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Expropriation : des lois dépassées en quête d'humanisation

la butte Le bulldozer de la SMF démolissant une clôture.

Les événements à La Butte et Résidence Barkly, qui monopolisent l'attention depuis la semaine dernière, soulèvent des questions autour de la Land Acquisition Act. Elle date de 1973 et ne répond plus aux normes internationales.

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Les textes de loi qui régissent l'expropriation contribuent-ils à rendre confuse la situation à Résidence Barkly et La Butte ? Plusieurs légistes et professionnels du domaine pensent que la Land Acquisition Act, qui date de 1973, est dépassée et contribue à la polémique que soulève le projet de Metro Express et qurisque de le retarder.

Ce texte de loi fait uniquement provision pour une compensation financière liée à la valeur du terrain, mais ne fait aucune mention de la négociation et du suivi des familles. Du coup, le bon déroulement du processus d'expropriation dépend entièrement du bon vouloir des personnes impliquées.

Parfois, cela se passe plutôt bien, selon Candhayalallsing Seebaluck, Senior Attorney, qui a traité plusieurs cas d'expropriation. « Quand l'offre du gouvernement n'est pas satisfaisante, la personne peut contester devant le Board of Assessment, explique-t-il, et d'après mon expérience, ils sont plutôt flexibles, essayant toujours d'arriver à une solution qui puisse satisfaire toutes les parties ». Il est commun pour le gouvernement de chercher à payer le minimum et au propriétaire de réclamer le maximum, selon l'homme de loi. Le rôle du Board consiste alors à faire de la conciliation.

Me Seebaluck cite l'exemple d'une sœur et d'un frère, des clients dont les terrains avaient été obligatoirement acquis par le gouvernement. Sauf que la sœur avait reçu dix fois la somme touchée par son frère pour une portion de terre équivalente. « Le problème était qu'une partie du terrain du frère était agricole et valait donc bien moins, explique Candhayalallsing Seebaluck, mais on leur a parlé pour faire comprendre qu'une telle différence n'était pas normale. Ils ont compris et réduit l'écart ».

Les choses pourraient toutefois se faire de manière plus souple, estime l'avocat. « Au lieu d'attendre que le gouvernement fasse la proposition initiale qui peut être refusée, ce serait mieux de négocier dès le départ et ensuite trouver un accord sur un chiffre en s'appuyant sur des évaluateurs indépendants  », explique Me Seebaluck. L'indépendance de ceux qui sont chargés de l'évaluation est un élément crucial, opine Me Bebakur Rampoortab. Ce qui est loin d'être le cas actuellement.

« Si vous travaillez pour moi, vous allez toujours travailler en ma faveur », estime l'homme de loi en référence au Board of Assessment et aux évaluateurs. Ces derniers, affirme-t-il, ne sont pas indépendants. « L'État ne propose jamais la valeur réelle en guise de compensation, raconte-t-il, sur le marché, votre bien peut valoir le double de ce qu'ils proposent. Même devant le Board of Assessment, c'est rare que la somme convenue corresponde à la réalité ».  Le Board, révèle-t-il, est toujours très conservateur. Pour lui, s'il doit y avoir des amendements au texte de loi, ce serait pour l'humaniser.

Rapidité d'exécution

Le conseiller légal du ministère du Logement et des Terres, Me Robin Appaya, se concentre plutôt sur la rapidité d'exécution. Il estime que l'actuel Land Acquisition Act devrait être rendue plus efficace en faisant provision pour que l'exercice de compensation soit effectuée plus rapidement. « Une personne peut attendre jusqu'à deux ans pour obtenir sa compensation », révèle-t-il. Ce dernier poursuit en ajoutant que des ajustements devraient être faits concernant le Board of Assessment qui est une autorité qui ne se réunit pas régulièrement. Il plaide ainsi pour la création d'un Board permanent, ce qui rendrait ainsi les démarches plus efficaces. « Les personnes qui n'ont pas encore été compensées devraient aussi avoir accès à un logement temporaire », suggère-t-il.

L'ancien ministre du Logement et des Terres, Joe Lesjongard, se montre plus pragmatique. Il est d'avis que la loi devrait être amendée afin de mieux sauvegarder les intérêts de l'État pour ce qui est de la réalisation de projets d'intérêt national. « Le gouvernement ne peut accorder une compensation financière pour récupérer ses propres terres afin de réaliser un projet qui servira à toute la nation », estime-t-il. Mais sur un point plus humain, il considère que l'aspect sentimental ne peut être occulté, tout en admettant qu'il est à ce jour difficile d'y mettre un chiffre. C'est pour cette raison qu'il plaide pour un accompagnement psychologique pour toute personne concernée.

L'ancien ministre propose aussi que certaines pratiques autour de cette loi soient revues. « C'est barbare de placarder des notices sur un mur pour informer une personne qu'elle devra évacuer les lieux », déclare-t-il. Joe Lesjongard soutient qu'un tel exercice doit se faire dans le dialogue social.

Ce que recommande la Banque mondiale

Le document intitulé OP 4.12 Involuntary Resettlement de la Banque mondiale, préparé en 2001, énonce la politique officielle de cette institution concernant l'expropriation et la réinstallation des populations ou des citoyens pour les besoins de projets infrastructurels. Force est de constater que la plupart des mesures recommandées, notamment en ce qu’il s'agit d'accompagnement, sont totalement absentes de nos lois actuellement.

« L’expérience de la Banque mondiale démontre que, si elle n’est pas bien organisée, la réinstallation involontaire intervenant dans le cadre des projets de développement engendre souvent de graves problèmes économiques, sociaux et environnementaux », prévient ce document. La politique mise en place par la Banque mondiale est censée servir de sauvegarde pour réduire les risques d'appauvrissement à la suite d'une réinstallation.

Le premier gros manquement est le non respect du principe de consultation et d'élaboration d'un programme de développement.

Selon la Banque mondiale, « les activités de réinstallation devront être conçues et exécutées sous la forme de programmes de développement, procurant aux personnes déplacées par le projet suffisamment de moyens d’investissements pour leur permettre de bénéficier des avantages du projet. Les populations déplacées devront être consultées de manière constructive et avoir la possibilité de participer à la planification et à la mise en œuvre des programmes de réinstallation ».

Plus loin, ce même document précise les droits des personnes concernées par la réinstallation :

1. Elles doivent être informées de leurs options et de leurs droits par rapport à la réinstallation
2. Elles doivent avoir plusieurs choix et être informées des alternatives
3. Elles doivent être compensées rapidement

Le soutien accordé ne se limite pas à la réinstallation des personnes concernées. Il doit aussi y avoir un suivi. Les personnes déplacées doivent ainsi recevoir une aide «  pour une période transitoire ». Cette période est déterminée par une estimation du temps que prendront les personnes déplacées à se remettre en selle, surtout lorsqu'il s'agit des revenus.

Pour l’aide au développement, la Banque mondiale ajoute des mesures telles que la « viabilisation des terrains, des mécanismes de crédit, de la formation ou de la création d'emplois ».

Autant de mesures destinées à s'assurer que les familles déplacées puissent survivre de manière adéquate.

Rajen Narsinghen, chef du département de droit, UoM : «C’est une erreur de tout laisser entre les mains de la Cour suprême»

Le drame qui se joue actuellement en Cour suprême pour La Butte et Barkly est-il le résultat de manquements dans la loi ?
Il est important qu'on lise les dispositions de la Land Acquisition Act avec les dispositions de la Constitution. Il y a surtout les articles 3 et 8. Dans toute démocratie libérale, la protection du droit à la propriété privée est sacrosainte. Mais la Constitution elle-même prévoit des exceptions quand l'État a besoin de terrains pour des questions de « public interest  », « public health » ou « public safety  », selon les termes de l’article 8. L'expropriation est alors possible. Il faut mettre l'accent aussi sur le terme «  adequate compensation » qui y figure. Le premier constat, c'est que la Land Acquisition Act date de 1973 et n'a été amendée que superficiellement depuis. C'est un copier-coller de la loi anglaise qui ne reflète pas notre Constitution. Ce n'est pas anodin si notre loi suprême parle de «  adequate compensation » et ne réduise pas la compensation à une simple compensation sur la valeur du terrain. Mais la Land Acquitision Act ne parle que de compensation en faisant l'impasse sur le terme « adequate  ». On peut donc se poser la question : est-ce que cette loi est conforme à la Constitution ? Sur le plan international, des lois parlent même de « prompt and adequate compensation ».

Les textes de loi sur l'expropriation traitent-ils de tous les aspects nécessaires selon vous?
Il y a plusieurs lacunes dans la loi actuelle. L'expropriation est déjà une affaire grave, mais quand il y a des expropriations massives, comme il y en a eu au Pérou, au Tamil Nadu ou en Chine, il y a eu des problèmes. Les gens sont attachés à la famille, les enfants, les terrains. Mais la Land Acquisition Act ne fait aucune provision pour un processus de consultation. C'est au bon vouloir du gouvernement ou du ministère responsable. Il n'y a pas de mécanisme dans la loi, hormis le fait de servir une notice. Au Japon, ils ont amendé leurs lois pour prévoir cette négociation. Au Brésil et en Allemagne, pays capitalistes par excellence, il y a le principe de solatium, une forme de subside social.

Quand il y a eu des expropriations massives, il y a eu des problèmes»

Outre les négociations, quels autres changements sont nécessaires ?
Le gouvernement nous dit que Rs 375 millions ont été déboursées à ce jour en compensation pour les expropriations. Mais il n'y a aucune transparence. On ne sait pas qui a touché quoi et si cela s'est fait sur une base équitable. Ensuite, la loi n'établit pas les  règles qui déterminernt la compensation : est-ce sur la valeur du terrain au moment où il a été acheté ou sur sa valeur sur le marché actuel ? Ou alors sur une projection dans le temps ? Je peux acheter un terrain à St-Félix à Rs 1 million, par exemple, en espérant qu’il va valoir Rs 10 millions dans 10 ans. Il faut parler aussi du nombre d'années passées sur le terrain en question : la personne qui a vécu un an à La Butte touche-t-elle la même somme qu'une personne qui y a vécu 38 ans ? Quelles mesures d'accompagnement sont prévues pour le soutien psychologique ? La Sécurité sociale ne devrait-elle pas faire un suivi ? De plus en plus, avec les développements à venir, il faut se poser ces questions.

Le conseiller du ministre du Logement et des Terres, Robin Appaya, estime qu'il faut amender la Land Acquisition Act pour créer un tribunal permanent. Est-ce une bonne idée ?
Si quelqu'un devait remettre en question la composition du Board of Assessment, la Cour risque de la juger anticonstitutionnelle. Le président est nommé par le Chef juge, ce qui est tout à fait normal. Mais ce qui est extrêmement dangereux, c'est que deux autres membres sont nommés par le ministre. Ils auraient dû être nommés par le Chef juge également. Sur des choses aussi sensibles, il faut un board indépendant. En plus, la décision est prise par la majorité, les deux nominés peuvent renverser la décision du président qui est plus indépendant. Si on crée un tribunal, il faut que les membres soient nommés par la Local Government Service Commission.

Au delà du texte de loi, comment s'assurer que l'aspect humain du problème soit pris en considération?
Je crois que c'est une erreur qu'on en arrive à tout laisser entre les mains de la Cour suprême. La Cour se basera sur les éléments de droits et prendra une décision en conséquence. On ne peut la blâmer de ne pas prendre en considération l'aspect humain. Le Judiciaire s'appuie sur le positivisme juridique et dépend des textes de loi et de la jurisprudence, non le droit naturel. Un gouvernement ne doit-il pas aller au-delà de cet aspect ? En Suisse, cela fait 25 ans que les politiciens de tous bords sont d'accord qu'il est nécessaire de construire un tunnel sous le lac Léman. Le projet a été rejeté à chaque fois à travers des référendum. Quand un gouvernement n'a qu'une majorité de 52 %, c'est encore plus important. Il faut réfléchir à ça pour l'avenir, pour les grands projets.

En 2016/2017

Rs 560,4 millions payées pour 29 projets

C’est une somme de Rs 560 405 607, 83 que l’État a déboursé afin de compenser les personnes dont les terres ont dû être réquisitionnées dans le cadre de projets publics. Récapitulatif.

  • Route de Grand-Baie: Rs 102 311,23
  • Tout-à-l’égoût à Grand-Baie : Rs 162 400
  • Sentier à Beau-Séjour : Rs 35 000
  • Rénovation du réservoir la Ferme : Rs 4 143 369,97
  • Construction d’un chassé à Phoenix-Nouvelle France : Rs 6 300
  • Construction d’un barrage de diversion à Rivière Cascades-Bagatelle Dam : Rs 645 751, 23
  • Construction d’un pont à Congomah : Rs 1 910 982,59
  • Amélioration des infrastructures sur la route de Riche-Terre : Rs 292 160,21
  • Construction de la Ring Road : Rs 39 332 322,47
  • Réhabilitation du vieux pont de Grande Rivière Nord Ouest dans le cadre de  la décongestion routière : Rs 1 212 325,81
  • Construction de la route Phœnix/Beaux-Songes : Rs 1 212 325,81
  • Construction du pont Sorèze-Coromandel : Rs 1 162 900,82
  • Construction d’un by pass à Triolet : Rs 1 061 961,09
  • Projet de tout-à-l’égout : Rs 930 040,00
  • Réalignement de la route de Solitude : Rs 6 692 742,83
  • Réhabilitation de la jonction de Piton : Rs 1 723 630,14
  • Réhabilitation de la route de Plaine-des-Roches : Rs 122 321,48
  • Réhabilitation de la route de Belle-Vue : Rs 262 398,42
  • Mauritius Light Rapid Transit Proiect : Rs 316 818 718,40
  • Création d’une zone endémique à Vallée d’Osterlog : Rs 336 000
  • Construction d’une route Forbach/Bel-Air : Rs 92 127 210,29
  • Harbour Bridge : Rs 65 330 111,72
  • Construction de drains à Pointe-aux-Piments et Mon Choisy : Rs  277 737,60
  • Construction de drains pour prévenir les glissements de terrain à Chitrakoot : Rs 712 275,54
  • Réhabilitation de route à Quartier-Militaire : Rs 4 970 267,74
  • Construction de Terre-Rouge/Verdun :  Rs 16 373 087,38
  • Réhabilitation de la route Brisée Verdière-St Julien-Circonstance : Rs 837 616,44
  • Construction d’un sentier et aménagements de drains à Floréal : Rs 160 000
  • Agrandissement et réhabilitation de Rivulet St-Louis : Rs 1 296 067,03
 

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