Interview

Arvind Nilmadhub : «L’appauvrissement de la classe moyenne est un phénomène très inquiétant»

L’économiste Arvind Nilmadhub estime que le projet de Smart Cities appauvrit la classe moyenne et qu’il n’est pas nécessaire pour le pays. La création d’emplois, l’entrepreneuriat, la réduction de l’inégalité grandissante devraient figurer parmi les priorités du Premier ministre et ministre des Finances dans le Budget 2017/18.

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« Maurice n’a pas vraiment besoin de Smart Cities »

Maurice a chuté de sept places au classement Ease of Doing Business de la Banque mondiale, soit de la 42e à la 49e place. Cela vous surprend-il ?
Pas vraiment.  Depuis 2013 déjà, Maurice a commencé à chuter dans le classement.

Quelles en sont les raisons ?
Il n’y avait pas eu de réforme pour améliorer le climat des affaires à Maurice.

Quelles mesures devrait-on prendre pour attirer davantage d’investissement étranger ?
L’amélioration du climat des affaires doit être un exercice continuel à entreprendre chaque année.  Il ne faut pas se limiter aux seules recommandations de la Banque mondiale.  Ainsi, si un entrepreneur souhaite lancer un business, cela lui prend plus de deux semaines, contrairement aux affirmations du gouvernement, car les procédures ne s’arrêtent pas à la simple création de la société.

Quels sont les secteurs les plus attrayants pour les étrangers ?
Depuis le début de son mandat, le gouvernement met l’accent sur deux secteurs : l’immobilier et les services financiers.  L’objectif étant d’atteindre un taux de croissance élevé comparé au gouvernement précédent.  Cependant, la création d’emplois durables est souvent ignorée dans cette équation.   

Il ressort du Business Confidence Indicator que l’indice de confiance est à son niveau le plus haut. À quoi attribuez-vous ce regain de confiance dans le monde des affaires à Maurice?
J’attribue cela au fait qu’il y a maintenant un chef du gouvernement, comparé aux deux précédentes années où le gouvernement était divisé en deux clans au pouvoir. Cependant, cet indice concernant les membres de la Chambre de Commerce et de l’Industrie ne reflète pas la réalité. C’est un tout autre son de cloche auprès des PME.

Malgré un arsenal de mesures incitatives annoncé chaque année, le secteur des PME n’arrive pas à atteindre sa vitesse de croisière. Pourquoi ?
Cela est dû au fait que le marché local est limité et l’ouverture vers l’Afrique reste un mirage pour certaines Petites et moyennes entreprises. Le secteur n’atteindra sa vitesse de croisière que : s’il y a une fermeture aux importations de produits concurrentiels que produisent les PME ; si l’accès aux marchés africains devient une réalité ; si les PME engagées dans le secteur des services s’ouvrent au monde via l’internet ; si les campagnes de promotion du gouvernement mettent l’accent sur ces PME du secteur des services.

Comment le Budget 2017/18 pourra-t-il consolider cette confiance ?
Après consultations avec les divers acteurs de l’économie, le gouvernement devra proposer des mesures pour améliorer et booster le climat des affaires.  Il est regrettable que le budget annuel soit devenu une « shopping list » des grosses entreprises du privé. Il n’y a aucune vision à long terme où le secteur public et le secteur privé s’orientent vers un objectif commun.

Quelles devaient être les priorités du ministre des Finances dans le  Budget 2017/18 ?
Les priorités devront être la création d’emplois, la promotion de l’entrepreneuriat du secteur des services, la réduction de l’inégalité grandissante dans le pays et la lutte contre l’appauvrissement de la classe moyenne.

Pensez-vous que Pravind Jugnauth aura suffisamment de marge de manœuvre ?
Certainement. Mais c’est surtout en contrôlant les dépenses inutiles du gouvernement qu’on aura une plus grande marge de manœuvre. 

Qu’en est-il de ses contraintes ?
La dette publique reste la contrainte majeure et il faut impérativement la réduire. Sauf que si on la réduit drastiquement, cela affectera négativement notre économie à court terme. Le gouvernement ne souhaite pas cela, car nos dirigeants ont dans le viseur les élections générales.

Dans le public, l’impression dominante est que les Smart cities profitent plus au gros capital qu’à l’économie nationale. Est-ce le cas ?
Soyons francs sur les Smart Cities. Quelles sont les sociétés qui développent ces projets ?  Principalement des conglomérats issus du domaine sucrier.  Le sucre ne rapporte plus de recettes et c’est dans cette logique que certaines entreprises diversifient leurs offres. Pour rester profitables, ces conglomérats se tournent vers les projets immobiliers. 

Est-ce normal que ces logements de luxe à plus de Rs 4 millions dans les régions rurales soient exemptés de taxe immobilière, alors que Maurice impose une taxe urbaine?
Je pense qu’il faudrait revoir toutes les démarcations entre régions rurales et urbaines.  Grand-Baie ne doit plus être considérée comme une région rurale. Les services de voirie, d’éclairage des chemins, etc. devraient être revus en fonction du nombre d’habitants et des activités économiques générées.

Pour un petit pays comme Maurice, faut-il limiter le nombre de Smart Cities ?
Je le redis : un projet de ville nouvelle ne peut être vu ou conçu en solo. Il faut le voir dans une perspective de développement national, avec en complément, la régénération urbaine et rurale. Maurice n’a pas vraiment besoin de Smart Cities, mais plutôt un rehaussement des villes et des villages. Voyons Ébène : c’est comme-ci on avait créé un deuxième Port-Louis avec les mêmes problèmes. Les Smart Cities ne peuvent être du copier-coller. Ce qui se passe ailleurs ne sera pas nécessairement un succès à Maurice.

Croyez-vous que les étrangers voudront acquérir des appartements dans nos Smart Cities ?  Voyez comment on alloue des permis de construction pour des projets de villas de luxe en milieu agricole, sans route ni drain ? Que se passera-t-il demain ? Que du béton partout, des lieux accessibles par des sentiers étroits où deux véhicules ne peuvent se croiser ! Les pompiers eux-mêmes auront du mal à y accéder en cas de catastrophe. Commençons par y remédier à travers une meilleure planification.

Est-ce une erreur des autorités d’avoir cédé à certains lobbies en abandonnant l’obligation de vendre 25% des logements aux Mauriciens ?
Avec le recul, quand on examine toutes les mesures incitatives du gouvernement (pour la promotion du secteur immobilier, les incitations fiscales aux entreprises et à la diaspora mauricienne), on constate qu’elles creusent le fossé entre les riches et les pauvres ! Autre phénomène des plus inquiétant : l’appauvrissement de la classe moyenne.  À noter que la majorité de la population est issue de la classe moyenne à Maurice.

La classe moyenne se plaint de l’absence de produits immobiliers à la portée de sa bourse. Pourquoi ce manque d’intérêt des promoteurs à leur égard ?
Il y a divers facteurs.  Les promoteurs ciblent surtout les étrangers pour leur fort pouvoir d’achat. Les ventes se font plus vite qu’avec la classe moyenne qui souffre aussi des spéculations foncières à Maurice.  Il n’existe pas de mécanisme pour apprécier le prix recommandé pour l’achat d’un terrain.

Ainsi, si une personne souhaite acquérir un terrain, le vendeur mettra son prix. Souvent ce prix est complètement différent de celui qu’un évaluateur professionnel recommandera.  Les autorités devraient établir une liste des prix recommandés pour les terrains en fonction des régions.  Ce n’est alors que les promoteurs pourront développer des produits spécifiques pour la classe moyenne.

Partagez-vous l’opinion de ceux qui pensent que les Smart Cities seront des ghettos pour les ultrariches étrangers ?
Oui.  D’ailleurs, comme indiqué plus haut, même si ces projets créent de l’emploi sur le court terme, ces projets aggraveront l’appauvrissement de la classe moyenne.

« Grand-Baie ne doit plus être considérée comme une région rurale »

 

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