Interview

François de Grivel : «La roupie est trop forte»

François de Grivel

L’industriel estime que la roupie est trop forte face à l’euro. Elle serait l’une des causes de la baisse des revenus de l’ordre de Rs 6 milliards par les exportateurs.

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L’année tire à sa fin. Quel regard portez-vous sur l’évolution de l’économie pour 2016 ?
La croissance n’a pas été suffisante. Elle est à 3,5 %, alors qu’elle aurait dû être entre 4 et 4,5 %. La création d’emplois n’a pas suivi non plus. En général, l’économie a été affectée par l’environnement sociopolitique.

L’économie est en bonne santé, si je puis dire, au niveau des activités existantes. Mais tel n’est pas le cas à l’échelle des activités futures. Il y a bien eu des investissements directs étrangers, mais c’est plutôt concentré dans le domaine de l’immobilier.

Si nous analysons les chiffres du secteur manufacturier et le textile, entre autres, une baisse est notable. Notre économie a tourné au ralenti. Il y a eu des projections au niveau du gouvernement, notamment l’Economic Vision Statement du Premier ministre, il faut maintenant qu’elles soient réalisées. 

À quoi faites-vous référence en parlant d’environnement sociopolitique ?
Les changements intervenus au gouvernement, notamment le remplacement de Vishnu Lutchmeenaraidoo par Pravind Jugnauth comme ministre des Finances. Les orientations stratégiques adoptées doivent être poursuivies.

Il faut une meilleure synergie entre les différents ministres. Et le Premier ministre doit être LE vrai leader de ce gouvernement. Sir Anerood Jugnauth a certes de bonnes idées, mais il est un peu fatigué. C’est comme ça... C’est la réalité des choses.

Le manque de cohésion au gouvernement aura-t-il eu raison du mood des investisseurs ?
Quand il n’y a pas d’unité au sein d’une équipe gouvernementale, cela pose problème. Nous comprenons qu’un Premier ministre sera nommé bientôt et que cela ne peut se faire maintenant pour des raisons internes aux partis politiques.

Cette décision doit toutefois être prise une fois pour toutes afin qu’il y ait une orientation économique et non pas plusieurs. D’autant qu’il nous reste deux à trois ans avant la prochaine échéance électorales. 

Quels sont les risques liés à une telle situation ?
Le secteur privé doit être rassuré. Il faut l’encourager à investir à Maurice plutôt qu’à l’étranger, notamment dans les zones préférentielles en Afrique.

Êtes-vous optimiste pour 2017 ? Quels sont les secteurs qui connaîtront un essor ?
Le tourisme devrait se développer dans le domaine du moyen et haut de gamme. Les avions low cost ne débarquent pas forcément des touristes friands d’hôtels de 4 à 5 étoiles. Il faut mettre en place les structures nécessaires face à une augmentation du volume de ces arrivées.

Dans le secteur manufacturier, textile et non-textile, la situation sera difficile. Surtout si le gouvernement propose la compensation salariale. Rehausser les salaires est une chose, augmenter la productivité, c’en est une autre. Mieux, plus et en qualité.

“On avait dit en 2015 lors des tripartites que si l’inflation était inférieure à 5 %, il n’y aurait pas de révision salariale.”

C’est à peu près le discours du Gouverneur de la Banque de Maurice. Vous y souscrivez ? Les Mauriciens vivent-ils au-dessus de leurs moyens ?
C’est vrai ! Une partie de la population vit au-dessus de ses moyens. Leurs revenus ne sont pas suffisants pour faire face aux besoins traditionnels, c’est-à-dire une maison, la nourriture, l’habillement et l’école.

Il faut pouvoir payer des salaires plus élevés. Aller vers une high income economy. Pour cela, il faut des gens formés. Et produire plus et mieux. La productivité au sein du privé doit être améliorée.

Les exportations vont chuter par Rs 6 milliards, selon Statistics Mauritius. Comment l’expliquez-vous ?
Le marché a été difficile. L’Afrique du Sud, qui est l’un des pays importateurs de nos produits textiles, n’a plus le même pouvoir d’achat depuis la baisse du rand. En Europe, nous avons fait face à une baisse dans les commandes. L’euro a baissé, tout comme la livre sterling avec le Brexit qui n’a pas eu d’effets directs sur les exportations, mais plutôt sur le taux de change.

Quand nous sommes moins de Rs 6 milliards, c’est parce que nous recevons moins de roupies. Je pense que notre roupie est trop forte. J’ai lu le discours de Ramesh Basant Roi. Il y a un effort à faire pour que la roupie soit plus élevée dans un pays où les exportations se font en euro et les importations en dollar.

Quelle serait le meilleur taux entre la roupie et l’euro ?
Rs 40 l’euro serait idéal. L’euro coûte 1,06 dollar. Celui-ci s’est raffermi depuis l’élection de Donald Trump, mais se stabilisera sans doute autour de Rs 34. Trump a, quelque part, un côté positif. C’est un homme d’affaires qui veut que les choses avancent.

L’Alliance Lepep est au pouvoir depuis deux ans. Comment évaluez-vous sa performance ? En matière de promesses et de réalisations ?
J’ai beaucoup apprécié l’Economic Vision Statement de sir Anerood Jugnauth. Le secteur public doit investir davantage. Pas seulement dans les infrastructures. Il y a ensuite eu deux budgets…

Le premier promettait une croissance de 5,7 %. Cela m’a paru ambitieux. Si on était 4,2 à 4,5 %, on aurait créé des emplois. Le second budget pourrait donner de meilleurs résultats, souhaitons-le. Il faut contrôler les dépenses à tous les niveaux.

La MEF estime que la compensation salariale pèsera lourd sur l’économie. Votre avis ?
Oui. Avec une compensation salariale, cela va coûter encore plus au pays. Déjà que les recommandations du Pay and Research Bureau (PRB) sont assez lourdes à porter pour l’ensemble des contribuables. On avait dit en 2015 lors des tripartites que si l’inflation était inférieure à 5 %, il n’y aurait pas de révision salariale.

Les syndicats ont leur rôle à jouer. Cela doit se faire dans la bonne direction. En Allemagne, ils acceptent qu’il n’y ait pas d’augmentation. Il faut savoir être raisonnables.

Croyez-vous dans le salaire minimal ?
Il y 24 National Remuneration Orders. De la construction au tourisme. Il nous donne déjà une indication du salaire minimal. Les associations du privé discutent avec le ministère du Travail et nous ne sommes pas en faveur d’un salaire minimal uniforme à différents secteurs. Il faut analyser son poids dans chaque secteur.

Quel serait le montant idéal ?
Au sein de l’industrie de l’exportation, il est de Rs 6 500, alors que dans la Fonction publique, il est de Rs 8 000. Il faut que le secteur public donne le bon exemple. Dans une famille, cela peut causer des frictions. Surtout quand l’un des conjoints dans le public travaille 30 à 32 heures, tandis que l’autre, qui est dans le privé, doit faire 45 heures.

 

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