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Anthony Leung Shing : «Le Budget devra envoyer un signal fort de confiance aux entreprises et aux investisseurs»

Pour Anthony Leung Shing, une relance ambitieuse et des réformes ciblées sont indispensables pour consolider les finances publiques. Alors que la dette approche 90 % du PIB, le Country Senior Partner à PwC Mauritius plaide pour un cap clair alliant croissance, équité et rigueur budgétaire.

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La dette publique avoisine désormais les 90 % du PIB. Le gouvernement parle d’un budget « difficile et responsable ». Quels sont les leviers réalistes à sa disposition pour entamer une consolidation budgétaire sans freiner la reprise économique ?
Le gouvernement doit engager une relance économique ambitieuse pour retrouver une véritable marge de manœuvre budgétaire. En ce début de mandat, il est essentiel de définir une vision claire à moyen terme afin de redresser la situation. Cela passe par des investissements ciblés dans des infrastructures stratégiques comme le port et l’aéroport, qui sont des moteurs de croissance. Il faut aussi renforcer les secteurs clés comme les services financiers, le tourisme et la logistique, qui créent de l’emploi et attirent des revenus étrangers. Mais pour avancer, Maurice doit aussi faire face au manque de compétences locales en attirant des partenaires stratégiques et en misant sur la formation. Parallèlement, il devient urgent de revoir certaines dépenses publiques importantes, comme la pension universelle, les aides sociales et le fonctionnement de la fonction publique. Un meilleur ciblage des subventions permettrait également de mieux utiliser les ressources de l’État. Une gestion plus efficace, responsable et orientée vers l’avenir permettra non seulement de stabiliser les finances publiques, mais aussi d’assurer une croissance durable et équitable pour tous.

Avec la dépréciation de la roupie et un déficit commercial persistant, le pouvoir d’achat des ménages est en berne. Peut-on s’attendre à des mesures ciblées pour protéger les couches vulnérables tout en maintenant une discipline budgétaire ?
Avec la dépréciation de la roupie et un déficit commercial persistant, le pouvoir d’achat des ménages mauriciens, surtout les plus vulnérables, est fragilisé. Le gouvernement doit prendre des mesures courageuses pour concentrer les aides sur les familles à faible revenu, en ciblant les subventions sur les produits essentiels, limitant ainsi les dépenses inutiles. Promouvoir une économie circulaire en favorisant les produits locaux et en réduisant la dépendance aux importations stimulera l’économie et créera des emplois. Augmenter les droits de douane ou créer des taux de TVA différenciés sur les produits non essentiels ou de luxe, tout en améliorant la collecte d’impôts, financera ces mesures sans alourdir le déficit. Investir dans la formation professionnelle équipera les Mauriciens pour des secteurs locaux comme l’agriculture ou l’artisanat, renforçant le pouvoir d’achat à long terme.

Le taux directeur est resté stable à 4,5 %. Dans quelle mesure la politique monétaire actuelle est-elle en cohérence avec les objectifs du prochain Budget, notamment en matière de croissance et de lutte contre l’inflation ?
Le maintien du taux directeur à 4,5 % traduit une politique monétaire prudente, en ligne avec les défis actuels de l’économie. Ce taux, modéré par rapport aux standards internationaux, soutient la croissance en préservant l’accès au crédit et en stimulant l’investissement, tout en limitant les risques d’inflation importée dans un contexte de dépréciation de la roupie. Cependant, ce levier monétaire ne suffit pas à lui seul. Le manque de main-d’œuvre qualifiée freine la capacité du pays à tirer pleinement parti de cette dynamique. Le Budget devrait donc miser sur le développement de la production locale, l’économie circulaire et la formation, afin de renforcer l’emploi, les exportations et le pouvoir d’achat des ménages.

Pensez-vous que le gouvernement a une marge de manœuvre pour augmenter les recettes fiscales sans pénaliser la consommation ou l’investissement ? Quelles options fiscales pourraient être envisagées dans ce contexte ?
Le Budget à venir est très attendu et devra envoyer un signal fort de confiance aux entreprises et aux investisseurs, au-delà d’un simple exercice comptable. Dans un contexte marqué par une surconsommation généralisée, le gouvernement doit élargir sa marge de manœuvre budgétaire sans compromettre la dynamique économique. Pour cela, il serait plus judicieux de renforcer la fiscalité indirecte plutôt que d’alourdir la fiscalité directe sur les revenus, qui pourrait freiner l’entrepreneuriat et l’investissement. En ciblant les produits non essentiels, la fiscalité indirecte permettrait de corriger certains déséquilibres tout en augmentant les recettes. Les taxes indirectes représentent déjà près de 60 % des revenus fiscaux de l’État, ce qui montre leur potentiel et constitue un levier stratégique à exploiter davantage.

Le gouvernement a promis plusieurs mesures populaires lors de sa campagne électorale. Est-ce que la situation économique actuelle rend ces promesses intenables, et quels en seraient les risques politiques ?
En ce début de mandat, le gouvernement doit faire preuve de courage et prendre dès maintenant des décisions difficiles, mais nécessaires. La situation économique — marquée par des pressions budgétaires, une roupie affaiblie et un déficit commercial persistant — limite la marge de manœuvre pour concrétiser toutes les promesses électorales. Reporter les ajustements risque de rendre toute correction ultérieure bien plus coûteuse, voire politiquement impossible. Maintenir certaines mesures populaires sans réforme structurelle aggraverait le déficit et minerait la confiance des investisseurs. À l’inverse, un recentrage des priorités dès la première année permettrait de préserver la stabilité macroéconomique tout en créant les bases d’une relance durable et crédible.

La structure économique reste largement tributaire des importations. Quelles mesures budgétaires ou incitations fiscales pourraient encourager une production locale plus compétitive ?
La forte dépendance de Maurice aux importations fragilise son économie face aux chocs externes. Pour renforcer la production locale, le budget pourrait introduire des incitations fiscales ciblées pour les entreprises investissant dans la transformation locale, l’agriculture intelligente ou l’artisanat à haute valeur ajoutée. Des crédits d’impôt, des exonérations sur les équipements de production et des subventions à l’innovation locale inciteraient la compétitivité. Une mesure phare consisterait à instaurer un taux de TVA réduit sur les produits fabriqués localement, afin de renforcer leur attractivité et de stimuler la demande intérieure. En parallèle, des politiques d’achats publics favorisant les produits « made in Moris » et un accompagnement technique aux PME renforceraient les capacités internes. Ces mesures, combinées à des investissements dans la formation et les infrastructures, pourraient créer un véritable écosystème productif et résilient.

La population craint une réduction des aides sociales. Est-il possible de réformer ces aides sans provoquer un choc social, et comment le gouvernement pourrait-il mieux cibler ces transferts ?
Oui, il est possible de réformer les aides sociales, mais le plus grand levier d’impact réside dans la révision des subventions généralisées, notamment sur des produits comme le riz, le gaz ou la farine. Ces subventions, souvent coûteuses, bénéficient autant aux ménages modestes qu’aux plus aisés, ce qui réduit leur efficacité. Mieux cibler ces aides permettrait de libérer des ressources sans fragiliser les plus vulnérables. De nombreux pays ont adopté des systèmes de transferts monétaires directs, appuyés par des bases de données fiables et des outils numériques, pour compenser les hausses ciblées. Maurice gagnerait à suivre cette voie, en rendant son système de protection sociale plus juste, plus efficace et budgétairement soutenable.

Les prévisions de croissance sont modestes (3-3,5 %). Quelles politiques budgétaires pourraient avoir un effet levier sur l’activité économique à court terme sans aggraver les déséquilibres ?
Face à une croissance modérée et à des marges budgétaires limitées, le gouvernement doit agir rapidement pour relancer l’activité économique sans aggraver les déséquilibres financiers. Une des priorités devrait être d’accélérer les investissements dans les infrastructures stratégiques à fort impact, comme l’extension du port, la modernisation de l’agriculture, le développement de l’agroalimentaire ou encore les énergies renouvelables. Ces secteurs sont porteurs d’emplois durables et renforcent la capacité du pays à être compétitif à long terme. Mais dans un contexte de finances publiques sous pression, l’État ne peut tout financer seul. C’est là que les partenariats public-privé (PPP) prennent tout leur sens. Plusieurs pays ont démontré que les partenariats public-privé ne se limitent pas au financement d’infrastructures traditionnelles. Ces modèles peuvent également favoriser l’émergence de nouveaux secteurs économiques en mobilisant les ressources, l’innovation et l’expertise du secteur privé. En s’appuyant sur ces partenariats, l’État ne se contente pas de répondre à des besoins immédiats : il stimule la diversification économique, crée de nouvelles opportunités d’emploi et encourage l’investissement à long terme. De plus, cette approche permet de limiter le recours à l’endettement public en partageant les risques et les coûts avec le secteur privé, tout en garantissant une meilleure efficacité dans la mise en œuvre des projets.

Le Fonds monétaire international (FMI) préconise une consolidation fiscale. Dans quelle mesure le gouvernement peut-il appliquer ces recommandations tout en maintenant une certaine autonomie dans ses choix économiques ?
Le risque serait de voir l’objectif de consolidation fiscale recommandé par le FMI comme un simple exercice comptable, axé uniquement sur les chiffres, sans tenir compte de la réalité économique du pays. Or, une économie ne peut pas se redresser exclusivement par des coupes budgétaires. Il est crucial de comprendre que la confiance des entreprises, des investisseurs et des citoyens dans le climat des affaires est un moteur essentiel pour relancer l’activité économique. Et sans croissance, il n’y a pas de consolidation budgétaire durable possible. C’est pourquoi ces recommandations doivent être mises en œuvre avec discernement et progressivité, en respectant les priorités nationales. Le gouvernement doit conserver une certaine autonomie dans ses choix économiques, en veillant à ce que les ajustements budgétaires ne freinent ni l’investissement, ni l’emploi, ni le pouvoir d’achat. Il s’agit d’adapter les principes du FMI à notre contexte, en trouvant un équilibre entre rigueur financière et développement. La réussite passera par une vision claire, une gestion responsable et une volonté politique forte de réformes justes, efficaces et adaptées aux réalités mauriciennes.

Le système de pension universelle, combiné à la Contribution sociale généralisée (CSG), est jugé économiquement insoutenable sur le long terme, surtout dans un contexte de transition démographique. Pourtant, aucune réforme structurelle n’a été engagée. Peut-on encore repousser cette réforme sans compromettre l’équilibre futur des finances publiques ? Et quel type de réforme serait à la fois économiquement viable et socialement acceptable ?
Repousser la réforme des pensions et de la CSG met en danger la viabilité budgétaire, avec le vieillissement rapide de la population. Le nombre de retraités augmente, tandis que la population active stagne, mettant à mal un système basé sur la redistribution. En ce début de mandat, le gouvernement doit être tranchant. La situation économique ne permet plus de retarder une réforme structurelle profonde. Une approche progressive semble séduisante, mais une réforme plus drastique est désormais nécessaire. Il s’agit à la fois de réduire les transferts universels et d’améliorer leur efficacité via un meilleur ciblage. En limitant l’éligibilité aux plus vulnérables, les montants alloués par bénéficiaire pourraient augmenter, assurant la justice sociale tout en allégeant la charge publique. Il s’agit de faire des choix justes et responsables. C’est en prenant des décisions courageuses aujourd’hui que nous pourrons garantir la viabilité du système pour les générations futures.

Le secteur privé insiste sur un meilleur climat des affaires. À quoi pourrait ressembler une réponse budgétaire crédible qui adresse à la fois les préoccupations des entreprises et celles des ménages ?
Il ne faut pas opposer l’intérêt des entreprises à celui des ménages. Au contraire, encourager l’entrepreneuriat, l’investissement et la création d’emplois est la meilleure façon d’améliorer durablement le pouvoir d’achat. Une économie solide repose sur un secteur privé dynamique, qui génère des revenus, crée des opportunités et finance les services publics. Le vrai défi aujourd’hui est de changer la mentalité. Une culture du moindre effort s’est installée, où l’on attend trop souvent une aide systématique de l’État. Cette logique doit évoluer. L’assistance sociale doit rester un filet de sécurité pour les plus vulnérables, pas un modèle économique. La prospérité passe par le travail, l’initiative, l’innovation et la formation. Une bonne idée serait de lancer un programme national pour valoriser les efforts et les initiatives des citoyens. Par exemple, on pourrait organiser régulièrement des récompenses pour mettre en avant les entrepreneurs, les jeunes, les employés et toutes les personnes qui montrent du courage, de l’innovation et un engagement positif. Ces récompenses, bien médiatisées, pourraient motiver d’autres à suivre le même chemin. En montrant des exemples de réussite grâce au travail et à l’effort, on crée des modèles inspirants pour toute la population. Des pays comme la Finlande ou le Danemark utilisent déjà ce type d’initiative pour renforcer la motivation collective et encourager une culture de l’effort.

La récente affaire lié aux recrutements jugés illégaux au sein de la Local Government Service Commission (LGSC) ravive les critiques sur l’ingérence politique dans les institutions publiques. Dans quelle mesure une réforme de la gouvernance publique – notamment à travers des recrutements basés sur la méritocratie – est-elle cruciale pour améliorer l’efficacité de la dépense publique et rétablir la confiance dans l’État ? Le Budget peut-il être un levier pour impulser cette dynamique ?
Le dossier de la LGSC met en évidence des failles profondes dans la gouvernance publique. Plusieurs pays comme Singapour ou le Rwanda ont réussi à transformer leur administration en adoptant des systèmes fondés sur la performance, l’intégrité et la responsabilité. Ces réformes ont permis de restaurer la confiance des citoyens et d’optimiser l’utilisation des ressources publiques. La réintroduction du performance-based budgeting par le gouvernement est un signal positif, car elle renforce la transparence et la reddition de comptes. Mais un Budget, aussi bien conçu soit-il, ne changera pas une culture administrative figée. Pour transformer l’État, il faut revoir les processus de recrutement, introduire des évaluations de performance claires, professionnaliser la haute fonction publique et renforcer les organes de contrôle. C’est à ce prix que la fonction publique pourra devenir un véritable moteur de développement.

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