Economie

Assistance publique aux entreprises : la force des lobbies du secteur privé

Au début de septembre, le Premier ministre et ministre des Finances a annoncé une série de mesures pour soulager les entreprises exportatrices qui font face à des difficultés financières, suivant l’appréciation de la roupie surtout par rapport au dollar, ces derniers temps. Cela nous rappelle l’épisode de l’Additional Stimulus Package de 2009 et l’Economic Restructuring Competitiveness Program de 2010.

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L’Exchange Rate Support Scheme annoncé, le 8 septembre dernier, par le Premier ministre et ministre des Finances, Pravind Jugnauth, a pour but de compenser les entreprises exportatrices subissant les soubresauts du taux de change de l’euro et du dollar. La décision fut prise après que les représentants de Business Mauritius, de la Chambre d’Agriculture et de la Mauritius Export Association aient porté leurs doléances auprès du Premier ministre. Un comité technique comprenant les représentants de diverses institutions publiques et privées a fait une série de recommandations. Dans le cadre du plan, le gouvernement offrira une contribution financière sujet à un plafond de Rs 2.50 par dollar. Ce plan sera opérationnel pendant six mois, à partir du 11 septembre 2017.  Les exportateurs ont favorablement accueilli ces mesures, car selon eux, elles protégeront des milliers d’emplois. À noter que des mesures similaires ont été annoncées pour le secteur sucrier, les coopératives et les PME opérant dans le secteur des exportations.

Roupie faible

Récemment, le Monetary Policy Committee de la Banque de Maurice a réduit le Repo Rate’ de 50 points, le ramenant au taux de 3,50 %. L’une des raisons ayant motivé cette réduction est le fait que nos exportations connaissaient une baisse depuis quelque temps, comme l’a souligné le communiqué de la Banque de Maurice. Gavin Ng, analyste, explique qu’en général, une baisse du taux d’intérêt peut affaiblir la roupie. « Une roupie faible est une bonne chose pour le tourisme et les exportations, mais les perdants sont les importateurs, car l’importation coûtera plus cher si la roupie est faible. La note est ensuite passée aux consommateurs à travers une majoration de prix, car nous importons presque tout notre consommation : denrées de base, matériaux de construction, véhicules, etc. »

Il  souligne  aussi qu’avec une roupie faible, le montant d’investissements directs étrangers, en termes nominaux, démontrera une hausse. « Si la roupie se déprécie, cela affectera aussi les Mauriciens se rendant en voyage à l’étranger, et les étudiants mauriciens à l’étranger dont les parents envoient de l’argent de Maurice. Les travailleurs étrangers qui remettent de l’argent à leurs familles sont aussi pénalisés par une roupie faible. Par contre, c’est une aubaine pour les Mauriciens travaillant à l’étranger et qui envoient de l’argent à Maurice », ajoute-t-il.  

Avec une roupie faible, le montant d’investissements directs étrangers, en termes nominaux, démontrera une hausse.

C’est devenu une coutume pour le gouvernement d’intervenir quand la situation est difficile de sauver les entreprises et de protéger l’emploi. Dans le passé, le gouvernement avait introduit en 2009 l’Additional Stimulus Package (ASP) pour venir en aide aux entreprises faisant face aux conséquences de la crise économique globale. En 2010, le gouvernement est venu de l’avant avec un  Economic Restructuring Competitiveness Program (ERCP) pour venir en aide aux entreprises affectées par la crise qui agitait la zone euro.   Ce genre de programmes est destiné à soutenir les entreprises financièrement ou autrement, à les aider à demeurer compétitives, à renouveler leurs équipements et à soulager leurs fardeaux fiscaux, entre autres.

Gains partagés

Est-ce que ces formes d’assistance de l’État sont-elles toujours justifiées ?   L’économiste Arvind Nilmadhub explique que l’État a un devoir de soutenir les entreprises, qu’elles soient petites ou grandes, afin d’éviter une perte d’emplois. « Quand une entreprise est en difficulté, il faut, bien sûr, intervenir pour l’aider. Mais il faut aussi analyser les faits. Pourquoi l’entreprise est-elle en difficulté? Est-ce la conséquence des conditions économiques défavorables, comme la crise internationale, ou est-ce le résultat de la mauvaise gestion ? Il faut faire très attention. L’État ne doit pas aider aveuglement, car c’est l’argent des contribuables.  Je pense que l’État a un devoir de faire un suivi », explique l’économiste.

À notre question si le gouvernement est obligé d’intervenir, Arvind Nilmadhub explique que tout gouvernement craint des licenciements massifs. « Parfois, certaines entreprises brandissent des menaces, afin de forcer le gouvernement à intervenir. Par exemple, on entend souvent parler de licenciements ou de délocalisation, quand la situation économique est difficile. Dans de telles circonstances, le gouvernement n’a pas de choix. Tout dépend aussi de la force des lobbies économiques. Il faut protéger les employés et stimuler l’économie afin qu’elle ne sombre pas dans la récession. »

L’économiste Vishal Rughoobur n’est pas du même avis. Selon lui, il y a des conditions à respecter dans le cadre de ce Scheme et les avantages visent à aider les entrepreneurs. Par contre, l’économiste Éric Ng estime que ce Scheme n’a pas de sens et est discriminatoire envers les autres acteurs économiques. « Quand la roupie est faible, les gains doivent être partagés avec les employés », suggère-t-il.


 

Lilowtee Rajmun-Jooseery : «Nos compétiteurs ont déprécié leurs monnaies»

Avec l’appréciation de la roupie ces derniers temps, le secteur de l’exportation n’est pas compétitif, selon la directrice de la Mauritius Exports Association (MEXA). Dans une déclaration à notre confrère News on Sunday, Lilowtee Rajmun-Jooseery explique que les exportations dominent notre économie et la chute du dollar par rapport à la roupie affecte les entreprises, mais aussi le secteur hôtelier. « Plus de 52 % de nos exportations sont en dollar, et entre janvier et juin de cette année, nos exportations ont baissé de 11 %, surtout à cause du Brexit et la situation économique en Afrique du Sud. Nos compétiteurs asiatiques, notamment le Bangladesh, le Vietnam et la Chine ont déprécié leurs monnaies pour demeurer compétitifs », dit-elle, ajoutant que la baisse du taux directeur a en partie soulagé les entreprises. Elle espère que cela impactera sur la roupie dans les jours qui suivent.

Azad Jeetun : «Accent sur la productivité»

L’économiste Azad Jeetun, ancien directeur de la Mauritius Employers Federation, est d’avis que l’économie mondiale elle-même est en régression, donc Maurice doit booster sa productivité et sa compétitivité. Dans une déclaration à News on Sunday, Azad Jeetun prévoit une baisse des revenus si la roupie continue à apprécier. Toutefois, si la baisse du taux directeur va soulager les entreprises, elle ne va pas empêcher l’appréciation de la roupie. Il s’attend toutefois à un meilleur taux d’investissement, mais il réitère la nécessité d’accroître la productivité et la compétitivité.

Dr Bhavish Jugurnath : «Les exportateurs gagnent, les importateurs perdent»

Selon le Dr Bhavish Jugurnath, économiste, il y a beaucoup de discussions autour de la roupie forte ou faible. Notre économie est très dépendante de nos exportations, donc le taux de change a une influence majeure sur notre croissance. « Je comprends que le taux de change est déterminé par le marché et s'il existe une intervention gouvernementale pour une roupie faible pour les exportateurs, la même chose devrait s'appliquer pour une roupie forte pour les importateurs. Tout mouvement d'intervention gouvernementale entraînera des gains pour certains acteurs au détriment des autres. À cet égard, une intervention du gouvernement devrait être soigneusement analysée. Il est vrai qu’une roupie forte ne va pas aider les exportateurs, mais c'est quelque chose qui devra être surveillée attentivement, surtout ce qui détermine la force de cette roupie, plutôt que de simplement demander de l'aide au gouvernement. »

Prithviraj Fowdur : «Cessez cette politique d’intervention»

Prithviraj Fowdur, économiste et ancien haut cadre du secteur public, estime qu’une dévaluation déguisée a pour but de subventionner le monde des affaires. « Il est temps d’arrêter cette politique de soutenir des entreprises exportatrices à tout bout de champ. Le secteur privé doit pouvoir se débrouiller, comme se débrouille tout le monde. Il faut devenir compétitif et faire face aux lois du marché, et non pas demander de l’aide à chaque problème. Je pense qu’il faut d’abord identifier les exportateurs, et voir ce qu’ils exportent, et analyser leur performances et méthodes de gestion, avant de leur donner du sérum. Il y a eu des abus dans le passé où, malgré l’assistance publique, des entreprises n’ont pu être sauvées. »

 

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