La plus grande soirée de l’industrie de la musique internationale s’est tenue le dimanche 12 février dernier. L’Icône britannique s’est vu décerner cinq Grammy Awards à titre posthume pour son album ‘Blackstar’ : meilleure chanson rock, meilleure performance rock, meilleur album de musique alternative, meilleur engineered album – non classical et meilleur recording package. Aucun autre artiste n’a remporté autant de trophées lors de cette soirée. Rencontre avec un Mauricien qui a eu le privilège d'assister à ce concert.
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Pour rappel, en 1983, David Bowie fit un tabac dans le monde entier avec son album ‘Let’s Dance’. Dans la foulée, il entreprit une tournée mondiale. Un Mauricien basé à cette époque en France, notre collègue journaliste Pradeep Kumar Daby qui travaillait à La Bourgogne Républicaine, a eu le privilège d’assister à un concert du chanteur britannique lors de son passage sur le sol français. Il nous raconte l’événement.
Comment tout cela est arrivé, Pradeep Kumar Daby ?
En 1983, j'étais en France. Je voyageais entre Paris, où habitaient mes parents, et Dijon (dans La Bourgogne, l’une des plus vastes régions de France) où je travaillais. Je bossais pour un journal local dirigé par la Société coopérative ouvrière de production (SCOP). J'étais responsable de la rubrique rock, folk, blues et jazz. C’était moi qui allais couvrir, sur invitation tous les groupes, toutes les formations musicales qui passaient par Dijon. J'avais alors entre 20 et 21 ans. J'ai ainsi eu l'occasion d'aller voir sur scène les Dire Straits, Peter Gabriel (l'un des membres fondateurs de Genesis), Police, Mike Oldfield, parmi d'autres. C'étaient des artistes que je connaissais déjà quand j'étais à Maurice. Cela en grande partie grâce à l’émission française culte de Bernard Lenoir diffusée sur la radio locale, « Feedback ». Très jeune, je me suis intéressé à la musique rock, la musique anglo-saxonne, grâce à Voice of America.
C'était un privilège pour un jeune Mauricien de travailler au sein d’un journal français...
Oui. Cependant, je dois préciser que Dijon, c'est dans la province. Les habitants n'étaient pas aussi ouverts à la musique anglo-saxonne. Par contre, moi, j'étais familier à ce genre de musique. J'avais déjà une culture musicale qui correspondait à la période.
Lisiez-vous des magazines et écoutiez-vous des radios indépendantes pour vous cultiver ?
Il faut savoir que dans la province, les gens écoutaient plus la radio locale, une radio de proximité, que la radio nationale. Et la radio locale accordait une large place aux artistes locaux. Pour me nourrir de la musique anglo-saxonne, j'achetais des cassettes et des disques. Par centaines. Le vinyle existait encore. J'achetais aussi des magazines comme Rock & Folk, Melody Maker ou encore Rolling Stones. Je dois aussi ajouter que La Libération comportait une page culturelle très étoffée. Elle comportait des chroniques, des critiques très enrichissantes. J'y apprenais pas mal de choses. C'était une référence. Donc, j'avais cette culture, cette sensibilité vis-à-vis de la musique anglo-saxonne. C'était naturel qu'elle figurait dans mes attributions.
Le travail vous menait donc vers les lieux de concert...
Oui, notre journal y était invité. On recevait deux billets. L'un était pour que les photographes puissent faire des clichés et les journalistes des interviews avant le concert. L'autre était pour assister au concert afin de faire le compte-rendu.
Racontez-nous le concert de David Bowie…
Eh bien, comme d'habitude, on nous a envoyé deux billets. Mais Bowie n'est pas venu à Dijon. Il s'est produit à Lyon qui était assez loin de Dijon. Lyon est hors de la région de Bourgogne. Il faut dire que je n'ai pas eu besoin de me bagarrer avec la rédaction pour aller couvrir le concert. Ils savaient qui était David Bowie. Qu'il n'était pas n'importe qui. Ils savaient que c'était l'évènement rock de l'année. Un concert qui faisait partie de la Serious Moonlight Tour. Donc, moi et mon ami photographe Alain Gras, qui fut à un moment donné le photographe de Johnny Halliday, nous sommes partis en car pour Lyon. Quand nous sommes arrivés sur place, j'ai vu une foule énorme à l'intérieur du lieu du concert. Une véritable kermesse ! David Bowie en tournée en France, c'était un événement, pas de doute à ce sujet. Le concert lui-même fut extraordinaire, sublime. Sur scène, je vis le David Bowie que j'attendais.
Laissez-moi préciser que je n'étais pas un super fan de Bowie. Mais j'avais compris que cela allait être un évènement historique, que je n'avais pas le droit de le rater. Cela aurait été la même chose si Bob Dylan ou les Rolling Stones étaient passés par là. Et j'étais plus fan de Dylan, des Stones ou encore de Santana que de Bowie. Bowie, c'était plus de glam-rock et moi, je n'étais pas trop pour cette tendance. J'aimais plus le rock progressiste quoi que ma base musicale reste le blues. Mais quand j'ai entendu Bowie interpréter « Heroes » ou « Ashes To Ashes », je me suis rendu compte qu'il était un showman extraordinaire. Et qui savait s'entourer de grands musiciens, de grands guitaristes. Il était un perfectionniste. Lui, il était très différent d'un groupe rock typique, d'un groupe rock très bruyant sur scène. Je me souviens qu'il portait ce jour-là un costume croisé. Ce qui le différenciait encore, c'est qu'il était très charismatique sur scène. On avait les yeux braqués que sur lui. Tous les autres étaient relégués à l'ombre. Il n'y avait que lui sur la scène, les autres n'existaient pas. Il était la star absolue.
Que diriez-vous d'autres de lui ?
Bowie n'était pas seulement un grand chanteur, mais aussi un grand parolier. Il avait le sens de l'innovation. Quand vous écoutez « Ashes To Ashes », qui n'est pas un morceau rock, vous vous rendez compte qu'il prend complètement à rebours tous les codes établis avec sa manière de chanter. Je n'avais jamais entendu quiconque chanter comme ça auparavant. Cependant le moment héroïque reste pour moi quand il a interprété « Heroes ». C'était le grand frisson.
Évidemment, c'est avec le recul que je me suis rendu compte à quel extraordinaire concert j'avais assisté ! Il était impensable que Bowie vienne à Maurice et pourtant, moi, le petit Mauricien, j'avais eu l'immense privilège d'assister à un de ses concerts ! Certainement un grand moment qu''il n'est pas possible de recréer maintenant. Autant d'adhésion entre le musicien et les spectateurs n'existe plus de nos jours. Parce qu'à cette époque, les musiciens étaient authentiques. Ils avaient été formés depuis l'âge de 14-15 ans. Ce n'était pas une musique préfabriquée, préenregistrée, avec parfois des artistes mimant sur scène. C'étaient des musiciens qui se produisaient sur scène en chair et en os, qui transpiraient, qui suaient. Ils étaient en osmose totale avec leur public.
Comment décrire la musique de Bowie ?
C'était une musique d'une autre dimension. Une musique propre à lui, créée par lui. Il a créé sa galaxie, son univers. La manière dont il a exploré tous les genres musicaux pour en faire sa musique propre à lui reflète tout son génie. Il était un musicien à part, venant d'une autre planète ! (Ndlr : Bowie était aussi acteur et un des films qu'il a tournés s'intitule « The Man Who Fell To Earth » (1976). Titre français : « L'homme qui venait d'ailleurs »).
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