Le président de la General Workers Federation, Clency Bibi, considère que la hausse du salaire minimum à Rs 15 000 et l’octroi d’une compensation salariale de Rs 1 500 à Rs 2 000 sont des étapes menant vers un salaire décent.
Quelle est votre lecture de la situation industrielle en 2023 ?
Comme les années précédentes, il y a eu des hauts et des bas et cette année, ce qui m’a le plus marqué, ce sont les attaques contre des dirigeants, surtout dans des corps para-étatiques. Ce qui s’est traduit par des suspensions et des licenciements de dirigeants syndicaux, malgré que les législations du travail accordent une protection aux syndicats. Je souhaite vraiment que le gouvernement prenne des mesures pour mettre fin à cette pratique qui nuit à la réputation du pays.
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Heureusement que tout n’est pas noir, car 2023 entrera aussi dans l’histoire comme l’année où le salaire minimum a été porté à Rs 15 000. C’est l’aboutissement d’un long combat mené par la General Workers Federation. Certes, on est encore loin d’un salaire décent, mais toujours est-il que c’est déjà un pas dans cette direction.
À combien évaluez-vous un salaire décent ?
Au niveau de la GWF, on estime qu’un salaire décent doit tourner autour de Rs 35 000 par mois. Mais, bien sûr, il y a beaucoup de travail à faire avant d’atteindre cet objectif. S’agissant du minimum vital garanti de Rs 17 000 qui entrera en vigueur à partir de janvier 2024, il faut bien faire ressortir que l’on atteint ce montant que lorsqu’on ajoute l’allocation de Rs 2 000 de la MRA. Ce qui explique que ce sont toujours les contribuables qui financent en partie le revenu mensuel garanti. Je pense que tôt ou tard, le gouvernement doit contraindre les employeurs à assumer leurs responsabilités en payant intégralement le salaire minimum.
Certes, les travailleurs vont bénéficier d’une hausse du salaire minimum et d’une compensation salariale de Rs 1 500 à Rs 2 000, mais déjà, au niveau des entreprises, on évoque le spectre de licenciements et de fermetures. Qu’en pensez-vous ?
Personnellement, je ne crois pas dans ces affirmations, car le patronat nous remplit les oreilles, chaque année, avec la même chanson. À ma connaissance, il n’y a jamais eu de pertes massives d’emplois après une augmentation salariale. Cela dit, je pense que les entreprises ont suffisamment de réserves pour faire face à ces hausses salariales. Le gouvernement ne doit pas se laisser influencer par les arguments avancés par les employeurs, dont le seul but est de bénéficier d’un soutien financier. Ne bénéficient-ils pas de plusieurs avantages fiscaux de la part de l’État, dont des réductions dans leurs fiches d’impôt sur les revenus pour la dévaluation sur leurs équipements ? Alors, pourquoi ne font-ils pas, à leur tour, une provision dans leur budget pour revaloriser leurs employés ? Toutefois, je reconnais que le gouvernement doit venir en aide aux entreprises qui n’ont pas la capacité de payer, mais cela doit se faire au terme d’une enquête approfondie sur leur état financier.
Toujours est-il que le FMI a prévu un ralentissement de 2,3 % de la croissance au niveau mondial en 2024. Ce qui pourrait affecter l’économie mauricienne et de surcroît, les entreprises…
C’est ce qui explique que la GWF a toujours prôné une refonte de notre système économique, car logiquement, on ne peut rester dans la même logique que dans les années 60. Il faut lancer de nouveaux créneaux qui augmentent la croissance économique.
Quels sont ces créneaux ?
D’abord, il y a l’économie bleue qui a un gros potentiel de croissance et qu’on n’a toujours pas exploitée. Et la grande ironie veut que nous importions du poisson et autres fruits de mer alors que nous disposons d’un vaste territoire marin. Outre la pêche, on peut aussi utiliser l’eau de mer se trouvant dans les profondeurs de l’océan pour des applications industrielles haut de gamme, notamment la climatisation à l’eau de mer, les centres de données verts, l’aquaculture haut de gamme, les produits pharmaceutiques et la thalassothérapie, entre autres.
Il y a aussi le secteur agricole qu’on peut exploiter davantage pour atteindre à terme l’autosuffisance alimentaire. Ce qui va nous permettre de réduire le volume de nos importations alimentaires tout en économisant des devises.
Cela dit, Maurice dispose de plusieurs atouts comme le soleil, la mer, la terre pour diversifier ses secteurs d’activité en vue d’une meilleure croissance économique.
Quelles sont les grandes priorités de la GWF en 2024 sur le plan des relations industrielles ?
Au niveau de la GWF, l’une de nos grandes priorités reste la lutte pour la mise sur pied d’une institution indépendante pour traiter en toute justice les comités disciplinaires et où les employeurs et les employés seront sur un même pied d’égalité.
L’un des grands défis de 2024 est aussi les ajustements salariaux suivant la hausse du salaire minimum. Nous veillerons aussi à ce que les droits syndicaux soient respectés pour la bonne marche des relations industrielles.
Sur le plan économique, je pense que l’une des priorités du gouvernement devra être la formation technique, en particulier pour les jeunes qui n’ont pas réussi dans la filière académique. Il faut leur offrir un créneau qui va leur permettre de gagner leur vie honnêtement à l’âge adulte tout en contribuant efficacement au progrès économique du pays.
Parallèlement, il faut qu’il y ait une revalorisation des salaires et une restructuration du système salarial pour prévenir l’exode de jeunes talents vers d’autres cieux.
2024 est aussi la dernière année du mandat de l’actuel gouvernement et des observateurs économiques craignent qu’il fasse des largesses pour gagner des votes et qui pourraient finalement mettre en péril l’avenir économique du pays. Qu’en pensez-vous ?
Sincèrement, tout gouvernement responsable ne peut prendre des décisions irréfléchies qui peuvent mettre l’économie en péril pour se maintenir au pouvoir.
Certains estiment que la hausse du salaire minimum à Rs 15 000 et l’octroi d’une compensation salariale de Rs 1 500 à Rs 2 000 constituent un appât électoral…
Oui et non. Toutefois, je vais me concentrer sur le côté syndical. Il n’est un secret pour personne que depuis des années, les syndicats se battent en faveur d’un salaire décent et comme je l’ai dit, la récente hausse du salaire minimum n’est qu’une première étape pour atteindre cet objectif. Aussi, les dirigeants syndicaux ont toujours plaidé pour que les salariés aient un rattrapage sur la perte de leur pouvoir d’achat. Ce qui a été fait cette année. Donc, loin de moi l’idée de parler d’appât électoral quand nous récoltons les fruits d’un long combat. Je profite aussi de l’occasion pour exprimer ma grande satisfaction qu’un accord salarial ait été conclu au CEB en 2023. Je suis d’autant plus satisfait que les retraités de cet organisme ont aussi bénéficié d’un ajustement de leurs pensions qui est l’aboutissement d’un combat mené depuis 2008.
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