C’est un véritable phénomène : aujourd’hui, certains couples séparés continuent à habiter sous le même toit. Certains n’ont pas le choix, réalités économiques oblige. D’autres le font volontairement. Constat.
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Christine est séparée de son époux depuis trois ans. Au début, ils sont restés dans leur maison pendant plus de huit mois. « Entre le moment où l’on décide de rompre et celui du déménagement, il faut parfois beaucoup de temps pour tout régler avant de partir », explique Christine. La difficulté financière du couple, quelque temps avant la séparation, les a contraints à vivre ensemble même après la rupture. « Il venait de perdre son emploi et je ne gagnais pas assez pour assurer toutes les dépenses du ménage. Ni lui, ni moi ne pouvions nous permettre de louer une autre maison. C’était hors de question pour moi d’aller vivre chez mes parents et lui n’avait qu’un frère qui ne pouvait l’accueillir… » Dur, dur !
Aussi étonnant soit-il, des couples séparés optent pour ce nouveau mode de vie afin de trouver une solution aux problèmes post-séparation. Notamment la garde des enfants, trouver une autre maison, procédures de divorce, etc. Il est difficile toutefois de quantifier le nombre de couples reconvertis en colocataires car cette situation conjugale particulière ne se crie pas sur tous les... toits.
‘Empty shells marriages’
Poursuivre la vie commune quand le cœur n’y est plus, n’est pas chose facile. Selon le sociologue Om Nath Varma, ces relations sont connues comme des « empty shells marriages ». Il explique : « C’est comme une coquille vide. On voit quelque chose à l’extérieur mais à l’intérieur il n’y a rien. Ces couples font semblant de bien s’entendre devant les autres, mais une fois seuls, chacun est de son côté. » Plusieurs motifs justifient cette cohabitation, pour la plupart des interlocuteurs rencontrés. Les enfants et les contraintes budgétaires arrivent en tête de liste. Le sociologue ajoute : « La situation d’un des partenaires pèse aussi dans la balance. Par exemple, si la femme ne travaille pas, elle ne désire pas devenir un fardeau pour ses parents et préfère rester et subir. Pour les familles, surtout les moins aisées, il faut comprendre que ce n’est pas toujours possible de faire de la place pour une maman et ses enfants. »
Faculté d’adaptation
Nulle part où aller… C’est le dilemme de Rodney après sa séparation de sa concubine. Ils avaient vécu 17 ans ensemble et ils ont deux enfants. « Où aller après tout ce temps », se demande-t-il. Sa femme n’acceptait plus de lui pardonner. « Je la comprenais, j’avais fait trop d’erreurs et je l’ai beaucoup trop blessée », avoue Rodney. Il a honte de partir et il ne veut surtout pas se séparer de ses enfants. « Cela me brisait le cœur d’autant que mon fils, âgé de deux ans, était très attaché à moi », confie-t-il tristement. Il s’évertue à trouver un compromis. « Au début, c’était difficile de lui faire accepter cette situation. Elle trouvait cela indécent que je veuille rester. Je ne pouvais pas lui demander de partir. C’était moi qui avait fauté et où irait-elle avec les enfants ? »
Comme le conseille la psychologue Karuna Rajiah, c’est une situation qui requiert beaucoup d’efforts de la part des deux personnes. Christine en témoigne avec une simplicité déconcertante : « Je partageais quasiment tout avec lui, sauf mon lit et mes sentiments. » À l’époque, ce n’était pas le cas. Elle vivait mal cette cohabitation. « C’était difficile de devoir réaménager les trois pièces qu’on partageait quand on était ensemble. Le salon était devenu une deuxième chambre, on devait chacun se réapproprier son espace et j’ai dû apprendre à me débrouiller », se souvient-elle. Mais ce n’était pas le plus inconfortable. « Le plus dur, c’est de devoir changer ses habitudes face à l’autre. On peut s’épargner un loyer mais on a du mal à supporter que l’autre soit heureux et fasse ce que bon lui semble… Mon ex pouvait rentrer à deux heures du matin ou ne pas rentrer du tout. Je ne pouvais poser des questions, ni faire des commentaires. Le hic, c’est que moi je ne pouvais pas faire comme lui. Je me comportais toujours de façon à ne pas le blesser », raconte Christine. Dès qu’elle a réussi à se stabiliser financièrement, elle est partie vivre dans un studio avant de refaire sa vie un peu plus tard.
« On ne divorce pas de ses enfants ! » C’est ainsi que Rodney définit la cause de sa cohabitation avec son ex. « Elle a été assez mature pour accepter cette situation même si ce n’était pas évident. On était tous deux des enfants de parents divorcés, on en avait beaucoup souffert et on ne voulait pas faire la même chose à nos enfants. » Mais si leur décision était la plus raisonnable pour rester cohérents vis-à-vis de leurs enfants, ils étaient malheureux. « Ce n’était pas difficile d’agir en parents mais de le faire ensemble sans se heurter. Moi, j’avais beaucoup de compassion pour elle et du respect malgré tout. Certes, c’est plus facile pour celui ou celle qui quitte que pour celui ou celle qu’on quitte… »
‘Living together apart’
Cette tendance est d’abord apparue aux États-Unis. Là-bas, ce nouveau mode de vie porte même un nom, le « living together apart » et a un terreau, la pauvreté. « Dans les quartiers pauvres, plusieurs travaux universitaires ont révélé que le manque de ressources était l’une des raisons de ces arrangements », explique le sociologue Claude Martin, directeur de recherche au CNRS, en France, qui a travaillé sur le sujet.
« Aux États-Unis, la cohabitation forcée apparaît comme une nécessité pour éviter le pire, notamment la rue, pour faire des économies d’échelle tout en permettant de maintenir le lien parent-enfant », poursuit-il. 10 % des familles pauvres seraient concernées.
S’appuyant sur les travaux de ses collègues américains, Claude Martin a essayé de comprendre si les mêmes arguments étaient valables en France. Malgré un panel très différent – le chercheur a interrogé des personnes appartenant plutôt aux classes moyennes –, la crainte des conséquences économiques du divorce ou de la séparation et de la précarité amène au même arrangement. « Le prix à payer pour la rupture est trop élevé pour un certain nombre de couples français qui restent ensemble soit parce qu’ils ne peuvent pas se reloger facilement, soit parce qu’ils ne veulent pas partager le patrimoine acquis », analyse Claude Martin.
Source : www.lemonde.fr
Karuna Rajiah, psychologue : «Le respect de l’autre doit primer»
Quelles sont les raisons qui poussent un couple à continuer à vivre sous le même toit après la rupture ?
En premier lieu, ce sont les enfants. Si un ex-couple en a, il va accepter cet arrangement afin de continuer à maintenir les liens parentaux. Dans certains cas, les partenaires choisissent de continuer à cohabiter pour ne pas faire du chagrin à leurs parents ou les inquiéter voire les angoisser. Parfois, le fait d’avoir investi tout les deux dans la construction de la maison, pousse à cette cohabitation forcée. L’ancien couple préfère partager le même toit, malgré ses différends, plutôt que de devoir tout couper en deux. Ils veulent jouir de leur investissement au lieu de vendre leurs biens et c’est leur droit.
Psychologiquement, est-ce une situation tenable ?
Cette situation est tenable seulement si les deux partenaires sont vraiment forts psychologiquement. Ils feront face à plusieurs situations où il sera difficile pour eux de savoir quelles réactions avoir ou quels comportements adopter. Par exemple, si l’un décide de refaire sa vie, le fait de vivre sous le même toit peut causer des désaccords.
Dans quels cas cette cohabitation peut marcher ?
Les tensions entre les deux personnes séparées, les reproches, l’expression des frustrations sont des éléments qui peuvent nuire à un tel foyer. Si les enfants y sont mêlés, ce sera difficile pour eux de comprendre ce qui se passe dans la tête de leurs parents. Il se peut qu’ils apprennent à les manipuler à leur guise pour profiter de la situation.
Ce genre de foyer peut marcher dans des cas où il n’y a pas d’enfants ou quand les enfants ont déjà quitté le toit familial. Cela marche aussi quand les partenaires décident de respecter le choix de l’autre.
Témoignage
Ridima, 17 ans, enfant d’un couple séparé : «Une atmosphère insupportable»
Alors que les adultes arrivent parfois à trouver un terrain d’entente, ce n’est pas si facile pour les enfants. Comme en témoigne Ridima qui vit avec des parents séparés : « Je ne supporte pas cette atmosphère. Ils disent ne plus être ensemble et pourtant ils ne cessent de critiquer ce que l’autre fait. De plus, ils cherchent à tout savoir de l’autre et ils se chamaillent. Je suis perdue. Je n’ai pas envie que mes parents se séparent mais en même temps, je me dis que ce serait peut-être mieux. »
Sunil et Mary : «Nous sommes retombés amoureux…»
Une situation peu commune pour ces deux tourtereaux. C’est d’un air amusé qu’ils nous racontent leur histoire. « Après cinq ans de vie commune, on a décidé de se séparer. Sauf que nous payions tous les deux la maison et nous ne pouvions pas accepter de tout laisser à l’autre. Pendant un an, nous avions vécu en cohabitation et nous en étions tristes. Au fil du temps, on a recommencé à sortir, à se parler et s’écouter. Nous sommes finalement retombés amoureux. C’est quelque chose que je ne peux pas expliquer ! »
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