Interview

Cassam Uteem: «Pourquoi ne pas faire de la cité La Valette une Smart City?»

Quel est l’étendue de la pauvreté à Maurice ? Selon les statistiques les plus récentes, 126 000 adultes ont des revenus mensuels de Rs 5 660 et se trouveraient donc en situation de pauvreté. Cela représente presque 10 % de la population. Cependant, en l’absence d’indicateur chiffré de ce qui constitue le minimum vital, toute statistique ne peut qu’être approximative. Qu’en est-il vraiment ? Pour le savoir, il faut voir les conditions dans lesquelles vivent les familles en situation de pauvreté. La presse écrite en donne des exemples. Voyez cette famille monoparentale de huit enfants en bas âge qui vit à Kosovo, à l’entrée de Beau-Bassin, avec douche et toilettes à ciel ouvert, sans eau courante, depuis plus de 17 ans. Certains des enfants en âge scolaire ne sont pas scolarisés. Sept autres familles y vivent dans presque les mêmes conditions. Il y a également le cas de trois ou quatre SDF qui dorment sous un pont au Ward IV, quartier de la petite et moyenne bourgeoisie de Port-Louis. Il y a aussi le cas de cette famille, avec deux enfants, qui squatte un terrain sur le flanc de la montagne Paul & Virginie à la cité La Cure. En attendant d’avoir une maison de la NHDC, à chaque grosse averse, leur maison de fortune est envahie par des coulées de boue qui descendent de la montagne. Combien sont-elles, aux quatre coins du pays, ces familles qui vivent de tel calvaire ? Quelles sont les causes de cette situation ? Elles sont nombreuses et il faut aller les chercher dans notre histoire. De nombreuses familles souffrent encore des séquelles de l’esclavage et de l’engagisme, malgré tous les efforts entrepris. Il y a ensuite le système économique ultralibéral qui repose sur l’exploitation des plus vulnérables. Ils touchent des salaires de misère et leurs enfants souffrent souvent de malnutrition. Même s’ils sont scolarisés, ils sont recalés en fin de cycle primaire et rejoignent chaque année la cohorte des exclus et des marginalisés. Le système colonial dont nous avons hérité ne permettra jamais aux pauvres de briser le cycle infernal de la pauvreté. Le ministre de l’Intégration sociale se donne deux ans pour éliminer la pauvreté extrême. Est-ce réalisable ? Il faut que le ministre mette dès maintenant en œuvre un ensemble de mesures requises pour pouvoir respecter ce délai. Je le trouve plutôt optimiste, mais je souhaite de tout cœur qu’il atteigne cet objectif. Comment éliminer la pauvreté ? Il n’y a pas de recette miracle. Il faut agir à plusieurs niveaux et simultanément. Il faut surtout se défaire de certains préjugés bourgeois coriaces et réaliser enfin que là ou des hommes vivent dans la misère, les droits de l’homme sont violés ; s’unir pour les faire respecter est un devoir sacré. Je n’évoquerai que quelques-uns des défis majeurs à relever. Il y a d’abord la volonté politique qui, je dois dire, s’est fortement exprimée par le Premier ministre lorsqu’il a évoqué le Plan Marshall et a fait appel au PNUD pour aider à l’élimination de la pauvreté. Il faut également une politique de salaires et de prix qui assurerait d’une part un salaire adéquat à tous et au moins le ‘minimum vital’ pour ceux au bas de l’échelle. Cette politique veillerait en même temps à ce que les augmentations de prix des denrées alimentaires n’affectent pas les familles les plus vulnérables. Faudrait-il mener une action sur le plan éducatif ? Un système qui exclue presque 40 % des enfants à la fin du primaire perpétue le cycle de la pauvreté. La réforme de l’éducation que nous propose la ministre de tutelle, même si elle reste à peaufiner, semble faire l’unanimité. Les experts et les pédagogues doivent maintenant assurer son application dans les meilleurs délais. Ne devrait-on pas revoir aussi les conditions extrascolaires dans certaines régions ? La priorité demeure la construction d’habitations dans des lieux propices à l’épanouissement des enfants de familles vivant dans la pauvreté. Depuis quelque temps, on ne parle que de Smart Cities. En guise de respect pour nos concitoyens qui vivent dans la pauvreté, pourquoi ne pas commencer par transformer la cité La Valette en Smart City ? Ce projet avait, à l’origine, l’ambition d’être une cité modèle. Pour la réussite de tout programme visant à éliminer la pauvreté, il est important d’impliquer les pauvres et avoir leur collaboration dans sa préparation et son application. Quel doit être le rôle du secteur privé dans la lutte contre la pauvreté ? Le secteur privé, à travers les fonds de CSR, a un rôle d’appoint important à jouer. Ses actions doivent s’insérer dans le cadre d’un plan d’ensemble cohérent pour l’élimination de la pauvreté parrainé par l’état. Celui-ci décide des priorités après consultation avec toutes les parties concernées, en particulier ceux vivant dans des situations de pauvreté. Le secteur privé à travers des fondations ou des ONG, pourrait choisir l’un ou/et l’autre des secteurs prioritaires tout en évitant le double emploi et le gaspillage de fonds.
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