Le mardi 15 janvier, l’attention des Mauriciens sera focalisée sur le Privy Council, à Londres, où sera débattu l’appel interjeté par le Directeur des poursuites publiques (DPP) au jugement de la Cour suprême, qui a blanchi Pravind Jugnauth après que la cour intermédiaire l’a trouvé coupable de conflit d’intérêt dans l’acquisition de MedPoint et l’a condamné à 12 mois de prison. Une condamnation commuée en travaux communautaires.
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Vu que Pravind Jugnauth est leader d’un parti au pouvoir et de surcroît Premier ministre, plus d’un n’est intéressé qu’à savoir si le jugement des Law Lords sera en sa faveur ou non. Point à la ligne. Ainsi, l’aspect politique fera de l’ombre à l’aspect juridique. Effectivement, ce jugement du Privy Council sera un tournant décisif dans la carrière politique de Pravind Jugnauth. S’il penche en sa faveur, sa cote de popularité a toutes les chances de monter en flèche, rendant ainsi le MSM incontournable dans les négociations d’alliances en vue des prochaines élections.
Au cas contraire, un cataclysme s’abattra sur le Sun Trust, car le leader sera contraint de quitter l’arène politique, comme son oncle Ashock Jugnauth, l’ancien ministre de la Santé, pour une affaire de corruption. Du coup, le MSM va falloir désigner un nouveau leader. Très probablement un « non-Jugnauth ». Comme une masse de l’électorat oscille entre le MSM et le PTr, c’est le parti de Navin Ramgoolam qui a toutes les chances d’en tirer profit. Le jugement du Privy Council pourrait faire oublier les coffres-forts du leader des rouges.
Au-delà de la politicaillerie, le jugement du Privy Council va démêler certains imbroglios juridiques. D’ailleurs, c’est la raison principale pour laquelle le DPP a eu recours à cette haute instance juridique. Le Conseil privé britannique est appelé à se prononcer sur :
- l’interprétation des éléments constitutifs de l’infraction pénale, qui interdit au public official d’agir en situation de conflit d’intérêts, notamment les éléments de personal interest et mens rea ;
- si Pravind Jugnauth pouvait se prévaloir de la défense de bonne foi ;
- si la façon de laquelle Pravind Jugnauth a agi, par rapport à l’implémentation du contrat de vente, pouvait l’exonérer de toute responsabilité pénale.
En somme, le différend entre le jugement de la cour intermédiaire et celui de la Cour suprême repose sur l’interprétation de certaines clauses de la Prevention of Corruption Act (PoCA). À titre d’exemple, dans leur jugement condamnant Pravind Jugnauth, les magistrats Azam Neerooa et Niroshini Ramsoondar, de la cour intermédiaire, considéraient que l’acte (approuver le virement de Rs 144,7 millions pour l’achat de la clinique MedPoint par l’État) suffit pour établir cette « strict liability offence », compte tenu que sa sœur en est une des actionnaires. Dans un langage juridique, ils ont jugé que la prohibition pour un agent de l’État (public official) de participer à/ d’intervenir dans une décision qui le placerait en situation de conflit d’intérêts est absolue.
La Cour suprême n’est pas sur la même longueur d’onde. Le chef juge Kheshoe Parsad Matadeen et le juge Asraf Caunhye considéraient que l’acte ne suffit pas pour condamner Pravind Jugnauth, qui n’en avait pas l’intention. Il n’avait fait qu’exécuter une décision du Conseil des ministres. Dans le jargon judiciaire, la Cour suprême a jugé que l’élément intentionnel (mens rea) est requis pour constituer l’infraction pénale interdisant à l’agent d’agir en situation de conflit d’intérêts. La Cour suprême a aussi jugé que Pravind Jugnauth pouvait se prévaloir de la défense de bonne foi, puisqu’il n’avait fait qu’exécuter ses fonctions de ministre des Finances.
Le jugement du Privy Council risque de laisser des séquelles au niveau des institutions comme le DPP et l’Icac. Pile ou face, le DPP deviendra la cible de certains, vu qu’il porte le patronyme Boolell. Pile, si le Privy Council renverse le jugement en appel de la Cour suprême, voire rétablit la condamnation de la cour intermédiaire, les dirigeants et les sympathisants du MSM lui tiendront rigueur. Face, si le jugement de la Cour suprême est maintenu, il doit s’attendre à une vague de critiques. En politique, on dit que c’est de bonne guerre. La ferveur politique supplantera la raison juridique.
De l’autre côté, la crédibilité de la Commission anti-corruption (Icac) est en jeu. Les partis de l’opposition l’ont déjà entamé cette semaine, en apprenant que l’Icac avait soumis, contre toute attente, un written submission au Privy Council en novembre. En réalité, l’Icac a tout droit de le faire, étant à la base de l’affaire MedPoint. Navin Beekharry et son équipe doivent s’attendre à un tollé, au cas où le Privy Council rejettait le jugement de la Cour suprême.
Au bout du compte, la séquelle des séquelles sera une dangereuse friction entre le DPP et l’Icac.
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