Bataille de longue haleine : après 7 ans de lutte, il récupère ses enfants d’un Shelter

Le jeudi 26 septembre 2019 est une date qu’Ignace Choolye n’est pas près d’oublier. C’est le jour où il a pu récupérer ses cinq enfants alors que pendant des années ils ont vécu loin de lui dans un shelter. À l’heure où le nombre de cas nécessitant l’intervention de la Child Development Unit est en hausse et où le Children’s Bill fait débat, des histoires comme celle-là, on veut encore en entendre d’autres…

« Sept ans c’est long. Mon benjamin n’avait que trois mois. Je n’ai pas entendu ses premiers mots… J’ai perdu des années de leur vie… J’ai longtemps été un père sans enfants… »

De la maisonnette située à Beau-Bassin, des cris d’enfants se font entendre à plusieurs mètres. C’est un changement pour les voisins car pendant longtemps Ignace Choolye a vécu seul. Après des années de démarches à la Cour, jeudi dernier le magistrat a autorisé que ses cinq enfants, qui étaient dans un shelter, retournent vivre avec lui.

Cela n’a toutefois pas été une mince affaire. Ignace s’est battu. Il a travaillé dur pour améliorer l’état de sa maison et l’aménager en collectionnant plusieurs petits boulots. Il a aussi suivi à la lettre les recommandations de l’équipe de l’Alternative Care Unit (ACU - voir encadré ci-dessous) pour que sa maison soit dans un état acceptable pour accueillir ses enfants.

Ignace a été séparé d’eux il y a sept ans, après une visite de la Child Development Unit (CDU) au domicile de leur mère. Les officiers ont constaté que les enfants étaient livrés à eux-mêmes, ce qui représentait un danger. C’était en 2012. Ignace s’en rappellera toute sa vie. Il venait de perdre son emploi et il avait des difficultés à joindre les deux bouts. « Même si je cumulais deux emplois, j’avais des difficultés à m’en sortir. Ma femme et moi avions cinq enfants. Quand j’ai perdu mon emploi, la situation a empiré. Nous étions obligés d’habiter dans une maison en bois sous tôle que nous louions à Rs 1 500 », raconte Ignace.

Un jour, poursuit-il, sa femme a voulu lancer un appel de solidarité car ils vivaient vraiment dans la misère. « Après la publication de cet article, la CDU est intervenue pour dire que les enfants ne pouvaient pas habiter là car la maison pouvait s’effondrer à tout moment. Ma mère a tenté de fuir avec les enfants, mais elle a été retrouvée par la CDU. Mes enfants ont tous été placés dans un shelter du ministère. »
Ignace se rappelle que ce jour-là, il avait reçu un appel de la mère de ses enfants. « Elle était en larmes. Elle m’a dit que les enfants n’étaient plus là. J’étais effondré. Le même soir, j’ai appelé toutes les personnes que je connaissais, mais je n’ai pas pu savoir où ils avaient été placés », se remémore-t-il.

Il explique s’être rendu plusieurs fois à la CDU dans l’espoir d’obtenir un droit de visite. Ce n’est qu’après de longs mois d’attente qu’il a enfin pu les voir. Depuis, il leur rendait régulièrement visite. Il ne cessait de demander l’assistance de la CDU, puis de l’ACU, pour l’aider à récupérer ses enfants.

Entre-temps, le couple s’est séparé. C’est Ignace qui a obtenu la garde des enfants. Quand nous l’avons rencontré dans la soirée du vendredi 27 septembre 2019, il se dépêchait de préparer le dîner : un bon riz avec des grains secs et du poisson salé qu’il avait soigneusement nettoyé la veille. Un sentiment de fierté se lisait sur son visage. Il répétait sans relâche : « Mo kontan. Mo kontan mo pe fer manze pou mo zanfan. Avan manze la pa ti ena gou. »

Sa maison est bien aménagée. Il nous montre, content comme pas deux, toutes les pièces. « J’ai acheté une armoire, des lits, une machine à laver et un réfrigérateur. Mo ti pe atann zot. Monn bien atann. Zot la. Ayo, zot la… » dit-il en cherchant du regard tous ses enfants, comme pour s’assurer qu’ils sont tous bien là.

Pour Ignace, la joie de retrouver ses enfants est incontestable. Mais il y a un fait tout aussi indéniable : rien ne pourra remplacer toutes ces années d’absence dans la vie de ses enfants. « Sept ans c’est long.

Mon benjamin n’avait que trois mois à l’époque. Je n’ai pas entendu ses premiers mots. J’ai perdu toutes ces années de leur vie. Mis à part leur apporter des gâteaux et des confiseries, je ne sais plus ce qu’ils aiment ou ce qu’ils n’aiment pas trop. Je ne connais pas leurs petites manies. Pendant toutes ses années j’ai été un père sans enfants. Je dois me rattraper. Je ferai tout ce qu’il faudra pour que nous soyons une vraie famille. »

Si Ignace avait un message à adresser aux autorités, ce serait le suivant : « N’enlevez pas des enfants à leurs parents uniquement parce qu’ils sont pauvres. Ce n’est pas facile de rester fort et de continuer à se battre quand on n’a plus ses enfants à ses côtés. »

Back to Home Programme

L’Alternative Care Unit (ACU) est une unité specialisée au sein du ministère de l’Égalité des genres et du Développement de l’enfant qui se concentre sur la réhabilitation et l’encadrement des enfants placés dans les shelters. Durant son passage sur les ondes de Radio Plus il y a quelques jours, Jhoree Rattan, Child Welfare Officer de la Child Development Unit a expliqué qu’auparavant cette mission revenait à la CDU. Puis une division spécialisée, l’ACU, a été créée pour plus d’efficacité.

Jhoree Rattan a souligné que le Back to Home Programme vise à évaluer la possibilité de retourner les enfants à leurs familles biologiques. « Une enquête est menée au préalable et les officiers de l’ACU accompagnent les parents dans leurs démarches. Mais il est important de rappeler que la décision d’enlever un enfant à sa famille ou de la lui retourner relève des compétences d’un magistrat ou d’un juge. » Pour rappel, la CDU est de plus en plus sollicitée, soit 5 104 fois en 2017 et 5 565 fois en 2018.

Remerciement spécial à Étoile du Berger

Si les enfants sont contents de retrouver leur père, ils sont néanmoins tristes d’avoir quitté leur maison d’accueil placée sous l’égide de l’association Étoile du Berger. « Nous étions séparés selon notre âge. C’est sûr que nous sommes contents de vivre ensemble désormais, mais cela nous a fait de la peine de laisser nos amis et toutes les personnes qui se sont si bien occupées de nous. Nous avons beaucoup appris.

Nous avons eu plusieurs opportunités. Aujourd’hui nous réalisons quand même que nous avons eu de la chance de retrouver notre père. Dire que certains enfants n’ont jamais reçu de visite de leurs parents ou ne savent même pas qui ils sont. Je suis parti mais mon cœur est toujours avec mes amis », confie le fils aîné.