Interview

Bernard Yen, de Aon Hewitt : «Les compétences essentielles devront être mieux rémunérées»

Bernard Yen

Le salaire minimal devrait être un outil de référence pour les situations de travail différentes. Tel est l’avis de Bernard Yen, directeur général de Aon Hewitt, spécialisé en gestion des Ressources humaines. Toutefois, il estime que le comité institué à cet effet devrait anticiper certains cas de figure.

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Les membres du National Wage Consultative Council se disputent déjà entre eux. C’est de mauvais augure pour le salaire minimal…
Pas nécessairement. Car ils ont une grande responsabilité. Il faut discuter et prendre en compte de nombreux facteurs avant de dégager la bonne formule. Par exemple, il y a eu des indications qu’il faudra plusieurs taux correspondant à différents niveaux de capacités et d’expérience, puisque un montant unique ou universel serait moins approprié. Il faudra aussi trouver un bon équilibre entre des taux qui seraient trop bas et ne changeraient pas grand-chose et des taux qui seraient trop forts et mettraient en péril trop d’emplois. Tout cela doit être étudié et discuté de manière saine par le comité, mais préférablement à huis clos en premier lieu.

Quel impact l’introduction d’un salaire minimal devrait avoir sur ceux au bas de l’échelle ?
Le salaire minimal devrait aider ces personnes à obtenir un revenu adéquat pour subvenir à leurs besoins de base, en tenant compte des autres facilités ou subventions accordées par l’État. Par exemple, en matière d’éducation, de soins de santé, de logement et de transport gratuit. Il devrait être une référence facile à utiliser et à adapter en fonction de situations différentes, telles que le travail à temps plein ou partiel, temps normal ou supplémentaire (overtime), prime de productivité, etc. Je ne vois aucun employeur raisonnable venir dire à ses employés qu’ils seront rémunérés au taux minimum. Donc, je pense que tous les salariés au bas de l’échelle seront rétribués à un taux supérieur au montant minimal. Mas je vois émerger trois cas de figure différents :

(i)    une majorité qui va être confortée et qui jouit déjà d’un revenu au-dessus du minimum préconisé par la loi ;

(ii)    une première minorité qui va connaître une augmentation immédiate à la suite de l’introduction du salaire minimal et qui va continuer à progresser, en attendant que leurs employeurs puissent s’adapter aux nouvelles conditions et absorber ou redistribuer les coûts supplémentaires à long terme ;

(iii) une deuxième minorité qui va peut-être avoir une augmentation immédiate après l’introduction du salaire minimal, mais qui risque d’être licenciée ou être amenée à faire des efforts supplémentaires dans le court ou le moyen termes pour que leurs employeurs puissent s’adapter aux nouvelles conditions et les maintenir en emploi.  

Ce sont ces deux derniers cas de figure que le comité devrait anticiper et prendre en compte avant de proposer le montant du salaire minimal. Et le gouvernement devrait aussi prévoir des mesures d’accompagnement pour limiter la casse pour ces cas vulnérables.

Certains estiment qu’un salaire minimal peut dynamiser la consommation et ainsi faire du bien à l’économie, en général, même si les coûts pour les entreprises peuvent augmenter. Êtes-vous d’accord avec cette analyse ?
Non, pas vraiment. Bien sûr, toute augmentation salariale individuelle peut accroître la consommation, mais comme je viens de le dire, je pense que ce sera seulement une petite minorité qui bénéficiera d’une augmentation durable due à l’introduction du salaire minimal. Donc, cela ne fera pas une grande différence au niveau national.

«Si quelqu’un est perçu comme étant mal payé, ce n’est pas en prenant de l’autre qui est mieux  payé que le problème sera résolu.»

Dans ce genre de situation, le patronat clame généralement ne pas avoir les moyens de payer. N’est-ce pas un peu paradoxal quand on voit les salaires de certains CEOs ?
Pour être franc, je ne vois pas ces entreprises, dont les CEOs sont très bien payés, souffrir du salaire minimal et avoir des employés dans la troisième catégorie vulnérable que j’ai mentionné tout à l’heure. Ces grandes entreprises devraient avoir les moyens de s’adapter et maintenir ces emplois, à moins que le salaire minimal décrété ne soit vraiment trop élevé. Par exemple, 100 % du salaire médian qui impliquerait une augmentation pour 50 % des employés. Je vois plutôt des problèmes surgir du côté des PMEs, dont les CEOs et actionnaires ne sont pas encore bien payés et ne peuvent s’adapter aux nouvelles conditions.

Faut-il réduire l’écart entre les «top salaries» et ceux au bas de l’échelle pour plus d’équité ?
Idéalement oui, mais dans la pratique, ce sont les forces du marché qui priment. Il faut comprendre que la distribution des salaires dans toute entreprise est le résultat d’un équilibre entre les différentes compétences de chaque membre du personnel, leur disponibilité relative dans le marché du travail, les valeurs qu’ils ajoutent à l’entreprise aux yeux des actionnaires et dirigeants, et le succès commercial de l’entreprise, entre autres. De manière générale, l’entreprise va devoir payer plus pour les compétences qui sont plus rares et essentielles à la bonne marche et au succès de l’entreprise, tandis que ceux dont les compétences sont plus communes auront des salaires plus modestes. C’est la loi du marché, aussi imparfait qu’il puisse être.

Le salaire de Gérard Sanspeur a aussi fait polémique cette semaine. Rs 500 000 pour un professionnel, cela vous semble justifié ?
Je ne suis pas bien placé pour commenter le salaire d’une autre personne sans connaitre les compétences et la valeur ajoutée que cette personne apporte aux entreprises ou organisations qui l’emploient.

Normalement, les « top salaries » du privé sont bien plus importantes que dans le public. Doit-on revoir cela pour préserver les compétences dans le secteur public ?
Encore une fois, il est difficile de commenter les salaires sans connaître à fond les compétences requises et les réalités du marché. Toutefois, de manière générale, les emplois dans le secteur privé sont sujets à plus de risques que dans le secteur public et devraient normalement être compensés pour cela. Il ne faut pas oublier non plus que la rémunération totale de toute personne comprend non seulement son salaire de base, mais aussi les allocations supplémentaires, entre autres.

Le problème de l’inégalité peut-il être résolu en s’attaquant ainsi à l’échelle des salaires ?
De manière générale, non. Si quelqu’un est perçu comme étant mal payé, ce n’est pas en prenant de l’autre qui est mieux  payé que le problème sera résolu. Si vous faites cela directement, vous allez peut-être encourager la médiocrité et décourager l’excellence. Il faudrait, par contre, encourager celui qui est moins bien payé à améliorer ses compétences et sa productivité pour être mieux rétribué ou, pourquoi pas, se mettre à son propre compte et voir le revers de la médaille.S’il faut elaborer ou clarifier sur certains points, fais-moi savoir.

 

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