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Chômage des diplômés : quand le savoir et la connaissance ne suffisent plus

On assiste à Maurice à un phénomène où les jeunes bardés de diplôme n’arrivent pas à trouver un emploi. Des opérateurs dans le secteur ont entendu leurs cris de détresse et expliquent la raison d’une telle situation. Des solutions sont proposées.

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«Le gouvernement nous rabat les oreilles avec l’importance de l’éducation. L’école, le collège, l’université et puis après ? Rien n’est fait pour nous procurer un emploi. »  Ce genre de commentaires, on l’entend toujours. Prashaad, 21 ans, est titulaire d’une licence en anglais. Il fait partie de cette génération de diplômés qui peine à trouver du travail dans son secteur.

« Mon choix de filière a été guidé par mon rêve d’être professeur d’anglais, de journaliste ou de traducteur. Mais quand je pense que chaque année, il y a une soixantaine de jeunes qui quittent la même faculté avec les mêmes ambitions et choix de carrière, je suis stressé. Je me demande ‘kot pou mett nou’ ? »

Comme Prashaad,  ils sont des milliers à se faire un sang d’encre quant à leur avenir professionnel. Les derniers chiffres du bureau central des statistiques fait en effet état de plus de 9 000 diplômés parmi les 15 000 demandeurs d’un premier emploi. 

À 25 ans, Diksha est détentrice d’un master en Management. Il lui est de plus en plus difficile d’accepter sa situation. Au manque d’argent, se mêle la honte. « Franchement cela devient insupportable. Je cherche, je fais tout ce qui est en mon pouvoir pour trouver un emploi, en vain. Mes parents ont investi près d’un million de roupies dans mes études.  Ce n’est pas pour me voir errer dans la rue. J’ai honte.  Cela me fait de la peine pour eux ».

Idem pour Jason, jeune diplômé au chômage depuis près d’un an. Et, contrairement aux supputations de certains, le jeune homme ne passe pas son temps à se prélasser dans son lit en attendant qu’un employeur vienne frapper à sa porte. « Cela fait six mois que je cherche. Dès que je me lève je vais sur les sites d’offres d’emploi :  MyJob, Adecco, HelloJob. Il  y en a une dizaine. Je fais le tour de ce qu’ils proposent. J’ai aussi recours aux candidatures spontanées. Ensuite, je relance les recruteurs de la semaine précédente… » Des efforts inlassables qui restent sans effet. Le moral est au plus bas.

Les candidats également responsables

Du côté des recruteurs et autres observateurs, on impute aux jeunes une grosse part de responsabilités dans cette situation qui va empirant d’année en année. Et pour cause : le mauvais choix de filières ne répondant pas à la demande du marché de l’emploi, l’absence de compétences autres que les qualifications académiques pour intégrer plus efficacement le monde du travail,  le manque d’engagement, de sérieux et d’initiative de la part de certains et des ambitions et des attentes surdimensionnées chez les autres.

Anuja Nababsing, responsable des Ressources humaines chez BDO Solutions, note un manque d’intérêt chez les jeunes candidats. « Ils sont nombreux à se présenter à l’entretien d’embauche sans s’être au préalable renseignés sur le poste convoité ou sur l’entreprise. Ils ne connaissent même pas la nature du travail qu’ils seraient appelés à faire. Il ne s’agit pas de trouver un poste à tout prix. Faut-il encore que l’activité professionnelle est compatible avec sa personnalité, à ses aspirations et à ses qualifications. Fort heureusement, ces manquements ne sont pas une généralité ».

Mais les jeunes diplômés gagneront à avoir plus de self drive, souligne pour sa part, Adhiraj Daby d’Aspen. Cette entreprise pharmaceutique globale a un potentiel de recrutements annuels de 50 à 70 personnes. « Il y a des jeunes qui savent exactement ce qu’ils veulent et d’autres, malheureusement, pas. L’employeur ne le fera pas à leur place »,  dit-il.

Armoogum Parsuramen : « Le jeune est le seul maître de son destin »

Le chômage des jeunes, diplômés ou pas, est un problème mondial. À Maurice, ils sont plus de 22 000 chômeurs âgés entre 16 et 24 ans, soit plus de la moitié de la population générale des sans-emplois. 

Le problème de la grande majorité des jeunes diplômés, selon Armoogum Parsuramen, ancien ministre de l’Éducation, c’est qu’ils s’attendent à ce que leur diplôme leur ouvre toutes les portes. « Ils veulent tout, tout de suite.  Mais le jeune doit être conscient qu’il est le seul maître de son destin. C’est à lui de faire les démarches pour trouver un emploi. » S’agissant de la compétition féroce et la situation économique peu favorable en-dessous de 4 %, il se dit inquiet pour l’avenir de ces milliers de chômeurs. « Le problème ne sera certes pas éliminé dans tous les cas, mais les jeunes devront être réalistes. Ils doivent comprendre qu’aujourd’hui, il ne suffit pas d’un diplôme pour décrocher un travail. Il faut savoir faire la différence. »

Armoogum Parsuramen conseille ainsi aux jeunes de prendre un premier emploi, quel qu’il soit, pour au moins commencer quelque part. « Ils doivent pouvoir mettre leur égo de côté et commencer au bas de l’échelle tout en gardant en tête leur objectif final », dit-il. 

Autre aspect qui joue contre l’employabilité de la jeunesse serait le manque de préparation à intégrer le monde professionnel. « Un jeune diplômé qui n’a pas eu la chance d’avoir des stages ou un placement en entreprise, s’attend à ce que son employeur le prend par la main pour le former. Mais la réalité est toute autre. L’employeur vous paye pour un travail et à la fin de la journée, il s’attend à ce que vous avez assuré. Il estime, à raison, que c’est vous l’expert et que ce n’est pas à lui de vous montrer votre travail.  D’où l’importance d’un programme de placement et de stage en entreprise bien structuré dès la première année d’études dans toutes les institutions tertiaires », conclut l’ancien ministre de l’Éducation.

Dhanjay Jhurry : « Le monde de l’emploi a évolué de connaissances à compétences »

Dhanjay Jhurry Vice-Chancelier de l’UoM.

L’inadéquation études-emploi. C’est une des principales causes du taux de chômage élevé chez les jeunes diplômés. Cette situation ne date pas d’hier. D’où l’initiative conjointe de l’Université de Maurice (UoM) et de l’Union des étudiants pour un forum annuel Emploi et Carrière destiné aussi bien aux diplômés qu’aux étudiants.

La 4e édition s’est tenue du 5 au 7 juillet sur le campus de Réduit sous le thème Perspectives d’emploi dans une Knowledge-based Economy. Au programme : une quinzaine de conférences et débats menés par des experts des secteurs public et privé ainsi que par des ONG. Les participants ont aussi pu visiter la vingtaine de stands d’employeurs potentiels et d’agences de recrutement. Il s’agissait pour les organisateurs  de faciliter l’intégration des jeunes dans le monde du travail.

« Nous avons voulu réunir sur une seule plateforme tous les partenaires de la formation et de l’employabilité des jeunes diplômés. C’est une interaction nécessaire si on veut vaincre le problème de décalage entre l’offre et la demande d’emploi »,  explique le Vice-chancelier de l’UoM. Le Prof. Dhanjay Jhurry annonce également une mise à jour des programmes d’études de l’UoM avec davantage de stages en entreprise offerts aux étudiants. «  Le monde de l’emploi a évolué, de connaissances aux compétences. Nous comptons ainsi inviter des professionnels à venir former et informer nosétudiants sur les attentes des employeurs se situant au-delà des qualifications académiques d’un candidat. »

Le programme de 2018-2019 est aussi en phase de révision de manière à mieux répondre au marché de l’emploi.

« Il s’agit d’accompagner nos étudiants au-delà de la formation académique. Si, auparavant, notre responsabilité s’arrêtait à la remise de diplômes, le rôle de l’université a énormément évolué. Ainsi nous avons le devoir d’accompagner nos étudiants dans leur choix de carrière et de leur intégration professionnelle. »

Aurélie Marie : « Ils n’ont ni la bonne attitude ni les compétences voulues »

Taux d’activité faible, sur-chômage persistant, l’insertion professionnelle des jeunes est problématique. Un chômage qui s’explique par le manque de compétences des jeunes demandeurs, selon Aurélie Marie, Communication and Recruitment Specialist chez MyJob.mu. « C’est très compliqué aujourd’hui pour les jeunes, parce qu’ils sortent diplômés voir surdiplômés sans pour autant répondre aux exigences des employeurs »,

dit-elle. Certes le problème se situe à plusieurs niveaux : inadéquation étude/emploi, faible progression économique, des demandes qui dépassent excessivement les offres d’emploi (1 000 postes sur MyJob pour plus de 50 000 candidats). « Mais, même si les postes étaient disponibles, il y a bon nombre de jeunes diplômés qui n’auraient pas été recrutés », affirme Aurèlie Marie. « Pour cause, » explique-t-elle, « ils n’ont pas la bonne attitude ni les compétences nécessaires.

On ne parle pas ici des qualifications académiques mais de soft skills : écrire son CV, expliquer sa motivation, se préparer à un entretien, la tenue vestimentaire, la poignée de main, le jeu de regard. Mais encore ! Certains arrivent à passer l’exercice de présélection, l’entretien et ils décrochent le job. Mais ils ne sont pas confirmés et sont remerciés au bout de quelques semaines parce qu’ils n’ont pas su s’adapter », révèle l’experte en recrutement. 

Pour répondre à ces lacunes chez les jeunes demandeurs d’emploi, MyJob.mu propose un « Employability Skills Program ».  Ce programme couvre tous les aspects depuis le choix de carrière jusqu’à l’adaptation en passant par la recherche d’un emploi et la préparation d’intégration de l’entreprise. « C’est une session de 16 heures par étudiant durant laquelle ils apprennent les attitudes et les qualités recherchées par les employeurs. On leur donne aussi des conseils pour mettre toutes les chances pour décrocher un emploi de leur côté. »

 

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