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Chagos, menace et chantage

C’est en qualité de citoyens britanniques que les Chagossiens mènent combat devant la justice à Londres en vue d’un retour sur leurs îles. Détenteurs de passeports britanniques,  beaucoup d’entre eux se sont d’ailleurs installés dans la capitale anglaise et c’est, selon toute évidence, en tant que ses citoyens que le gouvernement de la Grande-Bretagne compte éventuellement les reloger dans l’archipel après un rapport favorable à cet effet préparé par la firme KPMG en 2012, rapport commandité et financé par le gouvernement britannique. Et il va sans dire que le coût de la construction des infrastructures dans le cadre de ce relogement – coût estimé à plusieurs milliards de livres sterling – sera encouru par les Anglais. Et si les Chagossiens étaient subséquemment appelés à choisir entre les citoyennetés britannique et mauricienne – une carte que Londres pourrait bien sortir dans une ultime tentative de justifier sa démarche et l’existence de BIOT –, il n’y a pas lieu de chercher midi à quatorze heures pour déterminer qu’ils nous tourneraient le dos et opteraient pour la première alternative. Dans cet imbroglio politico-diplomatique, qu’en est-il donc de la souveraineté mauricienne ? À maintes reprises et de manière sans équivoque, le Premier ministre a annoncé à l’Assemblée nationale que « la Grande-Bretagne ne démontre aucune volonté de rétrocéder l’archipel à Maurice ». Il soutient même que David Cameron le fuit aux conférences internationales. Et il est évident, comme ce fut le cas dans le passé, que le changement de gouvernement dans quelques mois en Grande-Bretagne comme aux États-Unis, ne changera rien dans la politique de ces deux pays eu égard aux Chagos. Theresa May – donnée favorite pour remplacer David Cameron – est d’ailleurs ministre de l’Intérieur (Home Secretary) dans le gouvernement actuel, tout comme Hillary Clinton a été Secretary of State dans l’équipe de Barack Obama, ce dernier étant d’ailleurs entré de plain pied dans la campagne aux côtés de son ancienne secrétaire d’État. L’ancien président des Seychelles, France Albert Réné, a raison : nos dirigeants n’ont effectivement pas été « forceful » lors des négociations pour l’Indépendance. Pire, ils n’avaient fait qu’accepter, selon certains historiens, l’excision des Chagos en échange de l’Indépendance et une enveloppe de 3 millions de livres sterling. Cela, alors que les Seychellois, eux, ont pu, avec succès, opposer une solide résistance pour sauver l’intégrité de leur archipel. C’est pourquoi, sur les Chagos, sous la primature de SSR, c’était silence radio ; aucune revendication n’avait été formulée. Ce n’est qu’après le changement de régime en 1982 que le dossier fut dépoussiéré  mais, malgré la dimension régionale et internationale qui lui a été donnée à travers l’UA et l’ONU, il est malheureux que nous nous trouvions aujourd’hui toujours à la case départ. Et la teneur de la lettre conjointe américano-britannique indiquant ne pas reconnaître la souveraineté de Maurice sur les îles qui « appartiennent à la Grande-Bretagne depuis 1814 » laisse ostensiblement apercevoir qu’aussi longtemps qu’existera la base militaire, les Américains ne permettront jamais aux Mauriciens de s’installer aux alentours de Diégo. D’ailleurs, même la proposition généreuse de location à bail à long terme de cette île est toujours tombée dans l’oreille d’un sourd. Ainsi, face à la menace et au chantage à peine voilés exprimés dans la lettre, la saisine de la Cour internationale de justice apparaît comme la décision la plus plausible – une éventualité que redoutent Londres et Washington, ce même si son verdict n’impose aucune obligation légale, mais qui pourrait leur être désastreux sur le plan international en tant que « modèles de démocratie ». S’il est vrai que la guerre froide symbolisée par la division de l’Europe par le mur de la honte pendant 28 ans n’existe plus aujourd’hui – raison avancée par la partie mauricienne pour la rétrocession de l’archipel –, force est d’admettre toutefois que les tensions dans les relations internationales demeurent tout aussi vives. L’accession du premier président noir à la Maison-Blanche en janvier 2009 était, par conséquent, perçue comme une lueur d’espoir pour un assainissement de la géopolitique globale, mais ce n’était que peine perdue. Le rapport Est-Ouest a sérieusement été envenimé ces dernières années par, entre autres, les provocations intempestives de l’Otan en Pologne et en Ukraine à l’égard de Moscou, les manœuvres militaires américaines dans la péninsule coréenne et dans la mer de Chine. Comme quoi, il n’y a pas que la menace terroriste ou la piraterie dans l’océan Indien pour justifier la base militaire de Diégo ; les conditions de guerre froide qui avaient suscité sa construction en 1971 sont aujourd’hui loin d’être dissipées.
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