L’enquête judiciaire pour faire la lumière sur la mort de Soopramanien Kistnen, activiste du MSM, en octobre 2020 démontre, de manière sans équivoque, combien est-il imprudent de laisser au bon vouloir des seuls enquêteurs de la police le pouvoir d’investigation particulièrement en ce qu’il s’agit des high profile cases. Certes, dans toute enquête pénale, il appartient au DPP de déterminer s’il y a suffisamment de matière afin d’entamer une poursuite mais ne possédant, sous la Constitution, aucun pouvoir d’investigation, il n’a d’autres alternatives que de se fier aux informations recueillies en amont par la police. Il peut, à la rigueur, demander un complément d’enquête ou que certains aspects de l’enquête soient approfondis mais il ne peut, en aucun cas, modifier le cours de l’investigation ou encore moins, réparer une injustice commise à une victime par un enquêteur peu crédible.
Bref, le DPP ne peut être tenu responsable des manquements ou failles au niveau des enquêtes et qui peuvent ‘in fine’ avoir de sérieuses répercussions sur l’issue d’un procès. Une telle éventualité n’échappe certainement pas à la conscience du judiciaire. En effet, en 2008 déjà, feu magistrat Fekna, nommé ultérieurement juge, en avait d’ailleurs consacré tout un exposé intitulé : « Fruit of a poison tree or the effect of an unfair enquiry on a fair trial », ce dans le cadre d’un séminaire organisé par le PNUD sous le thème « Droits de l’Homme et procès équitables », séminaire qui avait réuni magistrats et juges de l’Afrique australe. L’intervenant avait alors fait ressortir que vu que la Cour est tenue à ne se prononcer que sur les faits et informations mis à sa disposition, les dangers d'erreurs judiciaires existent bel et bien. Il s’était alors prononcé pour un système compétent de contrôle au niveau des enquêtes.
Il va sans dire qu’un dossier à charge mal ficelé conduit toujours les magistrats et juges à consacrer beaucoup plus de temps à son examen. Dans l’affaire Kistnen, par exemple, la Cour de Moka avait dû être rappelée pour considérer certaines informations qui n’avaient pas été produites initialement par la police. Certes, juges et magistrats peuvent toujours rayer un procès s’ils ont des doutes mais que peuvent-ils réellement lorsque des preuves à charge mises à leur disposition exigent une condamnation alors que d’autres, à décharge, pouvant disculper l’accusé ne l’ont pas été.
Or, la grande majorité des suspects, pour des raisons diverses et variées mais dont la principale repose sur l’absence des moyens, ne retiennent pas les services d'un homme de loi et ne sollicitent même pas l'assistance légale. Et l'on sait qu'à Maurice, si un accusé est finalement acquitté, notre système de justice ne prévoit aucune forme de compensation pour les préjudices qu’il aurait entre-temps subis si ce n'est que des dommages au civil et ce après des procédures exhaustives qui durent des années et là aussi, à condition qu'il possède les moyens financiers requis pour pouvoir subvenir aux coûts d'un avoué et d'un avocat.
Ainsi, seule la supervision du travail des services d'enquêtes par une autorité indépendante, extérieure à la police peut à même d'améliorer la qualité des investigations et de remédier aux carences soulevées lors des procès. Dans ce contexte, certains pays tels la France, ont adopté le système de Juge d’instruction.
À Maurice, selon les statistiques, l'aveu occupe une place prépondérante dans les procédures pénales ; environ 70% – 80% des condamnations prononcées reposent effectivement sur des confessions. Mais la question que l’on se pose : comment sont-elles réellement obtenues ? Des fois, des accusés confessent volontairement mais manifestement, c’est l’exception qui ne confirme pas la règle. S’il est vrai que la justice a la discrétion d’admettre des témoignages obtenus de manière pas tout à fait réglementaire si la valeur probatoire de l’évidence est plus conséquente que l’effet préjudiciable de ces témoignages, qu’en est-il, en revanche, de la grande majorité des cas ?
Finalement, l'on dit souvent que la santé d'une démocratie se mesure, d'abord et surtout, par le respect des droits humains. Ainsi, vu que l’on ne peut transiger sur ces droits fondamentaux, garantis par la section 10 de notre Constitution, n’est-il pas temps de consolider les pouvoirs du DPP, étalés sous la section 72, afin qu’un contrôle plus rigoureux soit exercé sur les enquêtes policières ? Ou autrement, pourquoi pas la nomination d’un directeur des enquêtes indépendantes qui pourrait provenir de la magistrature et désigné dans les mêmes conditions que les juges par la Judicial and Legal Service Commission prévues par la Constitution ? Mais quelle que soit la formule, une chose est néanmoins certaine : le dispositif actuel mérite un sérieux dépoussiérage. Car il ne fait aucun doute aujourd'hui que dans un système accusatoire comme le nôtre, des paramètres de contrôle sont indispensables pour garantir une justice plus juste et équitable. Il est temps donc de sortir des sentiers battus et de combattre les abus et carences au sein de la force de l’ordre, ce dans le but de mieux encadrer les agents de police pendant la phase d’enquête tout en respectant les droits fondamentaux des citoyens prévus par la Constitution.
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