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Au cœur de l’info - Rama Sithanen : «Maurice perdra son statut de pays à revenu élevé d’ici 2021»

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La dimension politique, les réformes institutionnelles, et l’action citoyenne, entre autres, font partie de ce que Rama Sithanen désigne comme une approche holistique de la sphère économique. L’ex-ministre des Finances était l’invité de Nawaz Noorbux et Jugdish Joypaul dans l’émission « Au cœur de l’info » le vendredi 23 octobre 2020 axée sur l’éventualité d’une reprise économique en 2021.

La réouverture des frontières au début du mois n’a pas eu l’effet escompté.

Jugdish Joypaul.
Jugdish Joypaul.
Nawaz Noorbux.
Nawaz Noorbux.

Roupie, pouvoir d’achat et pays à revenu élevé

Selon Rama Sithanen, la roupie mauricienne aurait déprécié de Rs 4 face au dollar américain. La dépréciation serait quasi similaire contre l’euro et la livre sterling. L’inflation a aussi été revue à la hausse (0,5 % en 2019, contre presque 2,8 % cette année).

Cela peut expliquer la baisse du pouvoir d’achat à Maurice. « Le PIB (Produit intérieur brut ; NdlR) par habitant se retrouve au même niveau qu’en 2010. Maurice perdra ainsi son statut de pays à revenu élevé d’ici l’année prochaine », a souligné Rama Sithanen.

Il faut dire que la Banque centrale est intervenue à plusieurs reprises l’année dernière afin de renforcer le dollar américain. Or, a précisé l’ex-ministre des Finances, plusieurs personnes peinent à obtenir cette monnaie auprès des banques commerciales. « Pendant combien de temps pourra-t-on sauvegarder la stabilité bancaire ? », s’interroge-t-il.    

Contraction de 15 % en 2020

Difficile de faire des prévisions dans la conjoncture actuelle. Les révisions constantes non seulement des institutions internationales mais aussi du ministre des Finances concernant les chiffres de croissance pour 2020 et l’année prochaine en sont la preuve. Pour Rama Sithanen, cela peut s’expliquer par le fait que les dernières prévisions faites par Renganaden Padayachy tenaient compte de la réouverture des frontières et de l’hypothèse des arrivées touristiques.

Ainsi, selon l’ancien ministre des Finances, la contraction s’élèvera à 15 % en 2020. Dans son argumentation, il avance que la COVID-19 n’est pas la seule responsable de la récession actuelle. « Le pays était déjà en difficulté avant l’avènement de la pandémie. Maurice a enregistré une réduction de 2,8 % de son PIB au premier trimestre de cette année. Pour le deuxième trimestre, il est estimé à 33 % du PIB », a-t-il fait ressortir. Ce qui le pousse à dire que les statistiques n’ont plus de sens aujourd’hui.

Plus tôt dans la journée du vendredi 23 octobre, le ministre des Finances, Renganaden Padayachy, avait annoncé la réallocation de Rs 6 milliards en vue de soutenir l’économie locale par l’entremise de projets d’infrastructures. Rama Sithanen s’est par la suite dit étonné du timing choisi. « Cette précipitation est incompréhensible. Pourquoi ne pas avoir attendu le mois de décembre ? Est-ce à cause des élections villageoises qui approchent ? » se demande-t-il.

La décision de soutenir uniquement les planteurs de thé n’est pas vue d’un bon œil par l’ancien ministre des Finances, qui a rappelé que d’autres planteurs sont eux aussi en difficulté. Mais il a souligné qu’il accordait le bénéfice du doute à Renganaden Padayachy concernant la capacité de dépenser le montant de la réallocation d’ici juin prochain, en espérant, a-t-il ajouté, que « cela se fasse dans la transparence ».

Inquiétude sur divers secteurs, le déficit et la CSG

Les piliers de l’économie sont en grande difficulté. En première ligne, le tourisme ou encore le secteur d’exportation, qui sont tributaires du marché international et qui sont sous respiration artificielle. La réouverture des frontières au début du mois n’a pas eu l’effet escompté en termes d’arrivées touristiques.

Rama Sithanen est d’avis que la situation empirera alors que les marchés de Maurice, dont ceux de l’Europe, sont confrontés à une seconde vague de COVID-19. Se référant aux cas des Seychelles et des Maldives, qui ont accueilli 4 % de touristes uniquement pour la reprise, Rama Sithanen argue que le comportement des touristes changera. Ces derniers risquent d’opter pour de courts trajets.

D’autres éléments, comme le nombre de jours que devra passer un touriste en quarantaine une fois à Maurice, ou encore le coût des tests, pèseront lourd dans la balance. « Je suis inquiet pour le tourisme. Il faut prend en compte l’effet multiplicateur de même que l’effet catalytique », a soutenu l’ex-ministre.

Les autres secteurs qui contribuent à la richesse du pays, à l’instar de la zone franche, l’exportation, le Seafood ou encore le sucre, ne sont pas non plus épargnés par l’impact négatif de l’épidémie. « Pour la première fois, Maurice devrait enregistrer un déficit de plus de Rs 60 milliards dans sa balance de paiements. Ce qui équivaut à 17 % du PIB », a expliqué Rama Sithanen.

Parmi les solutions qu’il a proposées : une réouverture des frontières avec des mesures strictes et la révision de la stratégie touristique. Il préconise un travail responsable pour l’économie numérique, l’économie circulaire et l’économie bleue. Une approche holistique vers l’Afrique devrait également, selon lui, faire l’objet d’une réflexion profonde. « Il faut se concentrer sur la sécurité alimentaire et faire la transformation des produits, tout en restant ouvert à la mondialisation durable et juste », a-t-il argumenté.

Il y a urgence, notamment en révisant la CSG et la taxe dans le secteur offshore.

Le secteur financier peut également accélérer la croissance du pays.  Cependant, c’est un domaine où la confiance est primordiale. Or, la taxe marginale et l’introduction de la Contribution sociale généralisée (CSG) jouent en défaveur de Maurice dans sa quête d’attirer les investisseurs étrangers. Le modèle actuel du Global Business serait dépassé et à bout de souffle, selon Rama Sithanen.

Réforme constitutionnelle

Si Rama Sithanen n’est pas un farouche partisan de la réforme de la Constitution, c’est parce qu’il estime que ce texte fondamental qui définit les droits des citoyens est desservi par des hommes et des femmes chargés de sa mise en œuvre, tout comme la MBC Act dont le contenu semble irréprochable. L’ex-Grand argentier souhaite plutôt la création d’une Deuxième chambre, composée de non-élus et la nomination de ministres hors du Parlement. Les trois mots-clés, selon lui, sont la transparence, la redevabilité et la bonne gouvernance, lesquelles vont de pair avec un nécessaire « mindset ». « Je ne suis pas contre la mise sur pied des commissions parlementaires même si elles sont composées à majorité par des élus du gouvernement, car elles permettent de créer des consultations », a-t-il indiqué.

La pression citoyenne et le pouvoir de la presse

Se félicitant de la réaction citoyenne dans le sillage de l’affaire Wakashio, Rama Sithanen voit en celle-ci un levier de pression capable de modifier le cours de choses, avec le soutien d’une presse d’investigation. « Encore faut-il que l’action de la rue soit bien dirigée et qu’elle ne soit pas la seule à décider. Mais on n’est pas prêt pour cela », a-t-il nuancé. « Les gens étaient très en colère par rapport à la manière dont le gouvernement a géré l’affaire Wakashio, les conditions dans lesquelles des amendements ont été apportés à certaines lois et la perception qu’ils ont de la corruption dans l’attribution des contrats », a-t-il fait observer.

En ce qui concerne le recours référendaire, Rama Sithanen se demande si les citoyens sont bien informés pour faire leur choix. Le recours à la destitution d’un parlementaire n’emporte pas non plus son adhésion, une démarche qui, a-t-il souligné, n’est pas servie avec notre mode de scrutin. Faut-il rechercher le soutien de l’opposition dans une éventuelle réforme constitutionnelle ? Rama Sithanen a semblé dubitatif à l’évocation de cette question. « Les partis changent d’opinion, selon qu’ils sont au gouvernement ou dans l’opposition. Seul Paul Bérenger tient parole », a-t-il répondu.

Dialoguer avec le secteur privé

Pour Rama Sithanen, l’heure n’est pas à la confrontation avec le secteur privé. Il est d’avis qu’il faut plutôt avancer dans le dialogue même si des divergences existent entre le gouvernement et ce dernier. « Il faut sauver la situation. Il y a urgence, notamment en révisant la CSG et la taxe dans le secteur offshore. Padayachy joue à la guerre, ce qui amènera les investisseurs à aller à Singapour ou en Chine, où on a retiré ou baissé la taxe, ou encore offert des ‘incentives’. »

L’absence de femmes aux postes de prise de décisions

Au chapitre des réformes, Rama Sithanen inclut également la scène politique où il se prononce pour le retrait des leaders comme Navin Ramgoolam et Paul Bérenger. Mais ce qui lui paraît inacceptable, c’est l’absence de femmes aux postes de prise de décisions, comme au Rwanda, en Tanzanie ou en Afrique du Sud, où existe la parité. « Pourtant, les filles sont meilleures en éducation. Elles constituent une ressource », a insisté l’ancien ministre. À ce titre, il n’a pas manqué de faire ressortir l’absence de diversité tant dans la fonction publique qu’au sein des conseils d’administration d’entreprises du secteur privé.

Calcul de la croissance

La croissance d’une année serait déterminée par rapport à l’année précédente. En effet, selon Rama Sithanen, le PIB de 2020 chutera de 15 %. Ainsi, la progression de l’année prochaine prendra en compte les chiffres de 2020. « Dans l’éventualité où la récession se chiffre à 15 % cette année, Maurice peut enregistrer une croissance de 7 % au moment de la reprise au niveau mondial et aussi des secteurs importants dans le pays », a-t-il détaillé.

 

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