Interview

Charles Cartier : «Les jeunes doivent étudier la technologie et l'ingénierie»

Président de l’Outsourcing and Telecommunications Association of Mauritius et membre du National Council de Business Mauritius, Charles Cartier affirme que le secteur des Technologies de l'information et de la communication génère toujours de la croissance, mais le manque de personnes qualifiées pose problème.

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Certains se plaignent d'un ralentissement dans le secteur des Technologies de l'information et de la communication (Tic). Est-ce réellement le cas ?
Cela dépend du point de vue. Est-ce qu’on parle de ralentissement au niveau des recrutements, de la croissance ou de l’investissement ? Si on parle des chiffres, on génère toujours de la croissance. Elle est d'environ 6 %, ce qui est certes moins qu'auparavant, mais toujours beaucoup plus que d’autres secteurs. Les entreprises du secteur des Tic se sont implantées entre 2000 et 2005. Après cette période, il n’y a pas eu d’autre grande entreprise qui a rejoint l’industrie. Les stakeholders ont essayé de faire venir des grands noms mais cela n’a pas vraiment porté ses fruits. Jusqu’à maintenant, le secteur numérique était caractérisé par de gros opérateurs.

Désormais, la croissance sera plutôt portée par les Petites et moyennes entreprises (PME) et les micro-entreprises, et se fera dans le business-to-customer (B2C) plutôt que le business-to-business (B2B). Les activités transactionnelles du Business Process Outsourcing (BPO) auront tendance à disparaître au profit d’activités comme l’analytique et la robotique.

« Les métiers d’hier et d’aujourd’hui ne sont pas les métiers de demain. »

Nous avons actuellement 23 000 emplois directs dans le numérique. Ce chiffre ne prend pas en compte les emplois dans les départements informatiques de tous les autres secteurs. Si on les ajoutait, on obtiendrait le double.

La croissance du secteur numérique est aujourd’hui ralentie puisque les niveaux de salaire à Maurice progressent plus vite que chez nos concurrents (Madagascar, Inde, Philippines). De plus, l’évolution de notre taux de change par rapport aux devises de nos concurrents est défavorable au secteur. L’autre facteur limitatif est le manque de personnel qualifié et la décroissance démographique à Maurice. Par exemple, cette année, 12 000 enfants ont rejoint les bancs de l'école primaire, alors qu'il y en avait 40 000 dans les années 80/90. Le manque de personnel empêche les entreprises de gagner de nouvelles parts de marché.

Comment redynamiser le secteur ?
Le secteur évolue rapidement et il y a nécessité à investir dans la formation. C’est ainsi que les entreprises réussiront à se transformer et à reprendre des parts de marché. Les métiers d’hier et d’aujourd’hui ne sont pas les métiers de demain. Par exemple, les recherches sont en cours pour finaliser des logiciels d’intelligence artificielle qui sont capables d'établir un diagnostic de façon plus précise qu’un médecin. La question se pose de savoir si nous devons diriger nos jeunes vers des études de médecine alors que ces métiers vont être robotisés. Ne vaut-il pas mieux les diriger vers le coding et la programmation ? Les jeunes doivent se diriger vers les filières dites STEM (sciences, technologies, mathématiques et ingénierie). C’est le rôle de l’État de planifier et de diriger les jeunes en priorité vers ces filières. D’ailleurs, c'est ce que préconise l’Outsourcing and Telecommunications Association of Mauritius (Otam).

À quels obstacles se heurtent les opérateurs ?
L’obstacle numéro un, c’est le manque de ressources. Puis, vient la bande passante. Il faut pouvoir rester compétitif.

Faut-il une baisse des prix de la connexion Internet et de la bande passante ?
Il faut revoir les tarifs tous les ans. On ne peut pas se laisser dépasser. D’ailleurs, toute la structure doit être revue pour pouvoir suivre la tendance internationale. Il faut un benchmark qui reflète cela.

Le protectionnisme prôné par Donald Trump pourrait-il nous faire perdre des clients ?
Trump prône plus une politique de développement des entreprises à l’intérieur des États-Unis pour qu’elles n’aillent pas s’implanter à l’étranger. Or, notre industrie est dynamique. Pour l’instant, je ne vois pas comment cela peut avoir un impact sur elle. De plus, des entreprises de la nouvelle économie se sentent et se disent internationales. Le Chief Executive Officer de Facebook, Mark Zuckerberg, et celui de Airbnb, Brian Chesky, ont fait comprendre que l’industrie est tournée vers l’international.

Le secteur a connu cinq ministres différents en deux ans (Pravind Jugnauth, sir Anerood Jugnauth, Roshi Bhadain, Étienne Sinatambou et maintenant Yogida Sawmynaden). Cela a-t-il affecté l'industrie des Tic ?
Tout d’abord, il faut dire que nous avons eu de la chance d’avoir Pravind Jugnauth comme ministre des Tic pendant un court moment. Tous les acteurs du secteur ont apprécié son sens de l’écoute alors qu’il occupait ce ministère. Par exemple, lors de l’assemblée générale de l’Otam en mars 2015, il avait tenu à parler individuellement à chacun des 40 opérateurs du secteur qui étaient présents. Cela a permis de bien positionner l’industrie. Il connaît bien les dossiers. J’espère que cela permettra de faire progresser davantage le secteur. On a certes eu beaucoup de ministres. Cela constitue un challenge de réexpliquer les défis du secteur mais il y a des cadres compétents au ministère qui assurent la continuité.

L’Information and Communication Technologies Authority est en panne depuis début 2015. Quels sont les dossiers urgents ?
Le secteur des Tic/BPO dépend en grande partie des télécoms. L’aspect le plus important pour notre secteur est le câble sous-marin et le backbone. Il y a des investissements à la fois pour les câbles sous-marins et de nouvelles infrastructures au niveau du backbone. Le Central Electricity Board a la possibilité de développer un backbone alternatif à celui de l’opérateur historique. On espère que les erreurs du passé ne seront pas répétées et qu’on ne se retrouvera pas dans une situation de duopole agissant contre l’intérêt national.

Face à une concurrence qui se développe et qui monte, la petite île Maurice a-t-elle encore un avenir dans le secteur du BPO et des centres d'appels ?
Il ne faut pas oublier que nous avons certains atouts que nous devons maintenir et renforcer, notamment la stabilité économique et politique, ainsi que le bilinguisme. Beaucoup de pays aspirent aujourd’hui à se stabiliser et à se développer sur le plan linguistique. Nous devons quant à nous développer d’autres langues latines et orientales, ou encore l’arabe.

Les PME misent beaucoup sur l'informatique et l'innovation. Quelles doivent être leurs priorités ?
Les PME en général doivent s’appuyer sur les nouvelles technologies pour créer les entreprises de demain. Pour que ces entreprises réussissent, il faudra miser sur l’utilisation des réseaux sociaux et sur les modèles collaboratifs. À ce niveau, il y a un effort à faire chez les entrepreneurs et aspirants entrepreneurs pour démocratiser ces concepts. Prenons l’exemple de BlaBlaCar. Pour moi, il s’agit de l’extension des taxis marron. Aujourd’hui, ce sont surtout ces modèles économiques qui ont la cote.

Quelles sont les perspectives pour 2017 ?
Le taux de croissance sera stable, variant entre 5 et 6 %. Quelques grandes entreprises ont signifié leur intention de venir à Maurice. J’espère que cela va se concrétiser. Il faudrait aussi que les augmentations salariales n’affectent pas le taux de croissance et ne poussent pas des acteurs du secteur à s’implanter ailleurs.

 

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