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Fête de la musique - Le séga : un patrimoine impérissable

Plus de style, de rythme et d’expressions importées. C’est ce qu’on peut noter dans la musique locale depuis ces dernières années. Cela signifie-t-il que notre culture se perd ? En ce 21 juin où l’on célèbre la musique, la question a été posée à des artistes. Certains disent qu’on a besoin de la tradition locale comme repère. D’autres estiment qu’assaisonner la musique locale d’influences externes fait partie de l’évolution.

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Serge Lebrasse, ségatier qui compte 55 ans de carrière

« Aujourd’hui c’est tellement facile de faire de la musique. Jadis, ce n’était pas si évident que cela. On mettait au moins trois jours pour enregistrer un disque correctement. Si la guitare ou la batterie était trop forte, on ne pouvait pas la baisser. On devait recommencer l’enregistrement. Aujourd’hui, si le son d’un instrument est trop fort et qu’on n’entend pas bien la voix du chanteur, on n’a qu’à le retravailler sur ordinateur. Les jeunes ne connaissent pas vraiment cette difficulté. C’est aussi ce qui faisait le charme du séga mauricien. Nous avons perdu le son traditionnel de la ravanne, du triangle et de ces autres instruments qui faisaient partie du paysage musical. L’orchestre vivant a été remplacé par un ordinateur ou d’autres appareils. Je trouve cela dommage. »

Daniella Résidu, chanteuse de Séga Tipik

« La musique locale a bien évolué. Chacun y a apporté sa touche personnelle et son style, mais je pense qu’on doit conserver son identité. C’est-à-dire notre Sega Tipik. Il ne faut pas oublier que nos ancêtres, les esclaves, ont chanté le séga typique pour exprimer leur souffrance. C’est dommage de perdre ce qui nous est propre. Moi je suis une battante dans ce domaine. J’en joue toujours aux anniversaires, aux mariages et partout où on peut en jouer. Car c’est notre culture et elle s’évapore peu à peu. J’ai d’ailleurs sorti un album récemment. Il s’intitule Zimaz mo karier mizikal. Il comprend six titres et reprend ce que j’ai fait pendant mes 21 ans de carrière. Je donne aussi des cours de danse. C’est une façon pour moi de préserver notre patrimoine culturel. »

Gary Victor, chanteur de zouk et de séga

« La musique locale devient plus intéressante, car il y a beaucoup de nouveautés et de styles. Je pense que la musique mauricienne est passée à une étape supérieure. Il y a aussi beaucoup de jeunes qui s’investissent dans la création de nouveaux sons. Mais de là à dire que nous perdons notre identité musicale… Malgré les nouvelles créations, la plupart des artistes font en sorte que leur musique soit dotée d’une touche locale. L’influence des musiques d’ailleurs sur la musique locale fait partie de l’évolution. Et puis la musique, c’est quelque chose de libre. On est libre de créer. Ce n’est pas important pour sa culture qu’un jeune musicien mauricien apprenne d’abord la musique traditionnelle et choisisse ensuite la musique qu’il fera personnellement. La culture est une chose innée. Je suis d’avis que ce qui compte avant tout, c’est de produire une musique qui nous plaise et qui nous permette de nous exprimer. Parallèlement, personne ne pourra jouer du séga comme les Mauriciens. Impossible de perdre notre identité. »

Gérard Louis, auteur-compositeur-interprète

« Avec l’avènement des nouvelles technologies, c’est difficile de ne pas se moderniser. Entre les années 2000 et 2017, je constate que la musique a évolué très rapidement. Je pense que nous ne sommes pas prêts à perdre notre séga. Il fait partie de notre monde musical depuis plusieurs années. Les jeunes font aussi de leur mieux pour préserver cette culture. Je pense que c’est dû au fondement qui leur a été inculqué. Même s’ils viennent avec de nouveaux styles et construisent leur propre musique, les jeunes apportent un peu de Maurice dans leur art. C’est une très bonne chose. »

 

Marie-Josée Couronne, une des rares femmes ségatiers des années’ 80

« C’est vrai qu’on a fait du chemin depuis les années’ 80. Je trouve que c’est une très bonne chose que la musique ait évolué et qu’il y ait de nouveaux styles. Je pense que nous devons continuer en ce sens. Et je le dis sans crainte, car je ne pense pas qu’on risque de voir notre séga disparaître. Cela fait partie de nous. Il appartient au compositeur de choisir la couleur qu’il souhaite apporter à sa composition. L’important est de continuer à promouvoir la musique et lui donner la valeur qu’elle mérite. J’en profite d’ailleurs pour encourager les artistes mauriciens, qu’ils soient jeunes ou vieux, à poursuivre leur travail. »

Marcel Poinen, compositeur

« Depuis ces cinq dernières années, la musique a rapidement évolué. Nous le voyons surtout dans les fusions et le style de composition. Il y a eu beaucoup de progrès. On peut dire qu’on s’est bien adapté aux nouvelles technologies et les traditions se perdent. C’est normal et inévitable, bien qu’étant triste. Il n’y a pas eu d’institutions qui ont su préserver notre séga. C’est une bonne chose d’avoir une ouverture musicale. Ce qui est malheureux, en revanche, est le fait que notre héritage disparaisse. Mais je dois dire qu’à Rodrigues, il y a un gros travail qui est fait pour préserver la musique traditionnelle. »

 

Shakti Kumar, chanteur et danseur de Geet Gawai

« Le Geet Gawai est une cérémonie qui se tient à l’avant-veille d’un mariage hindou. Jadis, les personnes âgées chantaient en bhojpuri l’histoire d’amour vécue par les dieux. Puis elles dansaient. Aujourd’hui, cette cérémonie a évolué. Adoptée aussi par les jeunes, elle est plus moderne, mais elle a peu à voir avec la religion. Ces groupes s’adaptent et créent leurs propres chorégraphies, en se déhanchant sur des musiques pop ou en jouant, tels des acteurs, des scènes d’amour. Le but de ces groupes de jeunes est de mettre de l’ambiance et de divertir les invités. Aujourd’hui, le style du Geet Gawai est souvent repris dans le séga. Je ne trouve pas que le fait de se moderniser soit une mauvaise chose, du moment qu’on ne fait pas fi des valeurs intrinsèques de la musique traditionnelle. Pour les autres styles de musique, je pense que c’est la même chose. Nous pouvons importer les expressions ou les styles mais la base reste la même. Cette valeur subsiste et indique que tel morceau est joué ou interprété par des Mauriciens. »

Anne-Sophie Paul, chanteuse

« Je trouve que la musique a pris une tournure très positive. Les artistes sont plus conscients de leurs capacités et leur importance au sein de la société. On entend beaucoup de nouveautés à la radio et on voit une panoplie de clips à la télévision. Cela démontre à quel point la société et les médias encouragent les nouveaux talents à évoluer. Je ne pense pas que ce faisant, nous perdons notre identité musicale. Bien au contraire, on est plus ouvert à de nouveaux styles et de nouveaux concepts. Il faut juste connaître les limites à ne pas franchir. En tant que jeune artiste, je pense qu’il est important d’avoir sa propre identité musicale. Il ne faut surtout pas essayer d’imiter ou de ressembler à un chanteur ou une chanteuse qui compte. Chacun a sa capacité vocale. Certains ont plus de puissance alors que d’autres jouent plus dans la douceur et l’émotion. C’est bien de connaître notre musique traditionnelle et surtout de savoir apprécier l’évolution de la musique locale. »

Eric Triton, bluesman

« Je crois qu’il y a plus un blocage qu’une évolution. Nous nous nous inspirons des musiques étrangères et nous oublions malheureusement notre culture. Nous allons vers trop de modernisme pour une île comme Maurice. Certains artistes conservent l’identité mauricienne dans leur musique, mais il y a beaucoup qui sont très influencés par la musique d’ailleurs. Quand on parle de musique de nos jours, on accorde trop d’importance à la fête et à l’amusement. Il n’y a plus vraiment de messages. L’accent est davantage mis sur le son que sur les paroles. Du coup, les messages importants ne sont pas véhiculés. Nous devons conserver le peu de culture musicale que possède Maurice. »

 

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