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Apprentis conducteurs : à l’école de l’intolérance

Le manque de courtoisie et l’impatience vis-à-vis des auto-écoles semble gagner du terrain. Souvent, les conducteurs débutants doivent faire face à des signes d’agressivité de certains automobilistes. Doit-on revoir les règlements par rapport aux « learner drivers » ou un message de sensibilisation s’impose-t-il ?

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« Certains auto-mobilistes pensent qu’ils sont venus au monde avec le permis de conduire », peste Joanna, 32 ans. Cette jeune employée du secteur privé, qui apprend à conduire depuis janvier, déplore l’intolérance de certains sur nos routes. Pour des usagers de la route, les apprentis conducteurs peuvent être de véritables nuisances publiques. Pressés d’arriver à leur destination, plusieurs conducteurs se montrent agressifs envers les learner drivers.

« J’ai commencé à apprendre et les routes étaient sinueuses. Je les abordais avec précaution. À plusieurs reprises, des automobilistes klaxonnaient derrière moi ou encore me doublaient sur la ligne blanche. C’est non seulement illégal, mais aussi irrespectueux. Je me débrouille très bien sur la route, c’est juste que je n’ai pas le droit d’aller plus vite. Et cela, ils devraient le savoir, puisqu’ils ont aussi été des apprenants, comme moi », s’insurge Joanna.
Visiblement furieuse et dégoûtée, la jeune femme estime qu’il faudrait une campagne de sensibilisation agressive à cet effet.

« Il y a la plaque L sur les voitures des auto-écoles. Les gens savent qu’ils ont affaire à des apprenants et doivent se montrer responsables pour éviter des accidents. Une fois, à Sir Seewoosagur Ramgoolam Street (ex-rue Desforges), une voiture est sortie devant moi, alors que j’avais la priorité sur la route. Il y avait des embouteillages et Monsieur était visiblement pressé. Heureusement que je ne roulais pas vite. Je l’ai laissé passer et au moment où j’ai voulu avancer, il a brusquement freiné devant moi, l’automobiliste de l’autre voie ne lui ayant pas cédé le passage. J’ai paniqué et c’est le moniteur qui a dû freiner à ma place. Je suis consciente de la vigilance redoublée à tout type de conducteurs, mais si tout le monde respectait le code de la route, il n’y aurait point de problème. Ils conduisent n’importe comment et ne tiennent pas compte des learner drivers. Ils ont oublié qu’à une époque, ils étaient comme nous », fait ressortir Joanna.

Selon le chef inspecteur Mohit Rama, de la Traffic Branch, « les usagers doivent faire preuve de courtoisie. Se montrer agressifs envers les apprenants peut les décourager, voire provoquer des accidents ». Il y a des routes interdites aux learner drivers. Il y aura encore des rues qui leur seront inaccessibles, selon les nouveaux règlements qui seront bientôt mis en place.

D’ailleurs, le centre à Curepipe a été créé afin de décentraliser la capitale pendant les heures d’affluence. Et il y aura sans doute un troisième centre dans l’Est prochainement pour décongestionner nos routes aux heures de pointe. Ce n’est peut-être pas visible, mais il y a moins d’auto-écoles à Port-Louis depuis la décentralisation. D’ailleurs, avec le concept moto-école, bon nombre de moniteurs ne viennent plus dans la capitale ou à Curepipe.


En chiffres

En 2016, 29 355 personnes ont fait une demande pour l’obtention d’un learner’s permit contre 7 129 de janvier à mars 2017. En 2016, 74 757 ont fait une demande pour avoir leur permis de conduire, alors qu’en 2017, environ 18 000 ont enclenché les mêmes démarches.


Manoj Rajkumar : «La responsabilité appartient aux moniteurs d’auto-écoles et aux usagers de la route»

Pour le président de l’Association des moniteurs d’auto-écoles, il s’agit de la responsabilité tout un chacun. « C’est aux automobilistes, ainsi qu’aux moniteurs d’auto-écoles, de développer cette mentalité de partage sur la route. Certains conducteurs laissent leur autocollant L et cela crée une confusion. Comme il est difficile d’identifier les authentiques auto-écoles, les autres usagers ont tendance à se monter indifférents envers les apprenants. »

Certains driver learners semblent être un obstacle dans le quotidien des automobilistes, selon le constat du président. De ce fait, c’est aux moniteurs de s’assurer qu’ils ne sont pas dans certains endroits à des heures spécifiques. « Déjà, on a enlevé certains parcours pour les sessions d’auto-école et les tests pour ne pas bloquer la circulation routière et pour assurer la sécurité des apprentis conducteurs et les automobilistes. C’est aussi notre rôle de faire en sorte de ne pas embarrasser ou irriter les autres usagers de la route. Toutefois, je ne pense pas qu’il faut créer des voies uniquement pour les aspirants conducteurs, car ils doivent apprendre à gérer ce qui se passe sur nos routes. »

Alain Jeannot : «Il faut sensibiliser à la patience les chauffeurs détenant un permis»

Le président de Prévention routière avant tout (Prat) explique que les apprentis conducteurs sont soumis à certaines contraintes dans le pays. C’est une question de respect envers les plus faibles. « Nous devenons de plus en plus égoïstes », explique Alain Jeannot. « Il faut sensibiliser à la patience les chauffeurs détenant un permis. Et ils devraient comprendre les apprenants. Des campagnes régulières sur la courtoisie et le savoir-vivre dans cet espace de partage qui s’appelle la rue doivent être menées. En Suisse, le savoir-vivre et le partage sont promus en permanence par des campagnes soutenues. À Genève, par exemple, ils appellent cela le fair play. Vous pouvez voir des écriteaux et affiches fair play dans tous les lieux publics, y compris la route. À l’avenir peut-être aussi, l’on pourrait faire une partie de l’apprentissage sur simulateur. Ce qui les expose moins lorsqu’ils ne sont pas assez compétents. »


Témoignages

Hans Biwa : «Je n’arrivais pas à me concentrer»

« Zot fer nu abriti alor ki nu pe zis aprann kondir », nous lance Hans Biwa, 27 ans. Il est parmi ceux qui n’ont pas pu subir la pression venant des autres conducteurs. En nous confiant qu’il a mis un terme à ses cours, il déplore le manque de solidarité des automobilistes envers les apprenants. « Les insultes, les klaxons et leur regard méprisant ne sont guère encourageants. Déjà que j’ai beaucoup hésité avant de me lancer, mais à chaque fois que j’étais avec mon moniteur, j’étais nerveux. Je n’arrivais pas à me concentrer et ne pouvais rien faire. » Hans Biwa estime que les learner drivers doivent avoir toutes les facilités et la considération des autres automobilistes pour obtenir leur permis. Il dit ne pas comprendre ce type de comportement à leur égard. « On voit clairement que les autres conducteurs ne veulent pas nous voir sur la route, surtout quand ils sont pressés. Mais où devons-nous aller pour apprendre à conduire ? Une fois qu’on aura notre permis, nous devons nous aussi conduire comme eux. Or, je dois reprendre les sessions, car je suis conscient de l’importance d’avoir un permis de nos jours. »

Noor : «Ils se sentent oppressés ou intimidés»

Moniteur depuis plus de 10 ans, Noor affirme que la courtoisie sur les routes a complètement été abandonnée. Des exemples de manque de courtoisie et d’impatience vis-à-vis des auto-écoles, elle en cumule plusieurs, aussi invraisemblable que cela puisse paraître. « Les usagers de la route sont impatients envers nos jeunes apprentis. Ils klaxonnent, ils doublent quand bon leur semble, sans se rendre compte que cela peut provoquer des accidents. » Noor souligne que certains automobilistes ne font que mettre la pression pour avancer. Plusieurs de ses clients ont préféré abandonner, se sentant oppressés ou intimidés sur la route et ne développant pas la confiance et les réflexes nécessaires. « Je vis cela au quotidien. Nous sommes obligés de faire en sorte que ces apprentis conducteurs développent des expériences sur nos routes. Nous ne pouvons les emmener dans des endroits isolés. Parfois, je suis offusqué de ce que je vois sur la route. »

Christian : «Revoir les horaires dans la capitale»

Il travaille dans la capitale depuis plusieurs années. Christian ne nous cache pas qu’il est lui-même souvent très irrité par le nombre d’auto-écoles responsables de plusieurs choses sur les routes. « Je ne sais pas à qui la faute, mais il y a certaines auto-écoles qui semblent vouloir gâcher notre journée. Il y a déjà une liste établie des routes interdites aux learner drivers. Pourtant, ils insistent pour les utiliser, car ils veulent faire comme bon leur semble. Parfois, nous sommes en retard pour le travail et les automobilistes devant nous prennent tout leur temps à avancer. J’estime que les autorités auraient dû revoir les horaires concernant la capitale. Il ne suffit pas d’annuler quelques rues dans la capitale. Les embouteillages existent sur pratiquement toutes les rues de Port-Louis. Nous avons des explications à fournir, si nous arrivons en retard au travail. Je pense que c’est cette frustration qui agit ainsi », philosophe Christian.

 

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