Médecin légiste, politicien, ancien président du Mauritius Council Of Social Service (MACOSS), Satish Boolell ne pratique pas la langue de bois. Il tire à boulets rouges sur les travailleurs sociaux, les politiciens et les religieux.
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Macoss, dont vous étiez le président, passe par une succession de secousses. Les différends entre les dirigeants bouffent leur temps au détriment du travail social. Quelles en sont les causes ?
Il semble que MACOSS est devenu une organisation où des gens sont plus intéressés par le ‘self-service’ que le ‘social-service’. Dans le passé j’avais classifié des ONG de PONGO (Politically Oriented NGO), BONGO (Business Oriented NGO) et FONGO (Family Oriented NGO). Si avant des ONG étaient des P.O Box, aujourd’hui, ce sont des Email-NGO. Au final, il y a plus de travailleurs sociaux que de personnes qui ont besoin d’aide. Au lieu d’être un facilitateur des ONG auprès du gouvernement, on s’intéresse plus aux voyages dans d’autres pays. De grands visiteurs devant l’éternel.
Comment peut-on remédier à cette situation ?
Il faut fermer MACOSS. À la limite, revoir son fonctionnement. À l’époque, il avait sa raison d’être parce qu’il n’y avait pas beaucoup d’ONG. Aujourd’hui, il regroupe toutes sortes d’ONG. Je ne comprends pas comment des ONG qui s’occupent des enfants, des handicapés et des personnes âgées, entre autres, peuvent siéger ensemble avec des associations socioreligieuses, culturelles ou des descendants xyz de nos pays de peuplement et certaines fédérations syndicales. On aurait dû retirer les syndicats du MACOSS.
Il faut un contrôle du financement des ONG. Il y a le ‘CSR Committee’ qui exerce un contrôle mais il y a quelques groupes dont le financement est assez occulte. On doit aussi en finir avec le ‘noubanisme’. La société mauricienne mérite mieux. Au niveau de la collecte d’argent, il faut un contrôle car les Mauriciens sont très généreux. Le MACOSS doit revenir à la charge sur des dossiers importants comme la protection des personnes âgées, le fléau de drogue et tant d’autres.
Le bénévolat se meurt car actuellement tout a un prix, tout est argent»
Quel est le profil d’un travailleur social dévoué et sincère ?
C’est un volontaire qui donne de son temps même si c’est difficile pour lui. Par exemple, il ne va visiter un couvent, les dimanches, que pour aider à donner leur bain aux résidents. Il a à cœur l’envie de changer la destinée de ceux qui ont besoin d’aide. Il ne pense pas en termes de communauté et quand il fait des actions pour aider autrui, il ne se fait pas photographier et filmer à tout bout de champ. Je pense toutefois qu’on a de la bonté à Maurice. Un travailleur social est timide mais des fois, il doit donner de la voix et insister pour avoir ce qu’il cherche pour les personnes qu’il sert.
Bon nombre se disent ‘travailleur social’ mais répondent-ils à ce profil ?
Aujourd’hui, le bénévolat se meurt. Tout a un prix, tout est argent. Des fois, il y a des travailleurs sociaux qui sont décorés sans qu’ils n’aient laissé une trace indélébile. Je me demande bien pourquoi alors ? Un vrai travailleur social travaille dans l’ombre. Chaque jour, il fait un constat autour de lui et pense aux solutions. Je connais trois garçons en HSC qui, les samedis, donnaient des cours à leur coiffeur pour qu’il puisse réussir ses examens du SC. Ils ont réussi à le faire. Ils l’ont faire sans fanfare et sans être photographiés. C’est impressionnant !
Donc, le travail social se dévalorise ?
Bien sûr. Quand on regarde les concours de beauté, toutes les Miss affirment qu’elles feront du social. Si on compte 20 participantes étalées sur 20 ans, cela fait 400 personnes. Combien d’entre elles font réellement du social ? Quand une personne n’a rien à mettre sur son CV, il dit faire du social. Quand elle n’a pas de conversation, elle déclare faire du social. Quand elle donne cinq sous en donation, elle clame faire du social.
En tant qu’ancien médecin légiste, à quoi attribuez la dégradation sociale à Maurice ?
Tout se passe au niveau de la famille. Dieu merci, on n’a pas un ‘serial killer’. Je suis content que la police arrive à résoudre beaucoup de cas. Si je fais une analyse me basant sur l’âge des criminels, c’est plus la tranche 25 à 35 ans. Les parents de la génération des années 60-70, surtout les mères, inculquaient des valeurs aux enfants. Après les années 70, beaucoup de femmes ont commencé à travailler. Ainsi on n’a pas pu instiller l’essentiel aux enfants et ils ont donc grandi sans valeurs.
J’ai honte de dire que j’ai présidé Macoss»
Et la société civile dans tout cela ?
Ces valeurs auraient dû être inculquées par les religions. Je crois en Dieu mais je suis arrivé à un stade où je me pose des questions sur la religion.
Toutes les religions dérapent et envahissent l’espace politico-financier. Est-ce que tous nos religieux ne devront pas revoir leur ‘mission statement’ ?
Il y a les enseignants qui ont pour rôle de guider les enfants. Tous ne sont pas mauvais mais avec les leçons particulières, l’enseignement rime avec l’argent. Les enfants n’ont plus de repères et ne savent pas ce qui est bon ou mauvais. Leur éternel guide reste la télévision où des films aux dérapages outranciers sont diffusés.
Sans compter la violence domestique qui est en hausse ?
Dans une société, ce sont les femmes qui sont plus à risques. Le problème est principalement économique. Si une femme est indépendante, elle peut quitter la maison et s’en aller avec son enfant. Ce qui est dommage c’est que le ‘protection order’ est devenu une farce.
Comment réagit-on face à ce fléau ? On organise une marche chaque année. Ces marches sont sans lendemain. Lors de la dernière marche, on aurait pu demander une solution concrète et non pas plusieurs choses. Par exemple, un ‘fast track’ pour les femmes victimes de violence. Le mari violent pourrait être traduit en cour en une semaine. Quand il est condamné à la prison, il faut pouvoir offrir un one-stop-shop où la femme a toutes les aides voulues.
Je crois aussi qu’il faut une compensation criminelle. Un homme qui attaque, blesse ou détruit les revenus d’une famille, doit travailler en prison et une partie de cet argent remis à la famille, surtout quand il y a eu meurtre. La vie doit continuer pour les victimes.
Hier, il y avait des ONG P.O. Box, aujourd’hui, on a des Email-NGO»
Comment les Mauriciens ont développé une colère à fleur de peau ?
C’est surtout la rage de vivre d’une société. La rage sur la route, la frustration de vivre dans une société de consommation à l’extrême où la classe moyenne se sent tondue pour sponsoriser les autres. On pense qu’il y a l’inégalité des chances. Cela se reflète dans tous les secteurs. Par exemple, au travail pour une promotion, des fois avec raison, des personnes crient à l’inégalité car leur visage, couleur ou communauté ne passe pas. La violence est le résultat d’une frustration généralisée.
Le nombre de « Gated Community » se multiplie. N’est-ce pas un signe de sentiment d’insécurité croissante ?
Maurice était un pays où il fait bon vivre. Sauf qu’on a vendu le pays à travers les Integrated Resort Scheme(IRS). De nombreux étrangers, surtout des Sud-africains, ont acheté à Maurice pour être en sécurité. Ils y ont emmené leurs mœurs et coutumes. Résultat : une nouvelle culture s’est développée en raison de l’influence de l’Afrique du Sud sur Maurice. Quelque part, on se sent mal à l’aise. Le sentiment d’insécurité est comme un virus qui se propage facilement.
En tant que médecin légiste, vous étiez très proche de la force policière. Partagez-vous l’impression de bon nombre de Mauriciens concernant un relâchement des policiers quand il s’agit de faire respecter la loi ?
Les policiers fonctionnent à la mesure de leurs chefs. Quand les chefs sont capables, les policiers sont ‘first-class’. Quand ils sont des ripoux, ils deviennent tous pourris. Aujourd’hui, les policiers font des ‘extra-duties’ qui leur permet d’arrondir leur fin de mois. Donc, il n’y a pas d’excuse de corruption. Quant au recrutement, on ne prend trop souvent en compte que le certificat. Cela aurait été mieux si on recrutait quelqu’un avec un certificat de Form IV qui a grandi sur la côte pour être garde-côte car il connaît et aime la mer. Je ne trouve pas normal que des policiers soient obligés d’avoir un HSC ou un degré pour au final aller surveiller la porte des VIP. Ce que je veux dire, c’est que le recrutement doit être juste, équitable et proactif.
Est-ce que le politicien Satish Boolell serait d’accord avec nous que la classe politique est le premier à blâmer car la discipline n’est pas sa priorité ?
Je suis totalement d’accord. Les politiciens appartiennent à une race qui a des tendances psychopathiques. Ils ont le sourire charmant et les relations superficielles pour convaincre les électeurs. Ils ont peu de sincérité. Je n’ai pas ce profil. C’est pourquoi je n’ai pas été élu.
À tel point que le thème discipline est inexistant dans leur Manifeste électoral et dans le Programme gouvernemental des partis au pouvoir. Est-ce normal ?
Ce n’est pas la priorité des partis politiques. Cependant et quand ils sont au pouvoir, ils souhaitent avoir cette discipline pour faciliter les choses. Avec la surenchère politique, on promet tout mais il y a un manque de rigueur et de discipline. Après la campagne, cela prend du temps pour corriger cette maladie. Ensuite arrivent les prochaines élections. Au final, c’est un cycle que les politiciens feront mieux d’éviter.
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