L’administrateur d’Air Mauritius est-il tenu de respecter les droits des travailleurs ou alors le « Insolvency Act » lui donne-t-il carte blanche ? Pour comprendre, voyons d’abord d’où l’administrateur tient son pouvoir. La section 213 du Insolvency Act définit l’administration comme étant la possibilité pour une entreprise de céder ses pouvoirs de gestion sur ses affaires, sa propriété ou ses transactions, à une tiers dont le profil est très clairement définit par la section 215 du même texte de loi.
L’entreprise ne peut donc pas céder plus de pouvoir qu’elle n’en a sur ses affaires, sa propriété ou encore ses transactions. Par exemple, s’il s’agit de l’administration de terrains agricole, l’administrateur ne pourra pas les vendre comme étant des terrains résidentiels. De même s’il s’agit d’une compagnie d’aviation, l’administrateur n’a pas le pouvoir de la transformer en agence de voyage.
Dans le cadre de l’administration volontaire d’Air Mauritius, l’administrateur dispose donc des mêmes prérogatives que l’employeur vis-à-vis de ses employés. Les droits dont dispose l’employeur dans notre pays sont établis par le « Employment Relation Act 2008 amended » et le « Workers Right Act 2019 » principalement. L’administrateur dispose du même cadre légal qui est celui proposé par la section 72 du « Workers Rights Act 2019 » qui rend obligatoire la négociation avec les représentants des travailleurs préalablement à tout licenciement.
L’administrateur serait également soumis aux mêmes contraintes que l’employeur puisque dans le cadre des deux textes mentionnés, l’esprit du droit du travail mauricien est de promouvoir des relations industrielles harmonieuses. C’est comme cela que le législateur a voulu cette loi si l’on s’en tient à la place qui est faite pour la médiation et la conciliation dans l’organisation et le financement du ministère du travail.
C’est pour protéger les employés et leurs représentants des abus que peuvent engendrer cette relation inégale entre un fort, l’employeur qui offre du travail, et un faible, l’employé soumis aux ordres de son employeur ou encore le demandeur d’emploi, que le législateur a mentionné par trois fois le mot « négociation » dans la section 72. Il n’y a aucune définition légale de ce qu’est la négociation mais il est coutume de dire que les négociations doivent se faire en toute bonne foi.
Il est clair que des négociations ne peuvent être menées sous la menace et encore moins de chantage pour obtenir le consentement des représentants des travailleurs. C’est important de le préciser car c’est ce qui se passe en ce moment à Air Mauritius. Chacun doit comprendre que si cette stratégie marche à Air Mauritius, tous les autres secteurs d’activité à Maurice peuvent craindre le même sort. Car si cela est permis, c’est que l’administrateur est au dessus de la loi du travail.
Certains me diront qu’il faut maintenant faire avec et craindre la nouvelle section 72A du « Workers Rights Act ». Cette amendement permet au Ministre du Travail d’exempter un employeur, dans notre cas supplée par l’administrateur, de respecter la procédure établi par la section 72 qui impose des négociations préalables avec tous les représentants des travailleurs avant tout licenciement. Même si cette crainte est fondée, il y encore un filet de sécurité avec le « Procedural Agreement (PA)» et le « Collective Agreement (CA) ». Ces documents ont pour objet d’établir, d’une part, les procédures régissant la relation entre l’employeur et le syndicat et d’autre part les conditions de travail de tous les
employés. Ce sont des contrats établis dans le cadre de ce que la loi reconnaît comme le « Collective bargaining ». Comme tout contrat, ils se doivent d’être conformes aux règles établies par le Code Civil mauricien.
D’après ce que l’on trouve sur la question des conflits qui pourraient survenir entre les règles établis par le « Insolvency Act 2009 » et le Code Civil, le législateur a prévu que les règles du Code Civil ne s’effacent pas devant le pouvoir de l’administrateur. C’est en tout cas ce que l’on peut lire à la partie nommé « Fourth Schedule » du « Insolvency Act 2009 ».
Je ne peux terminer cette réflexion sans mentionner la question de la rétroactivité de l’amendement porté par la section 72A. Le ministre dispose du pouvoir d’exempter l’employeur de l’application de la section 72 par voie de règlement qui doit être publié dans le « governement gazette » pour être applicable.
L’absence de publication dans la gazette du gouvernement permet de dire que l’administrateur aujourd’hui à Air Mauritius n’a pas les pleins pouvoirs. Il ne peut donc pas refuser de négocier avec les syndicats et il n’a surtout pas le droit d’agiter la menace des licenciements comme moyen de pression pour obtenir l’annulation de tous les accords obtenus durant les 40 dernières années.
L’administrateur refuse de négocier alors qu’il n’a pas encore présenté un plan de redressement. Est-ce qu’il a un agenda caché ? C’est en tout cas l’impression que cela donne. Si le ministre du travail se décide à intervenir, les employés d’Air Mauritius attendront certainement de lui que ce ne soit pas comme un régulateur aveugle mais plutôt comme un arbitre.
Ivor Tan Yan, syndicaliste
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