Interview

Hambyrajen Narsinghen : «Le code d’éthique des avocats doit être revu»

Le Head of Faculty of Law à l’université de Maurice (UoM) revient sur les secousses au sein du barreau mauricien après que la commission d’enquête sur la drogue a convoqué plusieurs membres du barreau. Hambyrajen Narsinghen estime qu’il faut revoir le code d’éthique par rapport à l’évolution de notre société.

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Les relations entre les hommes de loi et les trafiquants de drogue relancent plus que jamais le débat sur l’importance de l’implémentation d’un code d’éthique pour les membres du barreau. Qu’en pensez-vous ?
Tous les avocats et avoués ne sont pas impliqués dans cette polémique. Peu importe l’opinion d’un avocat sur son client, qu’il soit trafiquant de drogue ou le plus grand criminel, en tant qu’avocat, il a l’obligation de le défendre. C’est cela le Cab and Rank Rule que nous avons hérité du code d’éthique britannique et que nous avons incorporé dans notre code d’éthique en 1998. Puis, il y a la Constitution, plus précisément l’article 10, qui garantit le droit d’un suspect de se faire défendre par un avocat de son choix.

L’avocat lui, a un devoir envers son client, mais aussi envers la cour, la justice et la société en général. Il faut que ce jeu d’équilibre soit respecté et qu’il ne se penche qu’en faveur du client. Il doit défendre son client selon les paramètres légaux et moraux, selon le code d’éthique. Il faut un certain détachement. Un avocat doit écouter son client, tout en gardant une certaine réserve, et certainement pas lui donner des directives ou l’aider à contourner les lois. Ou pire, à fabriquer des défenses fictives. Il doit écouter les instructions de son client et non l’influencer.

Comment, en tant que responsable de la faculté de droit, percevez-vous ces allégations qui éclaboussent le barreau mauricien ?
Il faut bien faire attention, car il s’agit là d’allégations. Il faudrait une enquête serrée menée par des policiers. Y a-t-il suffisamment d’enquêteurs professionnels ? Je ne blâme personne. Il faut des gens intègres, professionnels et impartiaux. Il faut des personnes spécialisées dans ce genre de cas. Pour cela, il faut des policiers possédant des diplômes, de l’expertise et de l’expérience. En France, à titre d’exemple, il y a des juges d’instruction. On peut s’inspirer de ce modèle français en l’adaptant au contexte mauricien. Cela permettrait d’avoir des enquêtes plus indépendantes et non pas bâclées dans certains cas. Il ne faut pas que ceux qui enquêtent soient sous le joug des politiciens, quel que soit le parti auquel ils appartiennent.

Pensez-vous que le code d’éthique soit approprié pour prévenir contre de tels abus ?
Nous avons hérité notre code d’éthique de l’Angleterre. C’est plus au moins du copié-collé. Ce code est même apprécié par les Américains. L’ancien juge Warren Burger a dit que l’Angleterre a un système légal professionnel, intrépide, vigoureux et indépendant. Ce code d’éthique est, dans l’ensemble, bon. Toutefois, il y a des manquements qu’il faut pallier en fonction de l’évolution de la société mauricienne et à la lumière de l’émergence de crimes liés à la drogue et aux fraudes financières massives.

Certes, il y a l’autorégulation du Bar Council, qui représente les avocats et leur rappelle leurs obligations. Quand il y a des violations, le conseil peut donner des avertissements. Dans les cas les plus graves, l’affaire est référée à la Cour suprême, qui agit alors comme comité disciplinaire, puisqu’elle possède une juridiction inhérente. Elle peut sanctionner, s’il y a entorse au code d’éthique et aux lois. C’est ainsi que certains avocats ont été radiés du barreau. Je ne dis pas que l’autorégulation est un échec. Il faut juste faire une évaluation. Il faut beef up le code d’éthique et renforcer certains règlements.

« Certains étudiants moyens qui vont en Angleterre, eux, réussissent aux bar exams, car le cursus britannique est plus juste et rationnel. Il y a une sorte de discrimination envers ceux qui prennent les examens à Maurice »

Les cours de droit à l’UoM contiennent-ils un module consacré à l’éthique ?
Pour les cours de LLB, il y a un module intitulé Mauritius Legal System and Communication Skills for Lawyers. Pendant trois à quatre heures, on touche à l’étique et à la moralité de la profession légale, ce qui est assez basique et élémentaire. Par contre, pour les cours menant aux examens du bar, c’est beaucoup plus approfondi. Je suis d’avis que la théorie seule ne suffit pas. Il faut que le Bar Council, la Cour suprême et l’Institute of Judicial and Legal Studies of Mauritius (IJLS) reviennent à la charge et organisent des Continuous Professional Developement (CDP) sur les aspects  de la moralité, de l’éthique et des responsabilités. C’est crucial.

Jugez-vous que ce soit suffisant ?
Il faut, comme je le disais, des amendements. Or, il ne faut pas que les réformes soient laissées uniquement entre les mains de personnes de la profession légale. Il y aurait des conflits d’intérêts. Il faut plutôt que des étrangers et des professionnels d’autres secteurs, à l’instar des professeurs d’université et de certains spécialistes, soient parties prenantes de ces changements.

Pensez-vous que les récentes allégations dissuade-ront les étudiants à postuler pour des cours de droit ?
Il y a toujours un vif intérêt pour le droit. Dans la profession légale comme dans toutes les professions, je présume que la majorité des membres est honnête, même s’il existe quelques brebis galeuses. Ce qui renvoie une mauvaise image. Beaucoup d’avocats ne connaissent pas l’origine de ce métier. Il faut revenir vers ses origines, qui sont de la noblesse, où l’accent est mis beaucoup sur la protection des pauvres et des opprimés de la société.

« On produit beaucoup d’avocats et de juristes. Je pense qu’il faut un rethinking de la profession. Il faut mettre l’accent sur la qualité et l’aspect éthique »

Venons-en au code d’éthique des avocats. Est-il encore valable aujourd’hui ?
Il l’est toujours. On est quand même dans un contexte de droit mixte – Angleterre et France. Les modèles bien régulés, comme celui de Singapour, devraient être pris en considération.

Les avocats prennent-ils vraiment ces codes en ligne de compte ?
Au fil du temps, certains l’oublient et ont d’autres préoccupations. Un avocat qui pratique doit avoir une copie du code d’éthique devant lui. Avant, c’était la sole practice ; maintenant, il y a de plus en plus des chambers. De 1997 à 2017, beaucoup d’eau a coulé sous les ponts. Avec cette évolution nouvelle, il ne faut pas qu’il y ait une certaine exploitation dans ce système de chambers. C’est un aspect à considérer en revisitant le code d’éthique. Quand plusieurs avocats s’associent, les principes d’éthique sont encore plus importants. 

Les mettent-ils en œuvre ?
Les uns oui, les autres non. Certains les contournent et certains oublient. Donc, le judiciaire et tous ceux concernés doivent leur rappeler leurs obligations. Il faut que certains principes se trouvant dans le code d’éthique deviennent encore plus contraignants, avec leur incorporation dans des règlementations.

On dit que la profession légale est noble. Est-ce toujours le cas ?
Je pense que oui, en général. Les avocats sont supposés défendre les démunis et même le plus abominable des criminels. Toutefois, au fil des ans, il y a eu une certaine détérioration au niveau de la moralité et de l’éthique, comparée aux années 60/70. Avant, il y avait plus de respect. Néanmoins, il ne faut pas généraliser. Je disais qu’il faut que les avocats opèrent selon des paramètres. Il y en a certains qui se croient intouchables. Ils pensent que nul n’a le droit de les critiquer. Si le judiciaire en Angleterre et aussi la profession légale acceptent les critiques,  des hommes de loi à la dérive, sur le plan local, au même titre que les médecins et les comptables, doivent être critiqués. Il faut mettre un stop à cette dérive.

Quel est votre avis sur la profession légale ?
On produit beaucoup d’avocats et de juristes. Je pense qu’il faut un rethinking de la profession. Il faut mettre l’accent sur la qualité et l’aspect éthique. On doit le faire dès le départ, c’est-à-dire au collège. L’éthique doit être enseignée quelque part. Un pourcentage d’avocats est à la dérive.

Il ne faut, cependant, pas les blâmer à 100 %, car cette dégradation reflète un peu la dégradation des mœurs et le pourrissement de notre société. Il faut se ressaisir. Le système éducatif doit être revu dans son ensemble, pas seulement pour la formation des avocats, mais pour tous. Il y a aujourd’hui une rat race vers le matérialisme dans la société en général. C’est un fléau encore plus dangereux que ce qui se passe au niveau de la profession légale.

« Un avocat ne doit pas profiter de l’aubaine et réclamer des sommes disproportionnées, si son client trempe dans ce genre de magouille »

Comment cette profession a-t-elle évolué au fil des années ?
Il y a eu une évolution positive dans plusieurs sphères. L’évolution vers les chambers, c’est bien. Ou encore la spécialisation, c’est aussi bien. Toutefois, il y a une discrimination envers les juristes qui veulent devenir avocats en suivant le cursus mauricien. Les riches peuvent aller en Angleterre, tandis que ceux qui viennent des classes moyenne et pauvre étudient à Maurice. Et ils sont massacrés. Il y a 100 à 125 étudiants, avec de très bons résultats, dont beaucoup avec trois A en HSC, qui s’inscrivent pour des cours de droit à l’UoM chaque année. Et approximativement 150 qui font les bar exams. Il n’y a que 5 à 10 % de réussite.

C’est inconcevable et inacceptable. Il y a d’autres qui sortent des meilleures universités, mais n’arrivent pas à passer les bar exams et ils ont peur de protester. Certains étudiants moyens qui vont en Angleterre, eux, réussissent aux bar exams, car le cursus britannique est plus juste et rationnel. Il y a une sorte de discrimination envers ceux qui prennent les examens à Maurice. Normalement, on aurait dû, à la limite, exercer une discrimination positive envers eux, comme le fait Singapour. Malheureusement, à Maurice, c’est l’inverse. Il y a un problème systémique. C’est le Council of Vocational Legal Education qui organise les examens. Il n’y a pas de coordination entre les lecturers et les examinateurs. C’est une lacune.

Cela cause probablement de la frustration. Ce qui peut avoir un impact sur le non respect de l’éthique. Si on massacre une personne au début et qu’elle doit emprunter Rs 2 millions pour aller en Angleterre passer des examens de barreau, en rentrant au pays, elle doit récupérer son investissement coûte que coûte. C’est peut-être l’élément qui contribue au fait qu’un avocat ne respecte pas le code d’éthique et le principe de moralité. Je crois que ceux qui ont le niveau voulu à Maurice doivent avoir accès à la profession légale, sans passer par un système de numerus clausus, ce qui veut dire limité par le nombre au départ. S’ils ont des qualités, il faut les laisser passer.

Doit-on suivre le pas des États-Unis, où tout est fait selon des règles. Par exemple, un client doit remplir une fiche quand il va voir un avocat et il y a même des « minutes of proceedings » ?
Là-bas, il y a des chambers qui emploient des centaines d’avocats. Et il y a une personne qualifiée en gestion et en droit qui gère les affaires. Elle se charge de léguer des dossiers à un avocat ou un autre, en fonction de son expertise. Cette personne fait aussi de sorte qu’un même avocat ne gère pas plusieurs gros dossiers. À Maurice, il y a une lacune, car un avocat s’occupe de trop d’affaires, ce qui entraîne des délais excessifs en cour et fait que les choses traînent. Donc, je dirai que c’est un peu tôt de vouloir emboîter le pas des États-Unis, qui ont un système bien rôdé. Il serait encore difficile de réaliser cela à Maurice.

Certains parlent d’amateurisme. Êtes-vous de cet avis ?
La majorité a le niveau. Bien sûr, il y a certains qui ne respectent pas le code d’éthique et les dispositions légales. De là à dire que c’est de l’amateurisme, c’est un peu exagéré. Il faut, cependant, recadrer les avocats. Le Bar Council, tout comme la Cour suprême, doit être vigilant, voire plus strict face à la dérive de certains. 

Pensez-vous qu’il faut établir un seuil pour les honoraires d’avocats ?
C’est quelque chose de délicat. Selon le code d’éthique, un avocat doit réclamer des honoraires qui sont appropriés. Il faut peut-être mettre sur pied un comité avec des juges à la retraite, des avocats et avoués, et les associations de consommateurs pour se pencher sur la question. La profession légale reste, avant tout, un service offert et repose sur la justice.

Cela ne signifie pas qu’on ne doit pas contrôler les honoraires. Il faut peut-être des paramètres larges pour les honoraires, en fonction de l’expérience et de la spécialisation de chacun.

Il faut qu’il y ait un champ de manœuvre. Je ne suis pas pour une somme fixe. Et vu la recrudescence des cas de drogue, des white collar crimes et du blanchiment d’argent, les avocats doivent s’assurer que cet argent ne provienne pas de ces réseaux, avant d’accepter des paiements. Il y a aussi des amendements à apporter. Par exemple, imposer des restrictions. Un avocat ne doit pas profiter de l’aubaine et réclamer des sommes disproportionnées, si son client trempe dans ce genre de magouille.

Il y a un grand nombre d’avocats pour un petit pays comme Maurice. Est-ce que cela n’incite pas les hommes de loi à faire des choses peu louables pour se démarquer ?
Nous sommes dans une profession libérale. Les corps paraétatiques, le gouvernement et les sociétés privées auraient dû recruter plus d’avocats et de juristes. Le Law Practitioner Act de 1984 et la commission présidée par l’ex-juge Lallah préconisent une série de mesures d’accompagnement. Hélas, rien n’a été implémenté. C’est malheureux que certains essayent de bloquer les gens de bonnes universités, qui ne peuvent ainsi avoir accès à la pratique. Le marché doit choisir les avocats qui ont un certain niveau. Dès le départ, il faut faire attention à ceux qui sortent des universités obscures et mal cotées dans leurs pays d’origine.

 

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