La 6e édition des débats sur le ‘Projet de société’ initiés par Malenn Oodiah, en collaboration avec Le Défi Media Group s’est tenue, mercredi 5 décembre à l’hôtel Trou-aux-Biches, sur le thème L’Économie bleu-vert.
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Malenn Oodiah et Nawaz Noorbux, directeur de l’information de Radio Plus, avaient convié Vassen Kauppaymuthoo, océanographe, Mohamadally Lallmamode, pêcheur et directeur de Mauritius Offshore Fisherman Cooperative, Nathalie Perrine, Beach Resource Centre Officer et Rheema Aubeeluck, consultante et enseignante en Hospitality Management.
La question est aussi vaste que les 2,3 millions km2 constituant la zone économique exclusive (ZEE) appartenant à Maurice. Toute stratégie de développement serait vouée à l’échec si outre l’aspect économique, elle n’intègre pas les dimensions politique, pédagogique, sociale, et citoyenne, entre autres. « C’est une richesse qu’il faut valoriser », assure en préambule Vassen Kauppaymuthoo. « De nombreux pays, des compagnies privées des ONG ont fait de la mer l’avenir de leurs projets de développement. C’est de la mer que naitront les secteurs innovants : dans la pharmaceutique grâce aux nodules polymères ; les entreprises de transformation de poisson et l’utilisation des vagues et courants marins… »
Ces richesses suscitent des convoitises, d’où l’intérêt de certaines puissances émergentes dont la Chine et l’Inde, mais aussi du Japon et, récemment, de l’Australie, qui proposent d’aider au développement de ces ressources. L’aide de ces pays est-elle désintéressée ? se demande Malenn Oodiah ? Maurice peut-elle se passer de leur coopération, ou doit-elle être plus exigeante dans la recherche des accords ?
Volonté politique
Toute initiative visant à élaborer un plan d’action pour développer l’économie bleu-vert doit à la fois participer d’une véritable volonté politique, en étroite collaboration avec les citoyens et fondée sur une pédagogie précoce et une sensibilisation tous azimuts. « Il faut être conscient de la connexion de tous les écosystèmes, l’état de la mer dépend de celui de la terre », souligne Nathalie Perrine. Pour Rheema Aubeeluck, le constat est sans appel : « Notre océan est malade, les fonds sont dégradés, détruits. La pollution commence sur terre et les déchets vont à la mer. Face à cette situation, caractérisée par la surexploitation de nos ressources alimentaires marines pour satisfaire l’industrie du tourisme, il faut un projet de société. » À cette pression, dit-elle, viennent se greffer les conséquences du réchauffement climatique, le taux d’acidité de l’eau de mer et les risques de marée noire.
La réussite de l’économie bleue nécessite l’adoption de pratiques de pêche durable, pour assurer la pérennité du secteur, l’emploi des jeunes, le recours à des technologies modernes, martèle avec force Mohamadally Lallmamode. « Nos supermarchés ne vendent même plus du poisson frais, mais des poissons importés d’on ne sait où. Les chalutiers étrangers raclent les fonds marins sans faire de distinction entre les poissons adultes et les petits poissons », rappelle-t-il.
L’océan Indien : enjeux géostratégies
« La Chine et l’Inde se sont déjà positionnées. » Malenn Oodiah cite ces deux pays en exemple pour montrer la convoitise que suscitent les richesses sous-marines de notre zone économique exclusive. Agalega n’est pas étrangère dans l’équation géostratégique de la Grande Péninsule et où l’on parle d’y construire une base militaire. D’autres pays, le Kenya, le Ghana ou l’Australie ne sont pas loin. L’intérêt indien n’est pas seulement d’ordre militaire, la perspective de la présence de pétrole dans nos eaux intéresse aussi les politiciens de Delhi.
« Pour faire face à cette problématique, il faut une diplomatie très fine et intelligente. Il faut veiller à deux choses : l’intégrité territoriale et les besoins de la population », souligne Malenn Oodiah. La présence de nappes pétrolifères ne serait-elle pas une source de richesse supplémentaire pour Maurice ? Vassen Kauppaymuthoo est loin d’en être convaincu, compte tenu de la tendance baissière du prix du baril, d’une part et, la nécessité pour Maurice de s’orienter vers une économie bleue, d’autre part. « Doit-on concevoir le développement de Maurice en termes de richesse ou en ayant le souci de son avenir ? » se demande-t-il. Il se dit opposé à l’élevage de produits piscicoles qui sont « en conflit avec le secteur touristique » et dangereux au niveau de la biodiversité, car les espèces importées sont une menace pour celles endémiques et sont de nature à attirer les prédateurs.
Énergies marines renouvelables
La seule évocation de la vieille bicyclette activée par une dynamo suffit à Vassen Kauppaymuthoo pour mettre en valeur l’énergie éolienne offshore. « Hélas, à Maurice, on ne se dirige pas vers l’énergie propre », déplore-t-il. Dans la pharmacopée marine, soulignons que les éponges contiennent plus de 8 000 molécules utilisées contre le cancer ; des coquillages contiennent un poison 400 fois plus fort que la morphine. « Si l’on arrive à isoler cette molécule et à la breveter, on pourra créer des activités innovantes », fait-il ressortir. Ces perspectives, aussi brillantes soient-elles, risquent de rester des vœux pieux si le climat se réchauffe, prévient Malenn Oodiah. « Il faut éviter de rechercher des gains à court terme », dit-il. Là encore, l’accent est mis sur la formation de ressources humaines, la prise de conscience des richesses de la mer. « Un seul bus dédié à cette campagne ne suffit pas », se désole Nathalie Perrine.
Les bateaux-poubelles
Si le port ne connaît pas en ce moment de gros investissements pour le transformer en un hub régional, le secteur de la pêche devrait normalement produire suffisamment de poisson à usage domestique. C’est, hélas, oublier que les ‘bateaux-poubelles’ sont passés par là, pêchant dans nos eaux pour transformer leurs prises avant de les revendre sur le marché local. « On ne plus poursuivre ainsi : il n’y a même plus de poisson dans nos lagons et il faut pêcher sur les bancs », fait ressortir Malenn Oodiah. Si ces gros chalutiers agissent ainsi à leur guise, c’est par manque de volonté des autorités mauriciennes. « Nous n’avons pas assez de garde-côtes, ni d’équipements de surveillance de précision, notamment la géo-localisation par satellite », regrette Vassen Kauppaymuthoo.
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