Pour résoudre un problème économique, il faut non seulement que le diagnostic soit correct, mais aussi que le remède soit approprié aux causes du mal. Si le taux de chômage officiel tourne autour de 7% au niveau national, celui des jeunes (16 à 24 ans) frise les 25%. Ce dernier taux est suffisamment élevé pour mériter une attention particulière. Mais la politique économique du gouvernement, mis à part les programmes publics de formation, est plus portée sur l’emploi global que sur l’emploi des jeunes.
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A entendre le secteur privé, le chômage des jeunes est essentiellement dû au « skills mismatch », à l’inadéquation des qualifications par rapport aux besoins des entreprises : c’est un chômage structurel. Si c’est vraiment le cas, et les autorités semblent être d’accord, il faudra alors avoir recours aux solutions proposées par les économistes néo-classiques, mais que John Maynard Keynes rejetait. Pourtant, dans ses quatre budgets, l’actuel gouvernement a appliqué principalement une gestion keynésienne de la demande, comme pour dire que l’insuffisance de la demande serait la cause du chômage. Essayer de résoudre un chômage de type néo-classique par une politique d’inspiration keynésienne, c’est comme donner une boisson sucrée à un diabétique qui a soif.
Le maître de Cambridge s’intéresse au niveau national de l’emploi, pas particulièrement au chômage des jeunes. Pour Keynes, le marché du travail est dépendant du marché des produits et du marché monétaire, alors que chez les néo-classiques, ces trois marchés sont autonomes. Dans l’optique keynésienne, la demande de travail (l’offre d’emplois) des entreprises est dérivée de la demande de produits : le niveau de l’emploi est déterminé par la demande anticipée des firmes (la « demande effective »), via la production. Ainsi donc, lorsque l’économie fait face à une crise de surproduction (excès d’offre), elle demeure dans un équilibre de sous-emploi. Autrement dit, une main-d’œuvre reste inemployée alors même qu’elle consent à travailler au taux de salaire du marché : c’est le chômage involontaire.
Dans la perspective néo-classique, l’emploi ne dépend pas de la demande effective, mais du salaire, qui est un prix. Ici, le chômage est le résultat du refus des chercheurs d’emploi d’offrir leur travail au taux de salaire du marché : c’est le chômage volontaire. Les jeunes, notamment, ont un salaire de réservation, c’est-à-dire un niveau de rémunération qu’ils revendiquent pour accepter un emploi. Dès lors, notre salaire minimum national de Rs 9 000 serait doublement pénalisant s’il s’avérait être inférieur au salaire de réservation, ou supérieur au salaire d’équilibre du marché.
Au lieu de l’éliminer, les mesures gouvernementales renforcent le phénomène d’hystérèse qui frappe le chômage des jeunes : le taux de celui-ci est demeuré élevé pendant une longue période. Suivant les estimations de Statistics Mauritius, il est passé de 19,3% en 2008 à 24,7% en 2012, et il a grimpé davantage à 26,3% en 2015 avant de reculer à 23,9% en 2016 pour finalement se niveler à 24,9% en 2017. Chez les jeunes femmes, le taux de chômage est encore plus dramatique, soit 31,9% l’année dernière. Le nombre total de jeunes chômeurs s’élevait à 19 300 en 2017, contre 13 700 en 2008.
Pour les néo-classiques, le principal obstacle au recrutement de jeunes sans expérience ou sans qualification (31 000 chômeurs n’ont pas de diplômes), c’est la rigidité à la baisse des salaires nominaux. Toutefois, selon Keynes, les travailleurs peuvent accepter une réduction de leurs salaires réels (défalqués du taux d’inflation) parce qu’ils sont soumis à « l’illusion monétaire ». Sans doute notre gouvernement y croit aussi, avec ses politiques inflationnistes en faveur de la consommation et du crédit facile.
L’impôt négatif et la baisse du taux d’imposition à 10% pour une partie de la classe moyenne augmentent certes le revenu disponible, mais si tout va dans la consommation, il en résulte successivement un accroissement du déficit commercial, une dépréciation de la roupie et une hausse des prix. De son côté, le taux d’intérêt bancaire est tombé si bas qu’il n’a plus aucun effet sur l’investissement privé : c’est « la trappe à liquidités », chère à Keynes.
Il reste maintenant à espérer un impact positif des commandes publiques sur l’investissement. Une croissance de 23,7% de l’investissement public est attendue cette année. Le problème est qu’une politique budgétaire expansionniste entraîne une hausse des taux d’intérêt sur le marché monétaire. Celle-ci affaiblira l’impact de la dépense publique sur le volume de production si la demande de monnaie est insensible au taux d’intérêt, si les gens gardent constantes leurs encaisses monétaires.
Car, pour Keynes, la monnaie n’est pas exclusivement un instrument de transaction: la détention de monnaie répond aussi à un motif de spéculation. Dans ce cas, les agents économiques consacreront des encaisses disponibles à la spéculation sur le marché des valeurs mobilières, plutôt qu’à des transactions sur le marché des biens et services. En d’autres mots, ils achèteront des titres financiers à la place des produits de consommation.
C’est ce qui explique la sursouscription persistante des obligations publiques et privées, et la modération continue de la consommation privée. Malgré tous les efforts du gouvernement de stimuler celle-ci, le secteur privé ne crée pas suffisamment d’emplois durables, encore moins pour les jeunes. Une situation qui perdurera aussi longtemps qu’on se trompe de type de chômage. (www.pluriconseil.com)
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