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Compensation salariale : pas sans la productivité...

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Ramesh Basant Roi, Gouverneur de la Banque de Maurice, soutient que la compensation salariale imposée doit prendre en considération la productivité en sus de l’inflation. Les chiffres révèlent que depuis 2008, c’est surtout le rapport entre la valeur ajoutée et le capital fixe productif en volume qui fait défaut, plutôt que la corrélation entre la valeur ajoutée et le nombre d’heures effectuées.

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Productivité. C’est encore une fois le terme qui est au cœur des débats en pleine négociation pour le paiement de la compensation salariale. Ramesh Basant Roi, Gouverneur de la Banque de Maurice (BoM),  a relancé les discussions lors du dîner annuel avec les acteurs économiques, le vendredi 25 novembre dernier (voir l’extrait en encadré). L’argument : on ne peut accorder des augmentations automatiques sans une productivité accrue au risque de faire du mal à la compétitivité du pays. Surtout quand l’inflation est relativement basse. Les opinions divisent sur la meilleure méthode à utiliser, des spécialistes mettant en garde contre toute interprétation précipitée.

Il faut donc revoir la formule, selon Ramesh Basant Roi. Mais les avis sur la question sont partagés, parfois parmi les experts qui travaillent pour la BoM. Quant aux chiffres, ils indiquent que c’est la productivité du capital (machines et  équipements), surtout qui pose un problème, plutôt que la productivité du travail (les employés).

Baisse au fil des ans

La croissance de la productivité multifactorielle (Voir infographie), amalgame de la productivité du capital et de la productivité du travail, a effectivement connu une baisse au fil des ans. Les chiffres de Statistics Mauritius montrent que d’un taux tournant autour de 2 et 3 % de 1995 à 2001, avec un pic exceptionnel de 7,5 % en 2000, on est passé depuis les années 2000 systématiquement sous les 2 %. Le taux de croissance flirte désormais plutôt avec 1 %, avec une croissance négative en 2009 (-0,3 %) et 2013 (-0,1 %).

Toutefois, si la croissance de la productivité de travail a considérablement baissé depuis la crise de 2008, elle demeure positive. Pour la productivité du capital, on a par contre eu droit à une croissance négative à trois reprises pendant cette période. Depuis 1995, c’est arrivé à 11 reprises. Une situation que la Banque mondiale relève dans son rapport Systematic Country Diagnostic publié le 25 juin 2015.

Rs 500

C’est le montant que les fédérations syndicales réclament comme compensation salariale. De son côté, en sus de ces Rs 500, la General Workers Federation réclame un rattrapage de Rs 200 pour les familles au plus bas de l’échelle sociale

“Capital productivity declined between 2002 and 2012 by 7 percent leading to the reduction of private investment as share of GDP from 27.3 percent of GDP in 2008 to 23.2 percent in 2013.”

Le rapport mentionne aussi la productivité et ses liens avec le mécanisme de compensation annuelle. « [...] in a context of declining productivity gains, the current growth model will be difficult to sustain. This is already evidenced by a wage setting mechanism that has increasingly put pressure to raise salaries above productivity gains, affecting the competitiveness of certain sectors and lowering private investment and employment creation », peut-on notamment y lire. Ou encore : « As a result, unit labor costs in certain sectors grow too quickly, undermining competitiveness and employment creation. »

Un spécialiste de la BoM, qui a souhaité garder l’anonymat, explique notamment que la distinction entre productivité du capital et productivité du travail est importante avant de tirer des conclusions hâtives. « L’analyse de la productivité n’est pas aussi simple qu’on pourrait le croire. D’autres facteurs peuvent affecter la productivité. Dans l’exportation, par exemple, le taux de change peut avoir un impact », soutient notre source.

Des fluctuations dans le taux de change peuvent affecter les revenus pour les secteurs qui exportent, avec impact automatiquement sur leur productivité. L’impact de la productivité du capital ne doit pas non plus être négligé, selon le spécialiste de la BoM. « Avec la productivité du capital, il faut notamment se demander si la technologie utilisée n’est pas dépassée. Ou peut-être que l’entreprise a injecté trop d’argent dans quelque chose qui n’a pas rapporté. »

Disparition des tripartites

Pradeep Dursun, Chief Operating Officer (COO) de Business Mauritius, rejoint les propos du Gouverneur de la BoM. « Si vous imposez une compensation de Rs 100 unilatéralement pour tout le monde, l’entreprise qui a les moyens absorbera cette hausse. L’autre qui ne peut pas verra ses coûts de production augmenter. Il faut prendre en considération tout le payroll cost. Le troisième, la contribution au National Pension Fund (NPF), etc. En retour, il n’obtient rien. »

Pour le représentant du patronat, il est impératif de prendre en considération la capacité de paiement et la compétitivité avant d’imposer une quelconque compensation. Qu’en est-il des risques que l’entreprise gèle les salaires de ses employés ? « Quand vous travaillez, on vous jauge sur des critères pour vous augmenter. Si vous ne le faites pas, vos meilleurs employés vous quitteront. Les entreprises ont une politique salariale après tout », avance Pradeep Dursun. Le système des tripartites doit disparaître, selon lui, à cause de ses effets néfastes.

Reaz Chuttoo, président de la Confédération des travailleurs du secteur privé (CTSP), est contre l’élimination des tripartites. Mais il en veut surtout à Ramesh Basant Roi pour ce qu’il considère être du double langage. « Je suis étonné que ces propos viennent de lui. Sous l’ancien régime, quand il était au chômage, il a participé à plusieurs forums où il a présenté des opinions bien plus progressistes. » Pour le syndicaliste, celui qui fait du business sans payer de salaire décent abuse du travailleur, l’un des deux éléments, avec le capital, qui est essentiel à toute entreprise. « On voit mal une entreprise abuser de ses actionnaires en prenant leur argent sans payer de dividendes en retour. »

Un salaire de Rs 5 250

La compensation est une question de survie pour ceux qui sont au bas de l’échelle, selon Reaz Chuttoo. « Ceux qui travaillent dans le seafood hub ou le textile, par exemple, touchent un salaire de Rs 5 250. Une fois à la retraite, ces gens vivront dans la pauvreté. Et ils représentent 25 % de la population active. »

D’ailleurs, ajoute Rashid Imrith, pourquoi ne pas appliquer la formule de productivité à tous ? « Je n’ai pas entendu ce raisonnement quand il s’agissait d’augmenter le salaire des ministres et des députés. Leur productivité a-t-elle justifié leur augmentation ? »

Ce qu’a dit Ramesh Basant Roi

“What about the inordinate, unrelated-to-productivity increases in wages and salaries at regular intervals that also undermine competitiveness of the economy? Don’t they impact on the exchange rate of the rupee? Yes, they do. We have a system of review of wages and salaries that needs to be scrapped, a system that worked as long as the exchange rate of the rupee was administratively determined by the Bank on a daily basis in the days of exchange control [...] What is needed is a new non-distortionary formula — a formula that respects prevailing economic conditions.”

Compensation

Les défenseurs

Atma Shanto, président de la Fédération des travailleurs unis (FTU), est catégorique sur la question. « Le taux d’inflation de 1,2 % ne reflète pas la réalité. Les travailleurs ont été frappés par une série d’augmentations des prix dans le commerce. Ainsi faut-il rétablir leur pouvoir d’achat. » Pour lui, le fait que l’inflation est sous la barre des 5 % n’est pas un argument car le pays connaîtrait un gel des salaires pendant des années.

L’économiste Vishal Rughoobur abonde dans le même sens. « Certes, le taux de l’inflation est très bas, mais l’année dernière, on a accordé une compensation salariale. Si une frange de la population peut se passer de  cette compensation, tel n’est pas le cas pour ceux au bas de l’échelle. »

Un point de vue que partage Jayen Chellum, secrétaire général de l’Association des consommateurs de l’île Maurice (Acim). « Avec les différentes hausses des prix, l’alimentation représente 47 % du budget des plus démunis de la société. »

Les critiques

Pour l’économiste Pierre Dinan, il faut respecter les règles en vigueur. « Avec un faible taux d’inflation, il n’y a pas lieu d’accorder une compensation salariale. Il y a quelques années, on avait décidé qu’il n’y aurait pas de paiement de la compensation salariale, si l’inflation est inférieure à 5 %. On a oublié tout cela. »

Pierre Dinan explique que chaque hausse salariale ajoute un coût sur la production et notre compétitivité sur le marché international est affectée. « Notre production devient de plus en plus chère. » Face à la compétition de l’Inde ou du Bangladesh, difficile de rivaliser dans ces conditions.

Un avis que partage Amar Deerpalsing, président de la Fédération des petites et moyennes entreprises (FPME). Il estime qu’avec les incertitudes au niveau des commandes et la compétition féroce à l’échelle internationale, le paiement d’une compensation salariale aggravera une situation déjà précaire. L’entrepreneur est en faveur d’un changement. « Pourquoi ne pas l’appliquer sur une base sectorielle et dépendant de la capacité de paiement des entreprises ? »

 

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