écoulement de l'eau.
  • Après l'inondation, environ 300 tonnes de débris et d'ordures ont été retirées des drains. Il y avait des débris, tels que des matelas, de vieux réfrigérateur, des tôles de fer, des sacs en plastique, des bouteilles et de la végétation qui obstruaient le cours d'eau et réduisaient la vitesse d'écoulement. Cela a provoqué un effet de contre-courant entraînant un débordement.
  • Un entretien insuffisant des drains à Port-Louis. Il n'a pas été effectué de manière régulière.
  • Un manque de coordination entre les autorités pour l’entretien des drains. 
  • Les autorités n'étaient pas informées de la présence de deux drains construits pour évacuer les eaux de ruissellement de surface arrivant à la Place d'Armes lors des travaux de remblayage réalisés dans le cadre du développement du front de mer. Ces drains n'étaient pas du tout entretenus et n'étaient pas utilisés à leur pleine capacité.
  • Le taux de percolation du sol a été réduit avec la construction de nombreux bâtiments. Les espaces verts disponibles pour permettre une infiltration naturelle des eaux pluviales dans le sol étaient quasi inexistants. 
  • Plusieurs propriétés déversent leurs eaux pluviales provenant des toits et des cours sur la route devant leur bâtiment. 
  • Des travaux routiers et le réasphaltage de la route ont affecté la géométrie des drains, rendant ceux-ci presque plats et insuffisants pour évacuer l'eau en aval.

Présence de structures sur des cours d’eau

Selon le rapport de la Senior District Magistrate Ida Dookhy-Ramabarun, la présence de structures qui réduisaient la section transversale des canaux avait été observé à divers endroits le long du cours d'eau Le Pouce et du canal Le Pouce. « À plusieurs endroits, des piliers en béton soutenant des ponts ou des dalles couvrant les canaux, des ‘manholes’ et des rampes construites le long des drains ont été constatés. Des conduites des autorités responsables de l'eau, telles que la Central Water Authority, la Waste Water Management Authority, et de la Mauritius Telecom, traversaient les canaux d'eau », peut-on lire.  

La capacité de certains drains, poursuit la magistrate dans son rapport, avait été réduite en raison de la structure des pavés ou de la pousse des végétations. « Des constructions illégales réalisées par des citoyens sur les drains ou à côté des drains existants ont dévié ou obstrué le cours d'eau », a-t-elle écrit. 

Mais ce qui avait surtout retenu l’attention, c’étaient les constructions autorisées sur les drains, selon la magistrate, alors qu’elles n'auraient jamais dû être là. « Par exemple, la construction du bâtiment KFC sur la rue Chaussée a été autorisée, par une loi au Parlement, sur un drain principal, le canal Le Pouce, qui recueille toute l'eau d'un drain existant de la rue SSR jusqu'à la mer. La fondation du bâtiment repose sur le drain et crée un obstacle à l'écoulement de l'eau », dit-elle.  

D'autres constructions, comme l'espace couvert du parking d'Air Mauritius et l'espace couvert du parking de Rogers avaient aussi été constatées. Des colonnes en béton avaient pour se faire été érigées dans le cours d’eau. 

Il avait ainsi été recommandé que le bâtiment abritant le KFC de la rue la Chaussée soit déplacé. Il avait aussi été recommandé que les constructions tels que l'espace de parking d'Air Mauritius et celui du bâtiment de Rogers soit enlevés afin de faciliter l'écoulement de l'eau.

Des projets en cours à Port-Louis

Au niveau du ministère des Infrastructures nationales, on indique que des projets ont d’ores et déjà été identifiés dans plusieurs endroits à Port-Louis, qui est considéré par la Land Drainage Authority comme un « High risk flood prone area » et qui a connu des inondations lors du cyclone Belal. 

Une grande partie de ces projets concerne justement le centre-ville où il y a eu pas mal de dégâts, notamment à la rue La Poudrière, la Place d’Armes et l’autoroute M1 à proximité de Plaine-Lauzan où des travaux seraient déjà en cours. La construction de drains dans d’autres artères de Port-Louis tels que les rues Raoul Rivet et Lord Kitchener sont actuellement au stade de « tender ». 

D’autres projets dans le centre-ville concerne le rehaussement des berges le long du Ruisseau des Créoles et le ruisseau Le Pouce, la reconstruction des ponts à la rue La Brillane et celle de la rue Mère Barthelemy, l’amélioration du système de drainage sous le parking du bâtiment Rogers, l’amélioration du pont Boulevard Victoria, la reconstruction du pont piétonnier au ruisseau La Paix, l’amélioration des ponts Renganaden Seeneevassen et Farquhar, entre autres. 

Des faubourgs de la capitale fréquemment affectés par des inondations lors des pluies extrêmes sont aussi concernés, notamment à Vallée-Pitot, Tranquebar, Grande-Rivière-Nord-Ouest (Canal Dayot) et Pailles.

Plus de 750 projets 

Selon un relevé de la Land Drainage Authority, plus de 750 projets de drains ont été enclenchés. 520 projets pour un montant de plus de Rs 3,7 milliards ont été complétés jusqu’ici. 114 projets pour un montant de plus de Rs 3 milliards sont en chantier alors que 119 autres sont au stade d’appel d’offres (tender).

canalisation à Port-Louis

 

 

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