Le comportement des élèves en classe a bien changé. Les enseignants ne savent plus comment agir pour se faire respecter et encourager les élèves à étudier. Faut-il introduire des mesures fermes ? Chacun donne son opinion et propose des solutions.
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Un enfant de sept ans compte une cinquantaine de plaintes contre lui. Il fait fi des réprimandes des responsables de l’école. Il tape son instituteur, il ne participe pas à la classe ou à l’assemblée du matin. C'est difficile à gérer. Des écoliers de 10 et 11 ans qui tentent d’empoisonner leur instituteur, d’autres qui envoient des graines de filaos sur le prof pendant qu’il est au tableau. Des pneus crevés, des voitures endommagées, des photos faites à l’insu des enseignants, des menaces, des enfants de Grade 1 qui choisissent d’agir à leur guise… C’est ce que subissent, entre autres, les enseignants du primaire et du secondaire.
Ces derniers sont de plus en plus nombreux à confier qu’ils n’en peuvent plus ! Ce métier, considéré jadis comme honorable et passionné, est qualifié de calvaire par bon nombre. Ils pointent du doigt le changement de comportement des élèves, au fil des années, croyant que tout leur est permis. Avec 25 années d’expérience au sein du primaire, Deepack Bagueruttee souligne que la discipline commence à la maison. « Si un enfant agit en toute liberté à la maison, il croit pouvoir le faire à l’école. Cette situation dérange ainsi le bon déroulement de la classe. De plus, un enfant qui agit mal à tendance à encourager les autres à en faire de même… »
Droits et responsabilités
Les enseignants entendent souvent les élèves leur dire : « Nous avons des droits, vous ne pouvez rien nous faire. » L’Ombudsperson pour les enfants, Rita Venkatasamy, précise que les enfants ont non seulement des droits mais aussi des responsabilités. « Dans nos causeries, lorsque nous mettons l’accent sur les droits, nous parlons également de responsabilités et des valeurs qu’on doit avoir dans la société. » Rita Venkatasamy salue l’effort du Mauritius Institute of Education (MIE) dans la formation des enseignants.
Gestion de la classe
Pour leur part, les enseignants soutiennent qu’ils ne sont pas suffisamment équipés pour faire face à la situation. Deepack Bagueruttee explique : «Nous n’avons pas les compétences nécessaires. Les choses ont évolué et tout ce que nous avons appris à l’époque ne peut être utilisé. De plus, nous n’avons pas les compétences psychologiques pour aider les enfants. Lorsque nous constatons que quelque chose ne va pas bien chez un enfant, nous conseillons au parent d’aller voir un psychologue du privé ou du public. Malheureusement, cette démarche est mal vue par certains parents. »
Les enseignants soutiennent qu’ils ne sont pas suffisamment équipés.
Une enseignante du secondaire, qui compte 45 ans d’expérience, abonde dans le même sens et estime que la formation des enseignants doit être revue. « Les jeunes ont le bagage académique adéquat mais pas d’aptitudes dans la gestion de la classe… »
Beeharry Panray de l’Education Officers’ Union (EOU), indique que la nomination d’un ou deux ‘section leader’ par école publique est essentiel. « Un ‘section leader’, comme cela existe dans les collèges privés, est important. Avec une charge de travail d’enseignant réduite, il pourra alors s’occuper des cas d’élèves considérés comme difficiles. »
Causes
Beeharry Panray souligne qu’avec les changements dans les habitudes, les parents sont préoccupés et ne trouvent pas du temps à passer avec leurs enfants.
« Nous avons deux catégories d’élèves dans les collèges publics. Il y a ceux qui sont assidus dans leurs études et ceux qui ne vont pas entrer en classe pour différentes raisons. Lorsque les parents de ces derniers sont convoqués, ils ne trouvent pas le temps de venir ou ils ne sont pas intéressés. L’enfant croit alors que tout lui est permis. »
Les enseignants soutiennent aussi que les enfants reproduisent ce qu’ils vivent et voient à la maison. Deepack Bagueruttee ajoute : « Souvent, nous voyons qu’un enfant a un comportement qui laisse à désirer. Il agit d’une façon contraire à d’autres du même âge que lui. Il est parfois témoin de situations horribles à la maison et il ne fait que les reproduire… »
Circulaires
Les enseignants ont l’interdiction d'infliger des punitions corporelles ou encore d'utiliser l'abus verbal. S’adressant aux directeurs des établissements scolaires, la circulaire du ministère de l’Éducation souligne que ces punitions ne sont, en aucun cas, permises.
Dr Hassam Sakibe Coowar : «Permettez aux enseignants d’utiliser le ‘rotin bazar’»
Le Dr Hassam Sakibe Coowar, directeur du Mauricia Institute, est pour l’utilisation du ‘rotin bazar’. « De nos jours, parler ‘punition’ par le ‘rotin bazar’ serait faire preuve de barbarie, de méthode désuète, voire de sadisme, du masochisme. La psychologie des années 20 a suscité beaucoup de révolte à l’égard des professeurs qui ne ‘professaient’ que par le rotin pour inculquer le savoir et faire vraiment apprendre. »
Il ajoute : « À l’époque du rotin, depuis la classe ‘below’ (préprimaire) jusqu’au HSC, le professeur avait toujours son rotin au besoin et au service malgré l’interdiction de punition corporelle de l’Education Act 1957. Un moyen efficace de maintenir l’ordre et la discipline. Aujourd’hui, il faut interroger les profs du primaire et du secondaire sur le comportement des élèves, le laisser-aller et le laisser-faire, car ils sont vraiment impuissants devant une ribambelle de rebelles frondeurs qui brandissent leurs droits de ne subir ni coups ni réprimandes. Alors, on se trouve dans la cour du Roi Pétaud ! »
Selon le Dr Coowar, « il faut donner l’opportunité aux enseignants d’utiliser le ‘rotin’ pour corriger un élève turbulent et révolté ». « Cela ne le tuerait pas, ni ne l’accèderait au soi-disant banditisme par ‘répression’ freudienne. Frapper au rotin a toujours été sur la main ou sur le postérieur. Un prof n’assomme pas un élève quand il faut ‘punir’».
La parole aux élèves
Steny Collard, 19 ans, est 'head boy' au Bhujoharry College. Il souligne que le comportement des élèves a effectivement changé. « Les élèves ne s’intéressent plus aux études et les parents doivent être plus sévères vis-à-vis de leurs enfants pour les encourager à faire de leur mieux. Le rapprochement entre enseignants et élèves doit être privilégié. Au cas où un enfant a un souci, il pourra en parler à son enseignant. »
Keshavee Sooriah, 'head girl' au Dr Maurice-Curé State College, estime que le comportement d’un élève en classe reflète l’écart entre les générations. Au collège, enseignants et étudiants entretiennent une atmosphère amicale et positive pendant les heures de classe. « Néanmoins, il y a évidemment des exceptions. De ce fait, je pense qu’une conversation libre entre enseignants et élèves est importante. Cela les aidera à surmonter leur timidité et ils n’hésiteront pas à approcher l’enseignant en cas d’incompréhension. Cependant, les élèves doivent respecter leurs limites et éviter d’abuser de l’amitié des enseignants. Cette mentalité doit être inculquée aux plus jeunes dès leur arrivée au collège. C’est le devoir de tout un chacun. »
Gestion des émotions
Le monde éducatif est en constante évolution. Lors de visites des professionnels du ministère de l’Éducation depuis 2015 dans les établissements scolaires, des besoins ont été notés. Ainsi, certaines mesures sont prises pour assurer un environnement approprié pour l’apprentissage et l’épanouissement sain des élèves.
Parmi les différentes mesures, il y a l’introduction des droits humains qui fait partie du programme de Grade 9 depuis 2016. Dans la même année, la ‘Student Behaviour Policy’ traite des cas d’indiscipline. Il agit comme guide aux enseignants et aux chefs d’établissement pour gérer ce genre de situations.
Le concept ‘Emotional and Social Well-Being’ a aussi été introduit au primaire et au secondaire. Ce programme est conjointement mené par le ministère et le SEDEC. L’objectif est de permettre aux enfants de mieux gérer leurs émotions, dont la joie, la colère, la déception, la tristesse, la perte d’un proche et la frustration, entre autres. Il vise aussi à leur inculquer des valeurs comme le respect, le partage, la compassion et autres vertus bénéfiques à son bien-être et à celui d’autrui.
Un responsable au ministère souligne que les retombées démontrent que les élèves, ayant bénéficié de ces cours, parviennent à mieux gérer leur quotidien.
Professeur Yashwant Ramma : «Les enseignants sont de plus en plus confrontés à des classes difficiles»
Le Professeur Yashwant Ramma est responsable de recherche au Mauritius Institute of Education (MIE). Il donne son point de vue sur le changement dans la société et les mesures qui peuvent être prises.
Comment gérer une classe avec des enfants au comportement difficile ?
Les enseignants sont de plus en plus confrontés à ces classes parfois très difficiles qui exigent beaucoup de détermination pour mener à bien les recadrages qui s’impose. Il n’y a pas de recette magique et instantanée pour résoudre ce problème, car chaque cas est spécifique. La société a changé et nous ne pouvons plus comparer nos enfants à nous quand nous étions jeunes.
Les pédagogues et sociologues parlent de cette génération Y rebelle et en conflits avec tous et tout. Maintenant, l’enfant nous parle d’égal à égal, négocie tout sur tout et veut absolument avoir le dernier mot. Ces enfants viennent en classe avec ces attitudes et prennent l’enseignant au dépourvu. Alors, nous devons tout d’abord comprendre ces comportements d’une façon scientifique en nous basant sur les travaux de recherches menés tant sur le plan local qu’international. Conséquemment, nous devons cesser d’opérer en isolation car les enseignants, seuls, ne peuvent résoudre ce problème.
Les enfants prennent l’enseignant au dépourvu
Quel est le rôle de l’enseignant face à un enfant qui perturbe la classe ?
Tout d’abord, le respect du droit de l’enfant doit prévaloir en toutes circonstances, indépendamment de la nature du problème. Un enfant qui se comporte mal ou qui perturbe la classe a forcément un problème d’ordre relationnel ou psychologique. En d’autres termes, il peut être question de relations familiales difficiles, incluant des troubles psychologiques, entre autres. Quel que soit le problème, l’enfant doit être encadré par les structures déjà en place.
Le fait de comprendre l’enfant, de le traiter avec une certaine indulgence et de lui apporter un soutien individuel font partie des approches pragmatiques visant à contribuer à la résolution du problème. C’est au niveau de l’enseignement que l’intégration du domaine cognitif et affectif peut aider l’enfant à voir en l’enseignant un modèle. L’enseignant travaille en collaboration avec les parents d’une manière progressive.
Est-ce qu’un enseignant est supposé remplacer les parents ?
Les relations entre l’école et les parents, en particulier, ont toujours été au centre des débats éducatifs. Déjà, l’enfant passe « d’une société » – la famille - à une « autre société » – l’école. Certains enfants ont du mal à faire le lien et il incombe à l’enseignant et aux parents de créer conjointement une passerelle pour que l’enfant opère dans un espace commun entre éducation et instruction. Il est évident que l’enseignant n’a, en aucun cas, le rôle des parents, les deux travaillent en étroite collaboration et complémentent l’élément affectif.
L’enfant est intelligent et créatif et, s’il perçoit un dialogue consensuel dans les attentes de ses parents et de l’enseignant, il/elle va créer des repères qui sont propices à son propre développement. Bien sûr, la participation des parents ne peut se faire que s’il y a invitation de l’école à travers la PTA. Il y a la nécessité de l’école des parents si nous voulons vraiment trouver des solutions à long terme.
Alain Munean : «Le problème est bien plus complexe qu’avant»
Alain Munean salue les efforts de la société pour résoudre la situation mais ajoute qu’il reste encore beaucoup à faire. À Terre de Paix, les responsables ont adopté l’approche psycho-dynamique. « Avec l’aide de professionnels, nous encourageons les enfants à s’exprimer à travers la thérapie de l’art, le dessin, la musique, la peinture… Lorsque nous vivons une situation difficile, nous avons tendance à l’intérioriser mais cela peut avoir des conséquences graves, dont un mauvais comportement… »Le directeur de Terre de Paix, Alain Munean, est catégorique : il y a une aggravation dans le comportement des enfants. « Le problème est bien plus complexe qu’avant, les enfants sont exposés aux nombreux fléaux de la société. Il y a l’impact de la communauté sur les enfants et la consommation de drogue et d’alcool des parents. Les familles ont beaucoup de difficultés face à la promiscuité, le manque de logements, le travail précaire. Les familles aujourd’hui n’ont plus le soutien d'autres membres. Comme dit un proverbe africain : ‘It takes a village to raise a child’. Malheureusement, nous sommes dans une situation de ‘chacun pour soi’ et, au final, le comportement de bon nombre d’enfants empire… »
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