Interview

Geerish Bucktowonsing, président du MACOSS : «Il faut une loi pour éliminer les ONG inactives»

Geerish Bucktowonsing

Geerish Bucktowonsing, le président du Mauritius Council of Social Service (MACOSS) commente la dégradation des mœurs qu’il associe à un « changement sociétal ».

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Il ne se passe pas une semaine sans qu’on enregistre des cas de violence sanglante et des crimes crapuleux. Pourquoi nos mœurs se dégradent-elles  à ce point ?
Il y a plusieurs facteurs. Maurice a évolué. Hier, la vie était beaucoup plus simple. Il y avait ces valeurs inculquées au sein de la famille.  De nos jours, cette transmission a diminué. Nous sommes davantage dans une économie libérale où tout le monde court derrière la consommation. Qui dit consommation dit revenu et subséquemment profit. Et lorsque vous entrez dans une spirale  pareille, tout ce qui peut rapporter des revenus et des profits est envisageable. Il me semble qu’il y a eu un shift dans le « role model » qui est d’avoir la plus grosse berline, la plus belle maison, la plus forte corpulence. Et enfin, il y a eu un changement de la définition du bonheur qui est axé davantage sur la consommation et la réjouissance.

Tout cela ne peut justifier la recrudescence de la violence ?
Lorsque nous ne parvenons pas à réaliser nos désirs, cela engendre des frustrations qui à leur tour engendrent des comportements pareils. Il y a plusieurs phases avant d’arriver à la violence. Mais il faut pouvoir accepter les faits lorsque nous ne parvenons pas à obtenir quelque chose. Nous avons été témoins de cette frustration au sein même de la force policière depuis quelque temps avec le trafic de drogue, ou encore ces cas de vols dans des bungalows commis par un policier. Est-ce que nous avons tous cet esprit de capitalisme aujourd’hui ?  Sommes-nous tous si déterminés à réussir à ce point ? Je me le demande.

Comment sortir de cet engrenage ?
Il faut consolider la classe moyenne, pour empêcher les gens de cette frange de sombrer dans le piège de la pauvreté. Il faut aussi tendre la main à ceux qui sont au bas de l’échelle et les hisser dans la catégorie de la classe moyenne. Ils ont aussi leur place au soleil. Notre principale ressource à nous c’est notre capital humain. Il faut pouvoir canaliser ceux qui n’ont pu briller sur le plan académique. Ils ont certainement des talents. Il faut aussi améliorer notre système de bien-être et de marché du travail qui ont leurs limitations.

En sus de l’argent et des frustrations, il y a aussi le sexe. Êtes-vous surpris que l’infidélité soit la cause d’un nombre croissant de crimes ?
Avant de parler d’infidélité il faut passer par le mariage. Aujourd’hui il est regrettable que les mariages soient devenus des projets. Il y a cette pression : je dois me marier, je dois avoir un enfant, etc. De plus, Il n’y a pas suffisamment de préparation avant le mariage, surtout en termes d’éducation. Sans compter ces illusions de « the dish outside smells better » ou que l’herbe est plus verte ailleurs. Au final, le mariage reste un vœu que nous faisons devant Dieu, quelle que soit la religion, et il y a aussi cet aspect. Que dans les deux cas on soit éduqué !

«Il est temps d’avoir des volontaires professionnels et des organisations à but non lucratif»

Quel rôle les ONG doivent-elles jouer face à la dégradation des mœurs ?
Je ne parlerai pas de dégradation, mais de changement sociétal car chaque génération vient avec son lot de défis et de difficultés. Parler de dégradation serait en contradiction avec les instances internationales qui estiment que Port- Louis, par exemple, est l’une des meilleures villes à vivre parmi les pays africains, que nous sommes un exemple de démocratie ou que nous sommes un modèle de l’entente religieuse, etc…

Le « changement sociétal » dont vous parlez n’est-il pas un moyen déguisé pour éviter le terme de dégradation ?
Je concède qu’il y a des difficultés. Le changement sociétal apporte son lot de défis, de difficultés et de faiblesses. Mais nous sommes toujours un pays qui attire des touristes par centaines de milliers. Vous pouvez toujours marcher tranquillement dans les rues et il n’y a pas beaucoup de pays en Afrique où c’est le cas. Tout est une question de perspective. Certains préfèrent voir le verre à moitié vide, d’autres à moitié rempli.

Revenons en au fait, quel est le rôle d’une ONG dans tout cela ?
Dans une société qui se dit moderne, le rôle d’une ONG ne peut être négligé. Vous imaginez quel aurait été le sort des enfants handicapés sans l’émergence des ONG ? Quel serait le sort de notre environnement, surtout avec l’avènement du changement climatique sans les ONG ? Ce sont les ONG qui ont attiré l’attention sur la forêt de Ferney ou encore sur l’érosion de nos plages, le SIDA, l’éducation sexuelle, la pauvreté, entre autres. Les ONG, même si elles ne disposent pas de beaucoup de ressources, viennent combler, complémenter, voire soutenir, les actions gouvernementales.

À travers le CSR Fund, qui dispose de Rs 700 à 800 millions, dont Rs 400 à 500 millions qui seront disponibles probablement en juin, venons de l’avant avec une loi, comme recommandée par le Programme des Nations unies pour le développement, APRM, évoluons de la loi de l’association qui a des limites et développons un secteur civique à Maurice. Avec les législations adéquates, les ONG deviendront plus efficaces et nous pourrons mieux nous organiser et sévir, si nécessaire.

Mais il y a une perception que la majorité des ONG sont nullement efficaces étant constituées par un groupe d’amis ou de proches parents pour bénéficier des allocations et des voyages à l’étranger.
Cela reste une perception. Mais ce dont vous parlez pourra être réglé avec une loi régissant les ONG, éliminant ainsi ces ONG inactives.  De plus, il est devenu beaucoup plus difficile pour les ONG d’obtenir des fonds aujourd’hui. Sous l’ancien système de CSR, Rs 200 à 250 millions retournaient au gouvernement. Les ONG éprouvaient des difficultés à avoir accès aux fonds. C’est pourquoi nous avons accueilli favorablement la mise sur pied de la National CSR Foundation où la distribution des fonds se fait aujourd’hui de manière plus juste et équitable.   

Est-ce que tout tourne autour de l’argent ? Où sont passé le volontariat et le bénévolat ?
Aujourd’hui le secteur civique a évolué, notamment avec le développement économique. Il est grand temps d’avoir des volontaires professionnels et des organisations à but non lucratif. Soit une organisation dont les profits ou donations sont entièrement réinjectés dans l’organisation pour sa bonne marche, et non aux propriétaires/gestionnaires. Ces organisations aident à créer l’emploi, contribuent au produit intérieur brut tout en aidant à faire reculer les fléaux ou autres causes. D’où la nécessité d’avoir un secteur civique dont le modèle a changé et qu’il faut consolider.

Qu’est- ce que le MACOSS a fait concrètement pour aider à endiguer la violence ?
Conscients des problèmes liés à la consommation des substances abusives et l’alcool, nous menons une campagne à travers l’île avec l’aide du Sugar Industry Labour Welfare Fund notamment pour sensibiliser, éduquer, réhabiliter, prévenir de même que pour la promotion des bonnes habitudes. Nous avons signé un protocole d’accord avec l’Université de Technologie de Maurice  pour que les étudiants puissent entreprendre un mois de formation dans une ONG. Nous avons commencé un programme pour la reconnaissance des autrement capables.

Concernant la pauvreté, nous avons lancé le concept de Pauverty Eradication Network (PEN). Et le lundi 27 février, nous procéderons à l’inauguration de notre Regional Leadership Center à Réduit où des cours de formation seront dispensés, entre autres. Il ne faut pas non plus oublier que lorsque j’ai accédé au poste de président du MACOSS, j’ai hérité d’une ardoise de Rs 7 à 8 millions. Aujourd’hui je peux vous dire que grâce à une bonne gestion et l’aide des différents partenaires, le MACOSS est « debt free ».

 

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