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Axe Afrique/Maurice : mer nourricière pour trafiquants de drogue

La saisie record de 42,3 kilos d’héroïne à l’île de La Réunion met le doigt sur les failles dans le contrôle des côtes et des eaux territoriales mauriciennes. Il serait facile de faire entrer ces substances illicites par la mer. C’est d’ailleurs la voie privilégiée des trafiquants.

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Maurice ne dispose pas des moyens nécessaires pour contrôler les points d’accès par la mer. C’est le constat du Département d’État américain dans un rapport publié en mars 2011. L’International Narcotics Control Strategy Report, du Bureau for International Narcotics and Law Enforcement Affairs, indiquait déjà que Maurice a une faiblesse de taille dans la lutte contre le trafic de drogue. Le pays est dans l’impossibilité de surveiller ses côtes et ses eaux territoriales comme il se doit.

Nous avons sollicité un skipper pour qu’il nous explique le modus operandi. Cet homme, qui a déjà eu des démêlés avec la justice, nous parle sous le couvert de l’anonymat. Il dit d’emblée que les failles dans le système de contrôle sont exploitées pour faire entrer la drogue à Maurice. « C’est un travail bien organisé », dit-il. De la drogue, principalement de l’héroïne, en provenance de Madagascar ou d’autres pays africains, arrive par voie maritime. « Si certains prennent des risques en passant par l’aéroport, il n’est un secret pour personne que la mer reste le lieu de prédilection. » Car, les chances à l’aéroport sont minimes.

Les passeurs sont au courant du système de contrôle des autorités. « C’est presque impossible de nous surveiller en mer », affirme le skipper. Il s’est rendu plusieurs fois à l’étranger, notamment à Madagascar, pour acheter de la drogue. « C’est le Big Boss qui organise le travail. Il loue un hors-bord ou un catamaran et contacte le fournisseur. Mon rôle, c’est d’aller récupérer les colis et les balancer dans le lagon. »

Rs 600 000 pour un trajet

Le skipper mauricien explique qu’il était toujours confiant lors de ces opérations. « Certains membres des autorités malgaches sont corrompus. Nous n’avons aucun problème là-bas. Une fois le colis balancé en mer, une autre équipe se charge de le récupérer. La drogue est placée dans des sacs-poubelles, des bouteilles, des gallons ou encore des planches à voile. Les colis doivent absolument flotter. O ka kontrer, bizin met lor kont perdi. »

Le skipper ajoute que ce travail se fait entre deux et trois fois par mois. « J’ai travaillé pour un seul caïd, mais il y a une dizaine d’autres qui le font. On peut compter entre 20 et 30 trajets par mois, mais cela dépend des conditions météo. » Qu’en est-il du paiement ? Selon le skipper, il faut savoir négocier. « Vous pouvez toucher entre Rs 400 000 et Rs 600 000 pour un trajet. Mais cela dépend de la quantité qu’il faut ramener. »

L’arrestation des trois Mauriciens à l’île de La Réunion avec les 42,3 kilos d’héroïne aurait pu être évitée, selon notre skipper. Il dit connaître d’autres moyens pour passer à travers les mailles du filet. Il révèle aussi que c’est un minimum de cinq à six kilos par trajet. « Nous ne nous déplaçons pas pour moins que ça. Le Big Boss doit avoir son profit, car c’est lui qui se charge des frais du transporteur, du plongeur, du hors-bord/catamaran, de l’essence et des hommes de terrain. Les caïds ne travaillent pas pour des prunes. »

Les opérations nocturnes sont privilégiées. « Nous prenons moins d’une semaine pour aller à Madagascar et revenir. Mais cela dépend du bateau et du temps. J’avais une préférence pour les opérations de nuit. Cela nous facilitait la tâche. »

Axes sous surveillance

Dans les milieux de l’Anti Drug & Smuggling Unit, on confirme que le réseau est bien organisé. L’axe Maurice-Madagascar est privilégié par les trafiquants. Mais les lignes Maurice/Tanzanie et Maurice/Kenya sont aussi sous surveillance. Selon un ancien officier de la brigade antidrogue, c’est l’ouverture en mer pour les pêcheurs qui « a facilité le trafic de drogue ». Il affirme que les pêcheurs ne sont pas dupes et que certains sont tentés par l’argent.


DCP Choolun Bhojoo, le patron de l’Adsu : «Il faut revoir le système»

Un mot sur la saisie de plus de 40 kilos de drogues à La Réunion ?
Cela nous interpelle. Dans la région, il y a eu des saisies de 10 à 12 kilos d'héroïne, mais pas 42,3 kilos. C’est une première. La marine française a saisi plusieurs kilos de drogue sur des navires, mais cette fois, des trafiquants ont été pris en flagrant délit  à terre.

Est-ce qu’il y a un axe Madagascar-Réunion-Maurice ?
On ne sait pas si cet axe existe. Ce sont les enquêteurs qui vont le déterminer. Il y a eu plusieurs arrestations et saisies de drogue à Madagascar. Il y a bien un axe Madagascar-Maurice. Certains trafiquants le font par voie aérienne, et d’autres par voie maritime. Cette drogue provient principalement du Kenya, de Tanzanie, d’Ouganda, du Mozambique et de Madagascar. L’héroïne quitte le Proche-Orient, notamment de l’Afghanistan, pour atterrir dans l’océan Indien.

Est-ce que Maurice est une « passoire » ?
Avec un cas, on ne peut pas dire que Maurice soit une « passoire ». Mais cette grosse saisie nous interpelle. Il y a du souci à se faire. Mais, de l’autre côté, il faut reconnaître le combat de l’Adsu et de la police contre la drogue. Il y a de nouveaux défis et la vigilance doit être rehaussée. Il faut revoir le système.


La prison, centre nerveux

La connexion entre prisonniers mauriciens et étrangers a favorisé la mise en place d’un réseau de gros trafiquants opérant de la prison. Gros bonnets, petits et gros dealers et parrains de divers horizons se côtoient en toute liberté. Ils opèrent avec la complicité de certains gardiens peu scrupuleux.  La prison, haut lieu pour trafiquants locaux et internationaux, est devenue le centre nerveux de ce trafic qui échappe au contrôle des autorités.

La solution, selon certains officiers, serait la mise des téléphones publics des prisons sur écoute et l’installation d’une instance judiciaire à l’intérieur même des prisons en vue d’éviter le va-et-vient des détenus durant le procès. « Il y a une vingtaine de téléphones publics dans nos prisons. Et ils ne sont pas sur écoute. Un détenu peut s’en servir pour un trafic de drogue. C’est la raison pour laquelle la loi doit être amendée pour autoriser l’écoute des appels téléphoniques. » 

Selon le commissaire des prisons Vinod Appadoo, la prison n’est pas « la plaque tournante ». Il admet que les détenus étrangers se côtoient. « Nous faisons de notre mieux afin que les détenus, qui pourraient se livrer au trafic de drogue à l’intérieur de nos prisons, n’aient aucune communication. D’ailleurs, des téléphones portables sont retrouvés avec leurs présumés ‘jockeys’ lors des fouilles. Nous multiplions ces exercices et des mesures pour combattre ce trafic à la prison seront bientôt appliquées », affirme-t-il.


Saisie record d’héroïne : la Réunion envisage une commission rogatoire à Maurice

Les autorités réunionnaises poursuivent leur enquête sur la saisie record de 42,3 kilos d’héroïne le vendredi 11 novembre. Elles envisagent de solliciter l’aide de la justice mauricienne. « Nous cherchons à savoir s’il y a eu d’autres voyages », a déclaré Éric Tuffery, procureur de la République de Saint-Denis à la presse réunionnaise.

« Nous comparons les déclarations des uns et des autres, on doit sans doute avoir des commissions rogatoires à Madagascar et à Maurice pour avoir une idée de l’ampleur de ce trafic », a-t-il ajouté. De son côté, Maître Diane Marchau, avocate de Mike Brasse, a soutenu  que « la plupart des individus reconnaissent des responsabilités. Mais il y a encore des contradictions. Nous sommes à un stade de l’enquête qui est délicat. On n’a pas encore tous les tenants et aboutissants, nous sommes à une phase d’analyse ». 

Lors de son interrogatoire de deux heures en début de semaine par le juge d’instruction chargé de l’affaire, le Mauricien Mike Brasse a indiqué que « la drogue n’a été stockée à La Réunion que de manière fortuite. Une précédente livraison de Madagascar à Maurice avait eu lieu en mars dernier », rapporte la presse réunionnaise.


Il y a 30 ans, sir Maurice Rault disait…

La première commission d’enquête sur la drogue a siégé en 1986 sous la présidence de sir Maurice Rault. L’ancien chef juge avait souligné que certaines personnes suspectées n’étaient pas sous surveillance accrue alors qu’elles devaient l’être. Pour ce qui est de l’aéroport, il avait souhaité que ceux qui traversent le VIP Lounge devaient soumettre leurs bagages à une fouille. Au port, il avait constaté que des containers étaient fabriqués uniquement pour faciliter le transport de la drogue et si les autorités devaient examiner chaque container, cela paralyserait le port. En ce qu’il s’agit de la voie maritime, sir Maurice Rault a constaté que « one of the treasures of Mauritius are the many bays and inlets sprinkled all round the coast. But this makes us vulnerable to smugglers who can pick so many spots to land unobserved. We were also told that drugs are sometimes conveyed through small boats who board passing ships… »

 

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