Après des années de thérapie hormonale, Anya a subi une transition de genre. Mais aux yeux de la loi, elle est toujours considérée comme un homme. Elle s’est tournée vers la Cour suprême pour faire modifier son acte de naissance.
Né garçon, Anya (prénom d’emprunt) s’est toujours sentie enfermée dans un corps qui ne reflétait pas qui elle était réellement au fond d’elle. Après des années de souffrance, elle a entamé une transition de genre. Menant désormais une vie de femme épanouie, elle caresse l’espoir de se marier avec l’homme qui partage sa vie depuis cinq ans maintenant. Cependant, cette jeune femme de 33 ans, originaire d’un faubourg de Port-Louis, se heurte à un obstacle de taille, qui l’empêche de compléter sa transition. Aux yeux de la loi, elle est toujours considérée comme un homme.
À ce jour, elle n’a toujours pas pu modifier son acte de naissance pour indiquer son changement de genre. Lors de sa demande initiale en 2023 auprès du bureau de l’État civil de Port-Louis, elle a été informée que seule une décision de justice pourrait permettre un tel changement. C’est ainsi qu’Anya, par l’entremise de l’avocate Prinsnee Coothen et de l’avoué Vassen Atmarow, s’est tournée vers la Cour suprême, le 16 août dernier. Elle demande à la justice de sommer le bureau de l’État civil de Port-Louis de modifier son extrait de naissance.
Dans sa plainte, rédigée par l’avoué Vassen Atmarow, Anya raconte que dès son plus jeune âge, elle s’est sentie mal à l’aise dans son corps et son identité de garçon, préférant les vêtements de sa mère et les jeux typiquement associés aux filles. Cette conviction s’est renforcée à l’adolescence, période pendant laquelle elle a commencé à exprimer son identité féminine en se laissant pousser les cheveux et à se maquiller, notamment. « C’était compliqué avant, avec les parents. Surtout quand ils venaient d’apprendre la nouvelle sur mon identité de genre. Mais ma famille s’est montrée compréhensive », souligne-t-elle.
En 2016, déterminée à ce que son corps reflète qui elle était vraiment à l’intérieur d’elle-même, elle a entrepris une thérapie hormonale. Ce qui lui a permis de supprimer certaines caractéristiques masculines, comme les poils du visage, et de favoriser le développement de traits féminins, comme la poitrine. Thérapie qu’elle a poursuivie « gratuitement » en 2021, à l’hôpital Dr A.G. Jeetoo, à Port-Louis.
Cependant, ce n’était qu’une partie de son parcours vers l’harmonisation de son corps et de son esprit. Avant de passer à l’étape suivante, elle a consulté un psychologue à qui elle a confié son mal-être d’être une « femme coincée dans un corps d’homme ».
En 2023, après plusieurs années de thérapie hormonale, Anya a franchi une étape cruciale en subissant une vaginoplastie en Inde, à l’hôpital Synergy. Cette intervention a été suivie d’une réduction de la pomme d’Adam pour accentuer davantage son apparence féminine. Processus qui l’a conduite à se sentir enfin en paix avec elle-même. Elle a dépensé plus de 10 000 dollars américains, soit environ Rs 460 000, pour ces opérations. « Je ne me reconnais plus comme la personne que j’étais avant », affirme-t-elle.
Afin d’assumer pleinement sa nouvelle identité, elle formule une demande pour changer de prénom. Le 26 avril 2024, elle reçoit une lettre du bureau de l’Attorney General l’informant que sa demande en ce sens a abouti. Anya délaisse ainsi officiellement son prénom masculin pour prendre celui d’une femme.
Cependant, ce changement d’apparence et de nom s’accompagnent de certaines complications en l’absence de la modification de son genre sur son acte de naissance. Anya explique qu’elle doit constamment prouver son identité, souvent au prix de son intimité. Elle se voit souvent contrainte de présenter ses certificats médicaux lors de transactions bancaires, d’inscription à des cours et même lors d’entretiens d’embauche pour des postes où son apparence ne correspond pas à son identité légale. Des situations qui ont engendré humiliations et discriminations pour elle.
Anya confie qu’après une adolescence « particulièrement pénible », marquée par le harcèlement en raison de son apparence, il lui est particulièrement pénible de se voir refuser le droit d’être reconnue comme une femme aux yeux de la loi. Aujourd’hui, Anya entend rectifier les choses et ouvrir, par la même occasion, la porte vers la reconnaissance légale à Maurice des transgenres. Elle dit rester « positive » quant à l’issue de son action en justice. Surtout après le jugement rendu par la Cour suprême décrétant que l’article 250(1) du Code pénal, qui vise à criminaliser la sodomie, est discriminatoire et anticonstitutionnel. Cela, dans la mesure où il interdit la sodomie entre adultes masculins consentants.
Après une vie marquée par la souffrance, se sentant enfermée dans un corps qui ne correspondait pas à qui elle est réellement, Anya demande à la Cour suprême de reconnaître cette réalité en ordonnant la modification de son acte de naissance. Sa demande, dit-elle, ne nuit ni à l’intérêt public ni à la sécurité nationale. Mais elle est essentielle non seulement pour sa vie quotidienne, mais aussi pour sa dignité personnelle.
Me Prinsnee Coothen, son avocate : «À Maurice, les lois sur les personnes transgenres sont limitées»
Le mariage à Maurice est encadré par le Civil Status Act et le Code civil, explique Me Prinsnee Coothen, l’avocate d’Anya. Selon ces textes, le mariage est une union civile ou religieuse, et le droit de se marier librement est un principe fondamental. Cependant, aucune loi mauricienne ne précise que le mariage unit des personnes de sexes opposés.
« Il n’est fait mention nulle part dans nos lois que le mariage est l’union entre des personnes de sexes opposés. La loi pose certainement une condition d’âge à l’article 144 du Code civil, mais elle n’exclut pas explicitement les personnes du même sexe ou les personnes transgenres de se marier. »
La Convention européenne des droits de l’homme, ratifiée par Maurice, garantit le droit de se marier à tous, hommes et femmes, poursuit l’avocate. Ce droit s’applique également aux personnes transgenres, selon la jurisprudence de la Cour européenne.
Néanmoins, en l’absence de législation spécifique, la situation juridique des mariages entre personnes transgenres reste floue à Maurice. « Le mariage pour les personnes transgenres n’est pas explicitement reconnu à Maurice, car la législation ne le prévoit pas. Cela crée malheureusement des défis pour les individus transgenres qui souhaitent se marier ou voir leur mariage reconnu légalement. Des réformes sont nécessaires pour aborder ces questions de manière inclusive. »
Néanmoins, souligne-t-elle, le cas des Pays-Bas, qui ont légalisé le mariage entre personnes de même sexe en 2001, montre qu’il est possible d’adapter la législation pour répondre aux évolutions de la société.
Ryan Ah Seek, vice-président du Collectif Arc-en-Ciel : «Ces personnes font partie intégrante de notre société»
Ryan Ah Seek, vice-président du collectif Arc-en-ciel, apporte son soutien à Anya. « Il est important que chacun se sente bien dans sa peau, tant que cela ne nuit à personne », souligne-t-il.
Abordant la question de l’identité de genre, il rappelle que le spectre des identités est bien plus large que la simple dichotomie homme/femme. « Certaines personnes naissent dans un corps qui ne reflète pas qui elles sont vraiment. Que ce soit une fille se sentant garçon ou inversement, il est crucial de reconnaître et d’accepter cette réalité. Ces personnes font partie intégrante de notre société », affirme-t-il.
Pour Ryan Ah Seek, il est essentiel que les personnes transgenres soient reconnues à part entière et qu’elles puissent vivre en accord avec leur identité. « Si je souhaitais changer de sexe, je devrais être libre de le faire, bien sûr en respectant les démarches administratives nécessaires. Chacun devrait avoir le droit d’être heureux et de s’épanouir », fait-il ressortir.
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